Le géant chinois de l'"ultra fast-fashion" devra-t-il fermer boutique en France ? Le site de vente en ligne Shein est une nouvelle fois au cœur d'une polémique, depuis que les autorités ont repéré la présence de poupées sexuelles au "caractère pédopornographique" parmi les marchandises disponibles sur le site. Lundi 3 novembre, le ministre de l'Economie, Roland Lescure, a estimé sur BFMTV que l'enseigne avait "dépassé les bornes" : "Je veux être très clair : si ces comportements sont répétés, nous serons en droit, et je le demanderai, d'interdire l’accès de la plateforme Shein au marché français. C'est dans la loi", a-t-il menacé. Les poupées ont été signalées à la justice et Shein les a retirées de la vente, mais la plateforme et le vendeur risquent gros. D'autres sites de e-commerce sont également dans le viseur des autorités. Voici ce que l'on sait de cette affaire.
Des poupées sexuelles à l'apparence enfantine
Les objets incriminés sont "des poupées sexuelles d'apparence enfantine", d'après la Direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes (DGCCRF). "Leur description et leur catégorisation sur le site permettent difficilement de douter du caractère pédopornographique des contenus", ajoute le régulateur dans un communiqué.
La poupée était présentée comme un jouet sexuel, en vente à près de 187 euros sur Shein. D'après l'article du Parisien qui a révélé cette affaire, la description comportait des mots comme "poupée sexuelle (...) jouet de masturbation masculine avec corps érotique et vrai vagin et anus". "Les annonces nous ont particulièrement choqués", raconte au quotidien la porte-parole de la DGCCRF, Alice Vilcot-Dutarte.
Selon Le Parisien, les enquêteurs ont également réalisé que "toute une gamme de produits pornographiques, et notamment des sextoys et autres poupées gonflables destinées aux adultes", était accessible aux internautes sans vérification de leur âge. Des associations australiennes comme Collective Shout alertent depuis la fin du mois d'octobre sur la commercialisation de telles poupées, conçues comme telles ou modifiables par les acheteurs, sur des sites comme Shein ou Temu, rapporte le média australien ABC.
Un signalement des autorités et une enquête interne ouverte
C'est la DGCCRF qui a tiré la sonnette d'alarme. Dans un communiqué publié samedi, elle annonce avoir constaté la veille la vente de ces poupées et avoir "immédiatement signalé les faits au procureur de la République" ainsi qu'à l'Arcom, le gendarme français du numérique.
"Un signalement a été fait à la plateforme, l'appelant à mettre en place rapidement les mesures appropriées", note également la DGCCRF. "La diffusion, via un réseau de communications électroniques, de représentations à caractère pédopornographique, est passible de peines pouvant aller jusqu'à 7 ans d'emprisonnement et 100 000 euros d'amende", rappelle l'administration.
Dès samedi, Shein a déclaré avoir retiré "immédiatement" de sa plateforme ces poupées sexuelles. "Notre équipe Marketplace Governance enquête actuellement sur la manière dont ces annonces ont pu contourner nos dispositifs de contrôle, et mène une revue complète afin d'identifier et de retirer tout produit similaire susceptible d'être mis en vente par d'autres vendeurs tiers", a ajouté l'entreprise dans une réponse écrite aux médias. "Nous prenons des mesures correctives immédiates et renforçons nos dispositifs internes afin d'éviter qu'une telle situation ne se reproduise", a également affirmé Quentin Ruffat, porte-parole de Shein, interrogé par France 2.
Des condamnations politiques unanimes
"Shein, comment expliquez-vous que des poupées sexuelles à caractère pédopornographique soient restées en ligne plusieurs heures sur votre plateforme ?", a interpellé samedi sur X la ministre déléguée chargée de l'Intelligence artificielle et du Numérique, Anne Le Hénanff. "Les plateformes en ligne doivent prendre leurs responsabilités et se conformer à notre droit et nos valeurs", a-t-elle martelé, ajoutant que "si tel n'est pas le cas, nous utiliserons systématiquement les moyens juridiques pour sanctionner et contraindre".
"Le travail des agents de la DGCCRF a été exemplaire. Merci à eux", a pour sa part salué le ministre délégué aux PME, Serge Papin, sur ses réseaux sociaux. "Ce dossier est désormais entre les mains de la Justice", a ajouté l'ex-PDG du groupe Système U.
"Une plateforme qui accepte de commercialiser ces objets est d'une certaine manière complice", a fustigé la haute-commissaire à l'Enfance, Sarah El Haïry. "Je veux comprendre qui a autorisé la vente de ces objets, quels sont les processus qui ont été mis en place, pour que ça ne se reproduise pas, [et] qui sont les fournisseurs parce qu'il y a bien des gens qui produisent ces poupées absolument ignobles", a dénoncé la vice-présidente du MoDem.
Elle a évoqué la possibilité d'une "discussion" avec Shein pour obtenir la communication des fichiers des acheteurs de ces poupées en France. "Les gens qui ont acheté ces poupées ont utilisé leur carte de crédit, ils se sont fait livrer à leur domicile ou à leur bureau", a-t-elle poursuivi.
"Je veux être très clair : si ces comportements sont répétés, nous serons en droit et je le demanderai, qu'on interdise l’accès de la plateforme Shein au marché français", a mis en garde le ministre de l'Economie, Roland Lescure, lundi matin sur BFMTV. "La loi est très claire : si on a des comportements répétés ou si les objets en question ne sont pas retirés en 24 heures, le gouvernement peut le demander", a souligné le ministre, précisant que cela pouvait s'appliquer aux "actes terroristes, au trafic de stupéfiants et pour des objets pédopornographiques".
D'autres plateformes concernées, le secteur convoqué
La haute-commissaire à l'Enfance a annoncé dimanche son intention de convoquer, avec le ministre du Commerce, Serge Papin, "l'ensemble des grandes plateformes" de commerce électronique "qui vendent en France" après la découverte des poupées à caractère pédopornographique vendues sur Shein. "Il n'y a pas que Shein, il y en a bien d'autres, nous avons été alertés sur d'autres cas", a confirmé lundi Sarah El Haïry sur franceinfo.
Sarah El Haïry assure que "au-delà de Shein", d'autres plateformes "usent d'entourloupes" pour éviter les poursuites en ne mettant "pas les descriptions des objets" qu'elles vendent. "Ils vont mettre l'image, la photo", mais "ils ne mettent pas dans les mots-clés que c'est une poupée sexuelle". "lls essaient de nous faire perdre du temps" et "mettent en danger les enfants", ajoute la haute-commissaire à l'Enfance.
Franceinfo a constaté lundi que des poupées similaires avaient été également proposées à la vente sur AliExpress, avant d'être retirées, confirmant une information de RMC. L'objet était présenté comme une "véritable poupée en silicone" et vendu à 247 euros, avec une photo similaire au modèle précédemment vendu sur Shein. On ignore, à ce stade, si la DGCCRF a été saisie concernant AliExpress.
Shein au cœur de plusieurs polémiques
Cette affaire n'est pas le seul dossier brûlant pour la plateforme de vente en ligne chinoise. La DGCCRF a infligé à Shein une amende de 40 millions d'euros en juillet, pour "pratiques commerciales trompeuses à l'égard des consommateurs sur la réalité des réductions de prix accordées et sur la portée des engagements concernant les allégations environnementales", selon un communiqué (PDF). L'entreprise a également écopé d'une amende de 150 millions d'euros infligée par la Cnil le 1er septembre, pour "non-respect des règles applicables en matière de traceurs (cookies)" (dont Shein a fait appel, selon Les Echos).
Surtout, le site d'"ultra fast-fashion" fait régulièrement l'objet de critiques pour le mode de consommation qu'il promeut et ses conséquences environnementales. Au point qu'une loi "anti fast-fashion" (qui doit encore être adoptée définitivement) vise particulièrement Shein. La plateforme est également pointée du doigt pour autoriser la vente de produits de mauvaise qualité, dont beaucoup ne respectent pas les exigences européennes, selon l'UFC-Que Choisir.
C'est cette mauvaise réputation qui explique en partie le tollé suscité par l'annonce de l'ouverture d'un magasin Shein au centre commercial BHV du Marais, à Paris, puis dans cinq autres villes françaises. Malgré les critiques et les défections de partenaires du BHV, l'ouverture du magasin parisien est toujours prévue pour mercredi 5 novembre.