Pourquoi le plan américain pour l'Ukraine inquiète Volodymyr Zelensky et les Européens

"Nous traversons l'un des moments les plus difficiles de notre histoire." Les mots de Volodymyr Zelensky, prononcés durant une allocution depuis Kiev vendredi 21 novembre, ne laissent pas de doute sur le fond de sa pensée. Le président ukrainien réagissait au plan américain divulgué la veille, qui vise à mettre fin à la guerre déclenchée par la Russie. Les 28 points de ce plan, soutenus par le président américain Donald Trump, demandent des concessions importantes à l'Ukraine, comme la cession de territoires à Moscou et la réduction de la taille de son armée.

Les propositions américaines augurent "une vie sans liberté, sans dignité, sans justice. Et qu'on croie à celui qui a déjà attaqué deux fois", s'est indigné Volodymyr Zelensky, en référence à la guerre du Donbass et l'annexion de la péninsule de Crimée en 2014, puis l'invasion russe de février 2022. L'inquiétude ukrainienne est partagée par les Européens. Après une réunion d'urgence, Paris, Berlin et Londres ont appelé vendredi à trouver une solution au conflit en Ukraine impliquant "pleinement" Kiev et les pays du Vieux-Continent.

Le président russe Vladimir Poutine, lui, a estimé que le plan américain pouvait "servir de base à un règlement pacifique définitif" du conflit. Donald Trump a donné à Kiev jusqu'à jeudi 27 novembre pour répondre à sa proposition et jugé qu'"il faudra bien à un moment donné" que Volodymyr Zelensky "accepte quelque chose". Le dirigeant ukrainien a assuré qu'il proposerait "d'autres options" et qu'il ne "trahira" pas son pays. Franceinfo vous explique pourquoi le plan américain provoque de telles réactions en Europe.

Parce que les Européens et les Ukrainiens n'ont pas été impliqués dans les discussions

Le plan de paix, consulté par l'AFP et plusieurs médias américains, a été élaboré directement entre les diplomates russes et américains, sans inclure les Européens et les Ukrainiens. Ce n'est pas la première fois que Donald Trump écarte les Européens des discussions avec Moscou. Mi-août, le président américain avait rencontré seul en Alaska Vladimir Poutine. Les dirigeants européens avaient ensuite cru à un réalignement de Washington sur leurs positions quelques semaines plus tard à l'occasion d'une rencontre à la Maison Blanche. En octobre, l'annonce puis le report d'une rencontre entre les chefs d'Etats russe et américain s'était finalement soldée par de nouvelles sanctions communes contre Moscou. Le plan dévoilé jeudi apparaît ainsi comme une nouvelle volte-face de l'imprévisible administration Trump.

Face aux atermoiements américains, la ligne défendue par les pays de l'Union européenne (UE) et leurs alliés est claire : "Pour qu'un plan fonctionne, il faut que les Ukrainiens et les Européens soient impliqués", a résumé jeudi la cheffe de la diplomatie de l'UE, Kaja Kallas. Les Européens sont devenus les principaux soutiens financiers et militaires de l'Ukraine depuis le début de la guerre, supplantant l'aide américaine, selon les chiffres de l'Institut de Kiel.

Mais au-delà du front ukrainien, la Russie de Vladimir Poutine mène une guerre hybride qui teste les défenses occidentales. Rien de surprenant, donc, à ce qu'Emmanuel Macron, le chancelier allemand, Friedrich Merz et le Premier ministre britannique, Keir Starmer, affirment vendredi que toute décision sur l'Ukraine nécessite le "consensus" des Européens et de l'Otan, selon un communiqué de l'Elysée. "Rien ne doit être décidé sur l'Ukraine sans l'Ukraine", a martelé vendredi la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen, après un appel avec Volodymyr Zelensky.

 Parce que le plan prévoit de lourdes concessions territoriales

D'après le projet de texte, la souveraineté de l'Ukraine sera bien confirmée. Pourtant, le plan américain prévoit de très importantes concessions territoriales à la Russie, proches de ce que réclame le Kremlin de longue date. Le projet escompte que la Crimée, annexée en 2014, et que les régions de Louhansk et Donetsk, dans l'est de l'Ukraine, soient reconnues comme des territoires russes. Washington les reconnaîtra également comme tels. Quant aux régions (oblasts) de Kherson et Zaporijjia, plus au sud, ils seront divisés de part et d'autre de la ligne de front. 

En 2022, Vladimir Poutine avait signé et proclamé l'annexion des régions de Donetsk, Louhansk, Kherson et Zaporijjia, après des référendums non reconnus par l'Ukraine et la communauté internationale. En 2024, Volodymyr Zelensky avait certes évoqué une possible perte de contrôle temporaire de territoires occupés par la Russie, mais appelé à les "récupérer" par la voie diplomatique. Quant à la Crimée, le dirigeant ukrainien a rappelé, au printemps, qu'il s'agit "du territoire du peuple ukrainien", souligne The Kyiv Independent.

Les Européens n'ont pas tardé à réagir à ces nouvelles propositions de concessions. Le front actuel doit être "le point de départ d'un accord", ont-ils défendu. "La paix ne peut pas être la capitulation", a également insisté jeudi le chef de la diplomatie française, Jean-Noël Barrot. 

Parce qu'il exige une réduction des forces armées ukrainiennes

Le plan prévoit en outre que les forces armées ukrainiennes soient limitées, après un accord de cessez-le-feu, à 600 000 militaires. Ce qui implique donc une réduction drastique des effectifs. En janvier, le pays comptait environ 880 000 soldats mobilisés, d'après Volodymyr Zelensky. Le centre de recherche Council on Foreign Relations (CFR) a récemment noté que plusieurs estimations existent sur le sujet. Selon le centre, Kiev disposait en février de 730 000 soldats en service, contre 1 134 000 pour la Russie. 

En réaction au plan, les Européens ont insisté sur le fait que "les forces armées ukrainiennes soient capables de défendre efficacement la souveraineté de l'Ukraine", selon un communiqué de la chancellerie allemande. "J'espère que ce n'est pas la victime qui se voit imposer des restrictions sur sa capacité à se défendre, mais bien l'agresseur, dont le potentiel agressif devrait être limité", a également réagi le ministre des Affaires étrangères polonais, Radoslaw Sikorski. Début septembre, Emmanuel Macron avait souligné l'importance d'apporter "les moyens d'une régénération de l'armée ukrainienne", dans l'objectif de "dissuader la Russie d'une nouvelle agression" après un cessez-le-feu.

Parce que l'accord est très flou sur les garanties de sécurité

Le cinquième point du plan de paix ne pourrait être plus court. "L'Ukraine recevra des garanties de sécurité fiables", peut-on lire. Pas de quoi rassurer les Ukrainiens ni les Européens, qui s'inquiètent de voir la Russie déclencher une nouvelle guerre malgré ses engagements, comme elle l'a fait en 2014, puis en 2022. "Nous voulons une paix durable qui soit entourée des garanties nécessaires pour prévenir toute nouvelle agression", a souligné Jean-Noël Barrot.

Une vingtaine de pays européens, réunis au sein de la "Coalition des volontaires", ont pourtant présenté début septembre un projet de force de dissuasion européenne après un cessez-le-feu. Au total, 26 pays se sont engagés "à déployer, comme force de réassurance, des troupes en Ukraine, sur le sol, en mer ou dans les airs, le jour d'après le cessez-le-feu", avait alors précisé Emmanuel Macron. Les Etats-Unis, eux, n'envisagent pas d'envoyer des troupes sur le terrain et entretiennent le flou. Leur participation aux garanties de sécurité est cependant jugée indispensable par l'Ukraine, comme la plupart des capitales européennes. 

Parce qu'il réclame une non-adhésion de l'Ukraine à l'Otan

Sans la moindre surprise, le plan demande que l'Ukraine accepte d'inscrire dans sa Constitution sa non-adhésion à l'Otan. L'Alliance atlantique doit également accepter d'incorporer dans ses statuts le fait que l'Ukraine ne deviendra pas membre de l'organisation à l'avenir. D'autres exigences sont encore formulées : que "l'Otan ne s'étende pas davantage" et qu'elle s'engage à "ne pas stationner de troupes en Ukraine". En contrepartie, Kiev recevra des garanties de sécurité fiables, assure le texte.

La non-adhésion de l'Ukraine à l'Otan est une demande claire et répétée du Kremlin, à rebours des volontés ukrainiennes comme de l'Alliance atlantique. Il y a deux ans à Vilnius (Lituanie), les dirigeants des Etats membres avaient évoqué le futur du pays au sein de l'organisation, mais sans donner de calendrier précis en ce sens. "L'avenir de l'Ukraine est dans l'Otan", assure désormais l'organisation, insistant sur le fait que "les Alliés restent fermement résolus à accroître encore le soutien politique et pratique qu'ils apportent à l'Ukraine."

Ces dernières années, le chef d'Etat ukrainien n'a cessé de répéter que rejoindre de manière "pleine et entière" l'Otan était la "seule véritable garantie de sécurité". Il a même proposé de quitter son poste en échange de cette adhésion. Pourtant, "même faire partie d'une alliance militaire de longue date ne signifie pas automatiquement que vous êtes en sécurité", a-t-il tempéré fin septembre, à la tribune des Nations unies. 

Parce qu'il oblige les Européens à renoncer aux avoirs gelés de la Russie

La question des avoirs gelés russes, qui dorment dans les coffres européens depuis le début de la guerre, est au centre de débats intenses au sein de l'UE. Au total, 210 milliards d'euros sont immobilisés, mais pas saisis, par les Vingt-Sept par mesure de rétorsion. Et si les recettes de ces avoirs financiers peuvent déjà être utilisées pour soutenir Kiev, la Commission européenne souhaite mobiliser cet argent pour garantir un prêt à hauteur de 140 milliards d'euros à destination du pays agressé et envahi, remboursé à la fin de la guerre. Les discussions n'ont pas encore abouti, faisant peser un risque important sur l'Ukraine, qui pourrait se retrouver à court de liquidités dans les prochains mois.

Le plan des Etats-Unis prend une direction bien différente, passant outre la souveraineté des Européens sur cette question. Il propose ainsi que "100 milliards de dollars d'actifs russes gelés" soient investis dans des projets menés par les Etats-Unis pour la reconstruction de l'Ukraine, Washington "recevant 50% des bénéfices de l'initiative". Le plan propose aussi de "débloquer" les "fonds russes gelés en Europe" non utilisés et que les Européens rajoutent 100 milliards d'euros pour la reconstruction.

"La proposition n'est rien de plus qu'une mauvaise blague" pour les Européens, résume sur X Sashank Joshi, chercheur et rédacteur en chef Défense de The Economist. Et le chef de la diplomatie ukrainienne, Andrii Sybiha, d'ironiser à la divulgation du projet : "Voilà à quoi ressemblent en réalité les 'plans de paix' de la Russie".