Place des femmes, finances de l'Eglise, violences sexuelles… Quels sont les chantiers qui attendent le pape Léon XIV ?

Le nouvel évêque de Rome a du travail. Devenu le 267e souverain pontife, jeudi 8 mai, à l'issue d'un conclave soldé en quatre tours de scrutin, Léon XIV, successeur de François, va s'atteler à mener certains chantiers, alors que la messe d'inauguration de son pontificat est prévue dimanche 18 mai.

Le premier pape de l'histoire de nationalité américaine pourra impulser des sujets qui lui sont chers, mais doit également se saisir des dossiers majeurs qui traversent l'Eglise. Il devra enfin se positionner sur les différents chantiers entamés par son prédécesseur François, dont il est un proche. Franceinfo résume les dossiers qui devraient animer le pontificat de Léon XIV. 

1Assainir les finances de l'Eglise, au plus mal

Le dossier des finances du Saint-Siège arrive en haut de la pile. Le Vatican "vit sur un déficit structurel de 50 à 70 millions d'euros par an", expliquait fin avril sur franceinfo Loup Besmond de Senneville, journaliste à La Croix et auteur de Vatican Secret (éditions Stock). Fin 2024, les comptes ont même été rejetés par la commission des cardinaux chargée de leur surveillance, avant d'être finalement adoptés en mars, après avoir été corrigés à la baisse.

"Le dossier est 'urgent', mais renvoie à un problème plus structurel : celui de la crise du catholicisme dans de très nombreux pays, notamment en Europe et, dans une moindre mesure, aux Etats-Unis", analyse François Mabille, chercheur associé à l'Iris et directeur de l'Observatoire géopolitique du religieux. "Cette crise a conduit à une baisse des financements du Saint-Siège par ces Eglises", déroule-t-il.

2 Remplir à nouveau les églises en Europe

La question du financement devra être intégrée dans une réflexion plus globale sur la remobilisation des fidèles et la lutte contre l'essoufflement du catholicisme en Europe. Un enjeu que semble avoir bien saisi le nouveau pape.

Lors de sa première messe en tant que chef de l'Eglise catholique, dans la chapelle Sixtine, Léon XIV a déploré vendredi le recul de la foi au profit "d'autres certitudes comme la technologie, l'argent, le succès, le pouvoir, le plaisir". "C'est précisément pour cette raison que la mission est urgente en ces lieux, car le manque de foi entraîne souvent des drames", a-t-il déclaré devant les cardinaux dans son homélie prononcée en italien, comme une mise en garde. 

3 Poursuivre le travail entamé sur les violences sexuelles

A peine élu, le pape a vu ressurgir des zones d'ombre de sa carrière d'ecclésiastique, notamment sur sa gestion controversée d'affaires de violences sexuelles par des prêtres. "Il ne pourra pas passer un pontificat sans se saisir du sujet des abus dans l'Eglise", analyse Blandine Chelini-Pont, professeure d'histoire contemporaine à l'université d'Aix-Marseille et spécialiste du catholicisme aux Etats-Unis. "La crise des violences sexuelles a été tellement profonde pour l'Eglise, et elle continue à l'être", avertit-elle.

C'est d'ailleurs aux Etats-Unis, pays dont est originaire le nouveau pape, que le premier mouvement de libération de la parole a émergé sur le sujet à la fin des années 1980. "Les diocèses ont alors été complètement ébranlés, il y a eu une perte de confiance des fidèles. Certains ont quitté l'Eglise à la suite de ces révélations", retrace-t-elle.

4Défendre la paix à tout prix

Lors de sa première apparition jeudi soir devant une foule en liesse place Saint-Pierre, Léon XIV s'est adressé au plus de 1,4 milliard de catholiques : "Que la paix soit avec vous tous !" ont été ses premiers mots, donnant le ton des années à venir. "Derrière la nomination de ce pape, et du fait qu'il est transnational [son père est d'origine française et italienne, sa mère, d'origine espagnole], il y a une claire position de l'Eglise pour qu'il soit un rempart contre l'arbitraire des Etats et des idéologies nationalistes et impérialistes", martèle Blandine Chelini-Pont auprès de franceinfo.

Face à ce que la chercheuse nomme "un ordre international belligène", Léon XIV va "se placer du côté de la société civile internationale, en affirmant qu'il faut créer une atmosphère internationale antiguerre". Jean-Paul II avait plutôt défendu, en son temps, la doctrine de la guerre juste, théorisée par saint Thomas d'Aquin au XIIIe siècle. Le pape François avait, quant à lui, adopté une diplomatie "très militante", selon le chercheur François Mabille. Une approche qui avait bouleversé les diplomates professionnels à de multiples reprises sur le dossier brûlant de la guerre en Ukraine, jusqu'à faire grincer quelques dents.

5 Tenter de réunifier l'Eglise

Au cours du précédent pontificat, François a aussi crispé le courant le plus conservateur de l'Eglise. Face à ce constat, le nouveau souverain pontife entend plutôt incarner l'unité. Lors de sa première prise de parole jeudi soir, son message a été "à la fois dense et très programmatique sur cette question", insiste Blandine Chelini-Pont.

La tâche qui l'attend est immense. "Il va devoir rassembler les communautés catholiques derrière lui, alors que l'Eglise est traversée par des fractures et des factions et que le pape se trouve au milieu du gué", poursuit-elle.

6 Renforcer la "doctrine sociale"

Premier geste fort après sa nomination, l'Américain a choisi le nom de Léon XIV. Le précédent Léon, Léon XIII, était "un grand pape de la question sociale, avec un engagement très fort pour les pauvres", décrypte Martin Dumont, historien du catholicisme à l'université de la Sorbonne et auteur d'une thèse sur Léon XIII et la France.

Ce choix de nom pourrait donc laisser présager d'un exercice du pouvoir centré autour de l'attention aux plus défavorisés. Le directeur de la presse du Saint-Siège, Matteo Bruni, a confirmé vendredi aux journalistes qu'il s'agissait d'une référence à la "doctrine sociale" du pape Léon XIII. "J'y vois une belle continuité d'un pape à l'autre et la poursuite d'un pontificat sur la question sociale", appuie l'historien.

7 Décentraliser encore l'Eglise

L'autre dossier aride dont Léon XIV semble disposé à se saisir concerne la réforme de la Curie romaine, le gouvernement du Vatican. Comme François avant lui, le pape venu d'outre-Atlantique n'est pas partisan du pouvoir centralisé. Un évêque "ne doit pas être un petit prince assis en son royaume, il doit être proche du peuple qu'il sert et marcher avec lui, souffrir avec lui", déclarait-il en 2024 au site Vatican News. Une prise de position scrutée par les observateurs, puisqu'il s'agit d'une "ligne de clivage fondamentale entre les plus conservateurs, partisans d'une Curie romaine qui représente le centre par rapport aux Eglises locales, et les progressistes", analyse François Mabille. 

Le processus a déjà été engagé, mais s'avère particulièrement complexe à mettre en œuvre. Malgré sa volonté de poursuivre le projet de François sur la décentralisation, le prélat risque de se heurter à des obstacles. "C'est extrêmement difficile de résoudre cette tension. Lorsque François a essayé de desserrer l'étreinte, l'Eglise allemande a été accusée d'aller trop loin et de devenir une Eglise protestante", tient à rappeler le chercheur.

8 Poursuivre la féminisation du Saint-Siège

Depuis le synode sur le sujet ouvert en 2021, le pape François a amorcé un virage dans la gouvernance du Vatican, en y intégrant des femmes et des laïcs, une première historique. Sous son pontificat, la part de femmes dans l'administration du Saint-Siège est passée de 19,2% à 23,4%, selon Vatican News(Nouvelle fenêtre). Des figures comme Barbara Jatta, nommée à la tête des musées du Vatican, ou sœur Raffaella Petrini, secrétaire générale du Vatican, symbolisent cette timide avancée.

Sur ce sujet, le nouveau pape avait fait mention, dans différentes interviews, de son enthousiasme devant un tel processus. "C'est un ecclésial féministe !", ose même Blandine Chelini-Pont. "Il va être sensible à cette égalisation des charges, mais reste à savoir jusqu'où il va aller sur le sujet", tempère-t-elle aussitôt.