C'est une "urgence absolue", selon les mots du Premier ministre Sébastien Lecornu. Une cellule interministérielle d'accélération de la vaccination a été créée pour faire monter en puissance la vaccination des bovins du sud-ouest de la France contre la dermatose nodulaire contagieuse (DNC). La vaccination, insuffisante à elle seule pour endiguer la propagation de la maladie, est une mesure complémentaire aux interdictions de déplacement des vaches et à l'abattage des troupeaux où un cas a été détecté.
Sur les quelque 16 millions de bovins français, environ un million ont déjà été vaccinés (et près de 3 300 abattus). Face à la colère des agriculteurs, qui réclament une vaccination plus large pour mettre fin aux abattages, le gouvernement entend vacciner très rapidement "75% du cheptel dans 95% des fermes" du Sud-Ouest, soit 750 000 bovins, afin de créer un "un cordon sanitaire" et viser une immunité collective dès février 2026.
Les préfets auront la charge de présenter des plans départementaux de vaccination, puis de leur organisation et suivi. Mais comment est organisée cette campagne de vaccination dans le Sud-Ouest, dont le coût pour l'Etat est estimé à 20 millions d'euros ? Comment les vaccins sont-ils achetés, transportés puis administrés aux animaux ? Les vétérinaires sont-ils suffisamment nombreux ? Franceinfo fait le point sur ce défi logistique.
Des doses commandées en masse
Avant de vacciner les bêtes, il faut se procurer les doses, qui ne sont pas produites en France. Après la détection officielle du premier foyer de dermatose nodulaire en Savoie, le 28 juin, le gouvernement a d'abord eu recours au stock d'urgence de l'Union européenne, avec 350 000 doses de vaccin d'un laboratoire sud-africain. Puis en juillet, en anticipation de la propagation de la maladie, le ministère de l'Agriculture a passé commande de centaines de milliers de doses au laboratoire MSD (la branche animale du géant pharmaceutique Merck).
La ministre de l'Agriculture Annie Genevard a annoncé le 16 décembre la commande d'"un million de doses supplémentaires" de ce vaccin, de son nom complet Bovilis Lumpyvax, qui est dit "vivant atténué" et identique à celui utilisé actuellement en Suisse et en Sardaigne (Italie). Elles viennent s'ajouter au stock actuel de 500 000 doses, en cours d'acheminement ou déjà sur place dans le Sud-Ouest. Le produit ne présente aucun danger pour l'homme et pour l'environnement et n'a aucun impact sur la qualité de la viande ou du lait, souligne le ministère.
Quelques soucis d'acheminement
Mais il ne suffit pas d'avoir des doses, il faut aussi des seringues et des aiguilles pour piquer les animaux – une par animal, pour éviter de les contaminer. Or "il y a des tensions d'approvisionnement sur les aiguilles, qui existent en quantité suffisante mais qui sont bloquées dans leur acheminement et n'arrivent pas jusqu'aux cabinets, probablement à cause des barrages routiers", explique Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires.
Pour les tenues de protection jetables, qui servent à "éviter de transmettre le matériel virulent", "la situation est plus aléatoire : des vétérinaires qui travaillent déjà en élevage de volailles peuvent s'être équipé et avoir du stock, alors que d'autres qui ont peut-être des activités moins diversifiées peuvent rencontrer des problématiques d'approvisionnement, là aussi pour des questions de blocage dans le 'dernier kilomètre'", précise Jacques Guérin.
Pas moins de 400 000 doses de vaccin ont été acheminées jeudi vers Toulouse depuis les Pays-Bas, où elles sont conditionnées, par des personnels du ministère des Armées. D'abord par la route, puis à bord d'un avion gros-porteur, l'A400M. TF1 explique que "les doses sont soigneusement emballées dans des cartons, eux-mêmes protégés par du film plastique. Les vaccins doivent absolument être conservés au frais, jusqu'à leur arrivée en France" où elles sont distribuées aux cabinets vétérinaires.
Des vétérinaires fortement mobilisés
Après s'être procuré le vaccin, il faut suffisamment de professionnels pour l'inoculer, ce qui n'est pas donné au vu du manque de vétérinaires ruraux. "Cette campagne devra mobiliser de façon tout à fait exceptionnelle, outre les vétérinaires des services de l'Etat, des vétérinaires volontaires, libéraux, retraités, en activité, de toute la France, des vétérinaires militaires (...) et également des élèves des écoles vétérinaires", a déclaré la ministre de l'Agriculture, Annie Genevard, mardi soir, à l'issue de deux réunions de crise à Matignon.
Les élèves des écoles vétérinaires avaient été déployés en été face aux premiers cas constatés en Savoie. "Nous allons mobiliser le service de santé des armées", a également déclaré Catherine Vautrin, la ministre des Armées. L'armée compte environ 70 vétérinaires mais il n'était pas clair dans l'immédiat s'ils seront tous mobilisés. Les professionnels ont annulé leurs congés de Noël et du Nouvel An "sans qu'une consigne ne soit donnée", insiste Jacques Guérin.
"Ça fait partie de l'abnégation des vétérinaires qui, quand ils sont mis devant un objectif, font ce qu'il faut pour l'atteindre."
Jacques Guérin, président du Conseil national de l'Ordre des vétérinairessur franceinfo
Il faut également organiser leur mobilisation. "On a des super assistants qui nous font tous les plannings de vaccination, qui contactent les éleveurs", salue Stéphane Tisserand, vétérinaire dans les Pyrénées-Atlantiques, interrogé par TF1. "C'est aussi tout ce travail de l'ombre, qu'on ne voit pas mais qui est presque plus important que le nôtre."
Cette mobilisation se tient toutefois dans un climat délétère entre les vétérinaires et certains agriculteurs, ainsi qu'une partie de l'opinion opposée à l'abattage des troupeaux. Des messages haineux comme "Que l'on débarrasse le pays de tous les nuisibles dans votre genre", "Continuez d'abattre des animaux sous de faux prétexte, à la libération, il y en a qui vont courir" ou "Je ne suis pas agriculteur, mais avec vos conneries, comme vos confrères médecins avec le Covid, vous méritez une seule chose : la tête au bout d'une pique" ont par exemple été reçus par le Conseil national de l'Ordre des vétérinaires. Une enquête a été ouverte mardi par le parquet de Bergerac pour menaces de mort après des messages inquiétants reçus par le président de la Fédération des syndicats vétérinaires, Jean-Yves Gauchot.
Un défi logistique sur les exploitations
"Le facteur limitant, ce ne sont pas les vétérinaires", affirme Jacques Guérin dans Le Monde. "Le défi logistique est surtout dans les élevages pour que les bêtes soient déjà parquées et contenues à l'arrivée des vétérinaires." Cet été, la vaccination de plus de 200 000 bovins en Savoie et dans les environs avait en effet pris plusieurs semaines. Une opération parfois compliquée par le besoin d'accéder aux vaches en estive (c'est-à-dire sur des pâturages en altitude). La période hivernale devrait simplifier un peu la logistique, mais le nombre de bêtes à vacciner dans le Sud-Ouest, estimé à 750 000, est nettement plus élevé.
Surtout, de nombreux éleveurs du Sud-Ouest ont voulu profiter des températures favorables de ces dernières semaines pour laisser leurs bovins en pâture avant l'hiver, qui doivent donc être rassemblés à l'étable avant l'arrivée des vétérinaires. Autre facteur, l'Occitanie est principalement une région de vaches allaitantes, c'est-à-dire reproductrices et non laitières, et qui ne reviennent donc pas quotidiennement à l'étable pour la traite. Les contenir (acte qui échoit aux éleveurs) pour les vacciner est donc moins évident.
"Les bêtes peuvent faire plusieurs centaines de kilos", rappelle Jacques Guérin, "donc pour les vacciner, il faut utiliser des moyens de contention, plus ou moins opérationnels selon les élevages". Et pour les bêtes en pâturage, "il faut les motiver à passer à travers un couloir de contention vers un parc dédié, ce qui peut prendre cinq minutes comme une journée", décrit le président du Conseil national de l'Ordre des vétérinaires.
Si la vaccination constitue un geste technique relativement simple, il faut en plus de la personne qui administre la dose "trois autres personnes : l'éleveur pour tenir les vaches, quelqu'un pour pointer les vaches (différencier les vaccinées des non-vaccinées) et quelqu'un pour changer les aiguilles", énumère Matthieu Mourou, vice-président de l'Ordre des vétérinaires, sur France Culture. Des éleveurs de différentes exploitations s'entraident donc pour remplir ces rôles.