Interview exclusive de Volodimir Zelensky : pourquoi France Télévisions a-t-elle partagé cet "EuroScoop" avec 58 chaînes de télévision ?
Pourquoi avoir interviewé le président ukrainien avec une consœur allemande et des confrères estonien, britannique et finlandais, malgré la complexité des traductions ? Dans le cadre de notre rubrique Transparence, Elsa Margout, directrice des magazines d'information de France Télévision, explique ce choix rare à défaut d'être inédit : les coulisses d'un "EuroScoop", réalisé avec l'Union Européenne de Radio-télévision.
Franceinfo : Pourquoi avoir partagé cette interview de Volodomy Zelensky avec des rédactions européennes ?
Elsa Margout : Quand l'annonce de la tenue d'un sommet sur l'Ukraine à Paris est tombée, nous avons entamé des négociations avec l'entourage du président Zelensky pour essayer d'obtenir une interview exclusive. D'autres médias (télévisions, radio ou presse écrite) ont fait la même démarche. Nous avons très vite compris que, pour le président Zelensky, s'adresser au public d'un seul pays - surtout lorsqu'il vient pour un sommet qui implique d'autres Etats européens - n'était pas suffisant.
La direction de France Télévisions a donc eu cette idée assez innovante de lui proposer de s'adresser à l'ensemble des Etats et des organisations de radio et de télévisions de l'UER, c'est-à-dire de l'Union européenne de radiotélévision. C'est une association professionnelle de radios et télévisions publiques, au départ européennes, et qui regroupe désormais des pays hors UE. Cette organisation fait beaucoup de coproductions et d'échanges de programmes, dont le plus célèbre est l'Eurovision. Et c'est parce que nous sommes arrivés groupés, avec cette offre qui ne concernait pas que le public français, que nous avons réussi à décrocher cette interview exclusive.
"L'union fait la force et c'est ça qui a convaincu le président Zelensky."
Elsa Margout, directrice des magazines de l'information
Est-ce qu'il y a eu des difficultés particulières dans ce nouvel exercice ?
Assez curieusement cela a été plutôt simple, une fois obtenu l'accord du président Zelensky. On a réussi à tout faire en l'espace de 48 heures, ce qui est une sacrée performance : monter un plateau, un décor... pour accueillir le président Zelensky. Selon les autorités ukrainiennes, le président souhaitait qu'on voit qu'il était bien à Paris, pas calfeutré en Ukraine, qu'il faisait bien le déplacement. Ça a été leur seule demande. D'où la décision de tourner cette émission exceptionnelle au Musée de l'Homme puisqu'une grande baie vitrée donne sur la Tour Eiffel. Je pense que le président Zelensky savait qu'en marge de ce sommet, la Tour Eiffel était illuminée aux couleurs de l'Ukraine, et donc on a opté pour ce décor-là.
Une des difficultés était de se mettre d'accord sur l'horaire de diffusion puisque notre prime time n'est pas forcément celui des autres médias européens. Il y a eu une concertation pour décider du meilleur horaire de diffusion. Ensuite il a fallu se caler par rapport à l'agenda du président Zelensky. C'est essentiellement là-dessus qu'il a fallu travailler.
Bien que l'UER regroupe plus de 50 Etats-membres, les décisions sur la réalisation de l'interview ont été prises assez vite. Il faut rappeler que Delphine Ernotte, présidente de France Télévisions, est présidente de l'UER. C'est aussi pour ça que notre groupe a été très moteur.
Pourquoi y avait-il autour de la table un Britannique, une Allemande, un Estonien, la française Caroline Roux un confrère finlandais en duplex ?
Pour nous, le choix de Caroline Roux était assez évident. Elle était partie en Ukraine pour l'émission "L'Evenement" pour réaliser une interview du président Zelensky à Kiev, elle avait cette expérience. Pour les autres pays, la Grande-Bretagne et l'Allemagne sont des pays très impliqués dans les différents sommets européens. Dans nos discussions, il nous est paru important que des Etats comme la Finlande et l'Estonie soient représentés car ils sont frontaliers avec la Russie, donc en première ligne dans les inquiétudes que peut faire naître le conflit entre la Russie et l'Ukraine. Ensuite, chaque chaîne a décidé de qui intervenait, en fonction des compétences et des disponibilités. Il fallait être mobilisable très vite.
Y a-t-il eu lors des réunions de préparation des points de vue, des suggestions de questions par exemple, qui vous ont surpris en tant que journaliste française ?
Chacun a travaillé en amont. Ensuite, une conférence de rédaction aux alentours de midi s'est déroulée à Paris. Chacun avait avec lui son rédacteur en chef. C'était un travail très collectif, il n'y a pas eu un "lead" de l'un ou l'autre. Il ne devait pas y avoir un prisme d'un pays plutôt que l'autre. Il y avait des différences. Il était par exemple important pour notre confrère estonien de demander au président Zelensky quelle était sa position par rapport à ces petits Etats, qui sont souvent le jouet des grandes puissances.
Pour notre consœur allemande, le changement récent de gouvernement en Allemagne était un prisme important puisque le nouveau gouvernement est beaucoup plus investi dans les différentes négociations. Elle avait à cœur de le transmettre dans certaines questions.
Notre confrère britannique voulait revenir sur les relations tendues entre l'Ukraine et les Etats-Unis et il avait en tête l'humiliation du président Zelensky dans le bureau ovale, il voulait repartir de là. Les autres journalistes disaient que cette actualité était un peu ancienne et qu'il fallait globaliser autour de la question de l'allié américain. Il y avait des petites différences de formulation. Mais globalement tous les journalistes se sont accordés sur les quatre grands thèmes.
Y a-t-il des regrets dans l'opération ?
Si nous avions pu le préparer davantage en amont, ça aurait été encore plus facile ou encore plus intéressant, pointu. Mais il n'y a pas de regret car la concertation a été très facile. Notre seul regret à la limite est qu'on ne l'ait pas fait plus tôt ! Cette opération avec ces regards différents était d'une grande richesse pour une interview. Plus de 38 pays l'ont diffusée, y compris la Russie. Il y a beaucoup de radios, de télévisions publiques et de sites web qui l'ont repris également.
"C'est une opération que seuls des médias publics peuvent réaliser."
Elsa Margout, directrice des magazines de l'information
Le président ukrainien avait-il les questions à l'avance ?
Non, jamais ! On ne le fait pas par principe, dans toute interview politique. En revanche, en général, on a quand même des discussions en amont sur les thèmes. Ici c'était assez évident puisqu'il s'agissait du sommet en cours à Paris.