Législatives en Allemagne : conservateurs favoris, extrême droite en embuscade... L'article à lire pour comprendre les élections fédérales anticipées

Des élections plus tôt que prévu. En Allemagne, les électeurs sont appelés aux urnes, dimanche 23 février, pour élire les membres du Bundestag. La dissolution du Parlement a précipité la tenue de ce scrutin, initialement programmé pour septembre. Le chancelier sortant, Olaf Scholz, dont la popularité est au plus bas, remet donc sa légitimité en jeu après trois années à la tête du gouvernement.

Pourquoi avoir avancé la date de ces élections ? Que disent les derniers sondages ? Quels thèmes dominent la campagne ? Quelles répercussions pourraient avoir les résultats ? Franceinfo répond aux principales questions qui se posent.

Pourquoi les élections ont-elles lieu plus tôt que prévu ?

Les élections fédérales étaient initialement fixées au mois de septembre 2025. Mais en novembre 2024, la coalition au pouvoir a volé en éclats. L'alliance était composée des centristes du Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), des Verts, à gauche, et du Parti libéral-démocrate (FDP), à droite. Olaf Scholz a décidé de limoger son ministre des Finances, libéral, qui menaçait de démissionner après des mois de désaccords profonds sur le budget. Dans la foulée, le FDP a annoncé que tous ses ministres allaient quitter le gouvernement, privant ainsi le chancelier de sa majorité à la Chambre des députés.

Face à un Parlement paralysé, le chancelier a décidé de se soumettre mi-décembre à un vote de confiance des députés. N'ayant pas réussi à obtenir celle-ci, Olaf Scholz a demandé la dissolution du Bundestag au président Frank-Walter Steinmeier, qui a convoqué des élections législatives anticipées. Une procédure assez rare en Allemagne : depuis 1949, cela ne s'est produit que sous le social-démocrate Willy Brandt (1972), le conservateur Helmut Kohl (1982) et le social-démocrate Gerhard Schröder (2005).

Comment fonctionne le scrutin ?

Les Allemands élisent leurs députés au Bundestag pour quatre ans. Les élus votent ensuite pour le chancelier, c'est-à-dire le chef du gouvernement. Le président allemand n'ayant qu'une fonction symbolique, ce sont ces élections qui déterminent la politique menée par Berlin.

Elles se disputent au scrutin proportionnel personnalisé. Les électeurs disposent de deux voix : ils votent une fois pour un candidat dans leur circonscription, une des 299 du pays ; et une fois pour une liste d'un parti au niveau national. Selon un nouveau fonctionnement introduit pour ces élections, l'intégralité des 630 sièges du Parlement sera ensuite répartie proportionnellement entre les partis en fonction des résultats du second vote, et les candidats ayant remporté le premier vote dans leur circonscription seront prioritaires pour occuper les sièges attribués à leurs partis. Pour être représentée, une formation devra cependant passer la barre des 5% des voix du second vote ou remporter au moins trois circonscriptions au premier vote.

Avant cette élection, si un parti remportait davantage de sièges directs que le nombre qui lui aurait été attribué à la proportionnelle, des sièges supplémentaires étaient créés, puis répartis entre les formations pour maintenir la proportionnalité globale. Mais ce fonctionnement à conduit le Bundestag à compter 709 députés après les élections fédérales de 2017, et 735 après celles de 2021, soit 111 puis 137 sièges additionnels. Pour contenir cette inflation constante des mandats, une loi électorale est venue limiter le nombre de sièges à 630. Pour la première fois, un candidat élu n'est donc plus assuré de siéger au Bundestag si son parti n'a pas obtenu assez de votes au niveau national.

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"Avec ce système électoral, c'est pratiquement impossible d'obtenir la majorité absolue. Cela crée l'obligation de créer une coalition de gouvernement", souligne Nathalie Le Bouëdec, professeure en histoire et civilisation allemande à l'université de Bourgogne. "Et c'est en général le parti en tête qui dirige les négociations et tente de trouver un ou des partenaires."

Que disent les sondages ?

L'alliance entre l'Union chrétienne-démocrate et l'Union chrétienne-sociale (CDU/CSU), créditée de 30% des intentions de vote, était largement en tête des sondages vendredi, d'après l'agrégateur d'enquêtes d'opinion du magazine allemand Der Spiegel. La CDU est emmenée par Friedrich Merz, un conservateur proche des milieux financiers. Après avoir évolué dans l'ombre de l'ancienne chancelière Angela Merkel, "il a su s'imposer sur son parti, et son profil sulfureux n'a finalement pas brusqué les électeurs traditionnels de la CDU", estime Paul Maurice, secrétaire général du Comité d'études des relations franco-allemandes (Cerfa) à l'Institut français des relations internationales. 

Le président de l'Union chrétienne-démocrate (CDU), Friedrich Merz, le 19 décembre 2024, à Berlin (Allemagne). (MICHAEL KAPPELER / DPA / AFP)

Celui qui préside la CDU "incarne l'Allemagne des années 1990, héritière d'Helmut Kohl. Une Allemagne datée donc, mais qui allait bien. Ça rassure, même s'il peut être clivant", ajoute Paul Maurice. Le candidat pro-européen porte en effet une ligne dure sur l'immigration et est connu pour ses positions extrêmes, notamment sur l'homosexualité, qu'il avait assimilée à la pédophilie en 2020, rapportait alors la chaîne allemande DW

L'AfD, le parti d'extrême droite, est donné en seconde position des intentions de vote, avec 20% des intentions de vote, tandis que le SPD d'Olaf Scholz, en chute libre par rapport aux élections de 2021, est relégué à la troisième place (15%). Crédités de 4% des intentions de vote, les libéraux du FDP, membres de l'ancienne coalition, ne sont même pas assurés d'entrer au Parlement. "Ce serait une première depuis 1949", pointe Nathalie Le Bouëdec.

Quels sujets dominent la campagne ?

L'immigration s'est imposée comme le thème principal, après la série d'attaques meurtrières commises par des réfugiés ou demandeurs d'asile. Après l'attentat à la voiture-bélier sur un marché de Noël de Magdebourg, le 20 décembre, l'attaque au couteau dans un parc d'Aschaffenbourg, un mois plus tard, "a été le moment de bascule où la question migratoire a pris le dessus sur celle de l'économie", explique Paul Maurice. L'attentat contre une manifestation à Munich, le 13 février, est venu enfoncer le clou.

Sur cette thématique, l'AfD est historiquement "sur une ligne extrêmement radicale", rappelle le spécialiste. Mais les autres partis ont également durci leur ligne, prônant entre autres un retour durable des contrôles aux frontières. Friedrich Merz a même brisé un tabou pour son parti, la CDU, qui a toujours exclu une alliance avec l'extrême droite : le 29 janvier, les conservateurs ont fait adopter une motion non contraignante anti-immigration grâce aux voix des députés de l'AfD, provoquant une onde de choc dans le pays. La tentative de récidive sur un projet de loi, deux jours plus tard, a été bloquée par le reste des députés.

Des milliers de personnes manifestent contre la montée de l'extrême droite, le 8 février 2025, à Hanovre, en Basse-Saxe (Allemagne). (MORITZ FRANKENBERG / DPA / AFP)

La santé de l'économie allemande reste tout de même une préoccupation majeure dans l'opinion publique. "Il y a des inquiétudes sur l'avenir du modèle allemand, avec les difficultés de l'industrie automobile, l'inflation, la conjoncture commerciale...", liste Nathalie Le Bouëdec. Le constructeur Volkswagen a annoncé en décembre la suppression de 35 000 emplois en Allemagne, soit un tiers de ses effectifs. L'inflation est redescendue à 2,3% sur un an en janvier, après avoir atteint 5,9% en 2023, tirée par les prix de l'énergie. "La coupure avec Moscou au début de la guerre en Ukraine a entraîné la fin du gaz russe pas cher en Allemagne, et donc la hausse des coûts de l'électricité", résume Paul Maurice.

Les employés de Volkswagen participent à un rassemblement du syndicat allemand IG Metall, le 16 décembre 2024, à Hanovre (Allemagne). (MORITZ FRANKENBERG / DPA / AFP)

Un argument employé pour l'AfD pour "justifier l'arrêt de l'aide à l'Ukraine et ses discours prorusses", affirme Nathalie Le Bouëdec. A l'inverse, les partis traditionnels sont favorables à un soutien à Kiev, même si Olaf Scholz se montre plus pacifiste que les Verts ou la CDU/CSU. "Cette question sera en tout cas un point central des discussions au Bundestag" à l'issue des élections, prévoit Paul Maurice. 

L'extrême droite a-t-elle des chances de gouverner ?

Absente de la scène politique allemande avant 2013, l'AfD a gagné du terrain, élection après élection. Ce parti eurosceptique, anti-immigration et régulièrement accusé de flirter avec l'idéologie néonazie s'est imposé aux européennes comme la deuxième force politique du pays et a réalisé des scores historiques lors de scrutins régionaux en septembre.

L'AfD bénéficie du soutien des jeunes, "mais aussi des classes moyennes, qui voient leurs factures augmenter à cause de l'inflation et craignent un déclassement", explique Jeanette Suess, chercheuse au Cerfa et spécialiste du populisme. Les attaques commises par des étrangers lui ont "permis de corroborer un socle électoral existant", "mais le parti a surtout réussi à créer du débat sur le déclin industriel du pays, estime l'experte. La cheffe de file, Alice Wiedel, parvient d'autant plus à capitaliser sur ce point qu'elle a fait carrière dans le domaine économique." Cette élection s'inscrit par ailleurs dans un contexte de montée de l'extrême droite partout en Europe.

"L'AfD a aussi su agréger les anciens abstentionnistes et les électeurs tentés par de plus petits partis."

Paul Maurice, secrétaire général du Cerfa

à franceinfo

Reste que tous les partis traditionnels se sont engagés à ne pas rompre le "cordon sanitaire", une politique qui consiste à faire barrage à l'extrême droite. Et malgré le vote commun de la CDU avec l'AfD au Parlement fin janvier, Friedrich Merz a répété son refus de former une alliance avec le parti. Selon les observateurs interrogés par franceinfo, la coalition gouvernementale la plus probable est celle qui réunirait la CDU/CSU et le SPD, même si tout dépendra du nombre de partis qui parviendront à se frayer un chemin jusqu'au Bundestag.

Pourquoi le chancelier Olaf Scholz a-t-il peu de chances d'être reconduit ?

Désigné par le SPD comme tête de liste, le chancelier sortant, Olaf Scholz, a mené campagne avec un taux de popularité parmi les plus bas de l'histoire allemande récente. Crise énergétique, inflation, explosion du prix des logements... "Il est jugé responsable de la situation actuelle. Il va être très compliqué pour lui de se positionner en alternative cette fois", avance Paul Maurice. 

"Il a montré qu'il n'était pas un gouvernant qui sait prendre des décisions fortes quand il le faut."

Paul Maurice, secrétaire général du Cerfa

à franceinfo

Olaf Scholz avait néanmoins créé la surprise en 2021. Le SPD avait stagné à 16% des intentions de vote pendant la campagne, avant d'arracher la victoire de peu avec presque 26% des voix. "Mais le contexte était différent. Le successeur d'Angela Merkel à la CDU/CSU avait été désigné tardivement, lui laissant peu de temps pour faire campagne", analyse Paul Maurice. À l'inverse, "Friedrich Merz préside l'Union depuis 2022. Ça fait trois ans qu'il se prépare et ça fait un an qu'il fait campagne", ajoute le spécialiste. 

Pourquoi ce scrutin est-il scruté par l'Union européenne ?

Force motrice de l'UE, "le moteur franco-allemand est en panne, avec deux pays presque à l'arrêt en raison du blocage de leur situation politique respective", souligne Nathalie Le Bouëdec à franceinfo. Or, face au retour de l'imprévisible Donald Trump à la Maison Blanche, les dirigeants européens estiment qu'un leadership fort est indispensable. Un dossier devenu urgent alors que Washington tient les Vingt-Sept à l'écart des négociations avec la Russie sur la fin de la guerre en Ukraine et prévoit de réduire son engagement dans l'Otan.

Ces élections anticipées sont donc "plutôt une bonne nouvelle pour l'Europe, car cela peut conduire au pouvoir une coalition plus cohérente et donc enfin capable d'avoir des positions plus tranchées sur les initiatives européennes", a jugé Sylvie Matelly, directrice de l'Institut Jacques-Delors, auprès de l'AFP. 

Le milliardaire américain patron de X, Elon Musk, participe par visioconférence au meeting de la formation d'extrême-droite allemande AfD, le 25 janvier 2025, à Halle (Allemagne). (AFP)

Bruxelles fait également face à "un risque réel de déstabilisations américaine et russe dans les élections", pointe Paul Maurice. Le milliardaire Elon Musk, désormais très proche de Donald Trump, a multiplié les tentatives d'ingérence au profit de l'extrême droite. Il a répété que "seule l'AfD pouvait sauver l'Allemagne" et s'est invité en visioconférence à un meeting du parti. Le vice-président américain, J.D. Vance, a pour sa part fustigé, depuis Munich, la politique du cordon sanitaire des autres partis allemands vis-à-vis de l'extrême droite. Du côté de Moscou, "compte tenu de sa guerre d'agression contre l'Ukraine, la Russie a probablement le plus grand intérêt à influencer l'élection en sa faveur", écrivent les services de renseignement intérieur dans un rapport.

Pourquoi ces élections sont-elles cruciales pour l'Ukraine ?

L'Ukraine a les yeux rivés sur l'Allemagne, alors que le précieux soutien américain est compromis par l'arrivée de Donald Trump au pouvoir. Derrière Washington, Berlin est le deuxième plus gros donateur à Kiev, selon les données de l'institut allemand IFW Kiel. L'avance de Friedrich Merz dans les sondages est "une bonne nouvelle pour l'Ukraine", car il "est plus belliciste envers la Russie que l'actuel chancelier allemand Olaf Scholz", écrit le centre de réflexion américain Atlantic Council sur son site.

"Friedrich Merz est un fervent partisan de la livraison de missiles de croisière allemands Taurus à l'Ukraine, ce qu'Olaf Scholz a toujours refusé."

Atlantic Council, centre de réflexion américain

sur son site

"Les perspectives ne sont pas entièrement favorables pour l'Ukraine", nuance toutefois l'Atlantic Council. En cas de victoire, Friedrich Merz "devra faire face aux mêmes problèmes que son prédécesseur", soit le frein à l'endettement, "qui limite la capacité du gouvernement allemand à investir davantage dans la défense sans réduire les dépenses dans d'autres domaines", développe le centre de réflexion. Une question sur laquelle la coalition d'Olaf Scholz avait largement buté avant son explosion.

J'ai eu la flemme de tout lire, vous pouvez me faire un résumé ?

Les Allemands sont appelés à élire les membres du Bundestag, l'équivalent du Parlement français, pour quatre ans, dimanche 23 février. Initialement prévues en septembre prochain, ces élections fédérales sont convoquées à la suite de la dissolution de l'Assemblée. Le chancelier sortant, Olaf Scholz, n'avait pas obtenu la confiance des députés, après l'explosion de sa coalition début novembre. Les partis allemands sont donc repartis en campagne, avec en toile de fond une situation économique en berne, une aide à l'Ukraine contestée et une question migratoire devenue centrale après des attaques meurtrières perpétrées ces derniers mois par des étrangers.

L'alliance conservatrice entre l'Union chrétienne-démocrate et l'Union chrétienne sociale (CDU/CSU), emmenée par Friedrich Merz, est en tête des sondages. Elle est suivie par la formation d'extrême droite, Alternative pour l'Allemagne (AfD). L'AfD a néanmoins peu de chances de gouverner, car tous ses concurrents se sont engagés à ne pas former d'alliance avec elle, même si la CDU/CSU a pu compter sur les voix de l'extrême droite pour adopter un texte sur l'immigration au Bundestag fin janvier. Le Parti social-démocrate d'Allemagne (SPD), emmené par Olaf Scholz, qui a atteint un niveau d'impopularité rarement égalé, est ainsi relégué à la troisième place. L'issue du scrutin est scrutée par l'Ukraine, qui compte sur l'aide allemande, et par les partenaires européens, notamment la France.