Cannes 2025 : Avec « Dossier 137 », Dominik Moll plonge dans les arcanes de l’institution policière

On se souvient de la bronca déclenchée en 2023 par la présence sur le tapis rouge de Johnny Depp, accusé de violences conjugales, et de la réaction jugée trop molle de la direction du Festival de Cannes. Désormais, l’heure n’est plus aux atermoiements quand il s’agit de #MeToo et de violences et harcèlements sexuels et sexistes.

À l’affiche de Dossier 137, de Dominik Moll, présenté en compétition, l’acteur Théo Navarro-Mussy, 34 ans, est visé par des accusations de viol de la part de trois anciennes compagnes qui ont déposé une plainte commune en 2023, comme le révèle une enquête de Télérama.

Alerté le 8 mai par un courrier de l’ADA (Association des acteurices), Thierry Frémaux, délégué général du festival, a déclaré l’agresseur présumé persona non grata sur la Croisette et rappelle que les producteurs devront à l’avenir assurer aux organisateurs que « les conditions de sécurité, d’intégrité et de dignité des personnes ont été respectées tout au long du processus de fabrication ». Avant même que n’entre en vigueur cette mesure inédite, l’intéressé a lui-même annulé sa venue à Cannes pour ne pas entacher la réputation du film.

La polémique évitée, le public de Cannes peut donc découvrir sereinement un film qui, à ce jour et sans rien préjuger de la suite, est le plus enthousiasmant de la compétition. Après le succès mérité de la Nuit du 12, la réouverture d’un cold case par un enquêteur de la PJ de Grenoble, Dominik Moll poursuit son immersion dans le milieu de la police. Inspiré de plusieurs affaires réelles, le scénario de Dossier 137, coécrit avec Gilles Marchand, revient sur les violences policières perpétrées pendant le mouvement des gilets jaunes.

En décembre 2018, Guillaume Girard (Côme Peronnet), un apprenti électricien de 20 ans, est gravement blessé à la tête par un tir de LBD dans le quartier des Champs-Élysées. Enquêtrice à l’IGPN (la police des polices), Stéphanie Bertrand (Léa Drucker) est chargée de déterminer si les flics de la BRI, qui plaident la légitime défense, ont outrepassé leurs fonctions. Commence une captivante plongée dans les arcanes de l’institution policière, avec sa hiérarchie, ses syndicats (Alliance, ici rebaptisé Concorde) et ses arrangements pour couvrir les bavures.

Une question de point de vue

Situé en décembre 2018, soit trois ans après les attentats de 2015, Dossier 137 témoigne du revirement de la société française, les héros du Bataclan étant devenus la cible du slogan Acab (« tous les flics sont des salauds »). N’en déplaise à celles et ceux qui ne manqueront pas d’accuser Dominik Moll de faire un film anti-police, son regard est équilibré et ne verse jamais dans la caricature.

Mais comme le dit le personnage de Stéphanie à la fin, tout est une question de point de vue. Ancienne des stups, l’enquêtrice de l’IGPN est aussi une femme séparée, mère d’un jeune ado, et comme la famille de Guillaume, originaire de Saint-Dizier, dans les Vosges, où vivent encore ses parents. Ce qui permet au cinéaste des incursions dans la France des ronds-points, mettant au jour la coupure entre deux mondes qui se toisent sans se parler.

L’écriture très fine des personnages éclaire la proximité entre les policiers et les manifestants, qui, bien souvent, appartiennent aux mêmes classes populaires et peinent à joindre les deux bouts. À l’image du collègue de Stéphanie (Jonathan Turnbull), surpris d’apprendre qu’une suite d’un grand hôtel des Champs-Élysées coûte l’équivalent d’un mois de salaire.

Également présente à Cannes dans l’Intérêt d’Adam, de Laura Wandel, ouverture de la Semaine de la critique, Léa Drucker est encore une fois remarquable. Son jeu tout en sobriété contraste avec son rôle de flic volcanique et antiféministe dans le Mélange des genres, de Michel Leclerc.

Avec son chef-opérateur, Patrick Ghiringhelli, Dominik Moll a opté pour un traitement de l’image sobre, réaliste et l’utilisation de plusieurs formats : photographies des manifestations de gilets jaunes, recréation de petits films tournés au téléphone portable quand la famille Girard monte à Paris en voiture en chantant du Joe Dassin, vidéos de chats que regarde la mère de Stéphanie pour se persuader que le monde n’est pas violent.

Et surtout celles qui documentent les violences policières, répertoriées à l’époque par le journaliste David Dufresne sur le compte Twitter « Allô place Beauvau ». On pense d’ailleurs à son documentaire Un pays qui se tient sage, pour ce qu’il dit des failles de notre démocratie et du rapport à la loi, et au livre de Sophie Divry Cinq mains coupées, restitution littéraire de paroles de mutilés. L’ultime séquence du film, probable condensé de témoignages de victimes, accentue encore le troublant effet de réel qui s’en dégage.

Dossier 137, de Dominik Moll, France, 1 h 56, en salles le 19 novembre 2025

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