«Si tous les hommes ne sont pas des violeurs, les violeurs peuvent être n'importe quel homme» : les discours désespérés pendant l’hommage à Gisèle Pelicot
Les quelques éclaircies qui se dégagent du ciel nuageux apportent du baume au cœur aux centaines de manifestants et manifestantes rassemblés place de la République à Paris. Ce samedi 14 septembre, plusieurs collectifs ont appelé à s'unir à travers toute la France pour soutenir publiquement Gisèle Pelicot et, par ricochet, toutes les victimes de violences sexistes et sexuelles. La femme de 72 ans, mère de famille et retraitée, devenue la figure de proue des violences faites aux femmes, est actuellement en procès contre 52 hommes pour viols, parmi lesquels son époux qui l'a droguée pendant près de dix ans dans le but de la faire violer par des inconnus.
«On est toutes Gisèle», clame ainsi la foule en chœur, poing levé contre la statue de Marianne en bronze qui surplombe l'immense place du 11e arrondissement. Sur les pancartes, toutes sortes de slogans s'affichent : «Victime, on vous croit, violeurs, on vous voit» ; «Promis, bientôt, c'est dans les yeux des violeurs qu'on lira la peur» ; «Pour que nos vies ne soient pas classées sans suite» ou encore «NotAllMen». Cette dernière formule, initialement taguée par des hommes pour se défendre de ne pas être «tous des agresseurs», est grandement parodiée par les femmes depuis l’ouverture du procès des viols de Mazan, le 2 septembre dernier. En cause, le nombre d’hommes sur le banc des accusés, mais également leur classe sociale et leur âge : infirmier, journaliste, chauffeur livreur, entre 21 et 68 ans, célibataire et père de famille. Sous la plume de féministes, l’ironie l’emporte sur le slogan, «NotAllMen» fleurissant comme pour dire : «Pas tous les hommes… vraiment ?»
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Le souvenir de Judith Godrèche et des agressions de l’Abbé Pierre
Ce 14 septembre à 14h, les militantes et militants font ainsi le pied de grue pour ne rien rater de la manifestation. Tous attendent les prises de parole de nombreuses chefs de file du féminisme : l'influenceuse Anna Toumazoff, la présidente de la Fondation des Femmes, Anne-Cécile Mailfert, la philosophe et romancière Camille Froidevaux-Metterie, ou encore Camille Kouchner, qui a révélé dans un livre les agressions dont son frère jumeau a été victime de la part de leur beau-père, le politologue Olivier Duhamel. On aperçoit aussi, cachée derrière de larges lunettes de soleil, l'écrivaine Vanessa Springora, auteure du Consentement, qui relate les abus de l'écrivain Gabriel Matzneff lorsqu'elle était adolescente.
Face à cette armée de femmes, fortes et inspirantes, les manifestantes ne cachent pas leur colère. «Je suis écœurée... Gisèle Pelicot est tellement digne. J’ai le ventre qui se tord à chaque nouveaux témoignages dans ce procès. Je me devais de venir aujourd'hui. Il faut montrer au gouvernement que les femmes reprennent le pouvoir», proclame Élodie*, 24 ans, qui tient nerveusement une pancarte sur laquelle on lit : «Ras le viol». Autour d'elle, on opine du chef. Des jeunes filles mais aussi des femmes plus âgées, comme Françoise, 67 ans. « À mon époque, on ne disait rien. Maintenant que cela est possible, il faut avoir conscience de cette chance et s'en saisir», admet-elle. Entre temps, un fumigène est allumé non loin. Une odeur âcre se fait sentir. La discussion s’interrompt et un homme prend le micro rappelant le souvenir de Judith Godrèche, victime d'une relation toxique avec le réalisateur Benoît Jacquot, 40 ans à l'époque, lorsqu'elle n'avait que 14 ans. On invoque également les actes de l'Abbé Pierre, mort en 2007 et visé par des accusations de violences sexuelles commises entre les années 1950 et 2000 sur plusieurs dizaines de femmes.
Les larmes de Charlotte Arnould
Enfin, vient le tour de Lola Lafon, écrivaine mais aussi chroniqueuse chez Libération, ayant écrit sur le procès des viols de Mazan. Sous les acclamations, elle martèle que «non», les violeurs «ne sont pas des monstres tapis dans l’ombre en attendant leur proie». «Ils sont de droite et ils sont de gauche, reprend-elle. Ils sont aimables, ils sont serviables, ils sont même marrants, ils vont chercher leurs enfants à l’école et ils font la vaisselle, avant de scroller sur le Net et de s’inscrire sur un forum proposant de violer une femme sédatée. Il n'y a pas grand-chose qui différencie un violeur d'un homme. Alors en quoi consiste-t-il ce pas grand-chose ? Si tous les hommes ne sont pas des violeurs, les violeurs peuvent être n’importe quel homme».
L’émotion allant crescendo tout au long de la journée, le micro est ensuite tendu à Charlotte Arnould, qui s’était promis de ne pas prendre la parole publiquement. Pour rappel, la jeune femme de 28 ans se bat depuis plusieurs années contre l’acteur Gérard Depardieu, qu’elle accuse de viols. «Je voudrais dire à tout le monde que nous, victimes, on en a marre d’être fortes, marre d’être courageuses, et quand on me dit : mais Charlotte quelle force tu as, quel courage, je réponds non ! C’est juste de la survie... C’est une manière de ne pas mourir», revendique-t-elle encore, les larmes lui montant aux yeux. On entend au loin des voix surgir et s’élever. «Charlotte, on te croit», répètent-elles face à la danseuse, émue.
La responsabilité masculine
Nombreux étaient aussi les hommes présents aujourd'hui. Jérémie, 38 ans, venu avec sa femme et son petit garçon de 5 ans, ne s'est pas senti exclu de l'événement. « Il y a quelques années, je n'étais pas conscient de la cause des femmes et de leur souffrance, du moins pas à ce point. Ces derniers temps, il y a eu tellement d'affaires qu'il devient impossible de ne pas se remettre en question », nous explique-t-il. Il poursuit : « C'est dur d'entendre que tous les hommes font partie du problème ou des choses comme ça, mais cela nous pousse à réfléchir. Nous sommes chahutés, mais c'est très bien.» Ces propos font écho à ceux de Jessica, de l'association Nous Toutes, dont l'émotion a frappé le cœur de chaque manifestant. «J'en ai marre d'être en colère et j'en ai marre de survivre. Nous, femmes, avons peur tout le temps. Nous passons notre vie à réfléchir à la manière de nous protéger, une chose que nous inculquons aussi à nos filles. On ne reproche pas aux hommes d'être tous des violeurs. On reproche à certains de l'être et à d'autres de se taire, de rester amis avec des mecs qui parlent mal à leur femme, qui les violent, qui les tuent. J'en ai marre.»
Le procès des viols de Mazan permet néanmoins d’ouvrir une fenêtre sur de nombreux angles morts des violences faites aux femmes. La soumission chimique en première ligne, la question du viol conjugal et celle du consentement. Avec ce rassemblement, organisé par plusieurs collectifs dont la Fondation des femmes et Nous Toutes, des choses concrètes sont demandées dont l’application de la loi de 2001 prévoyant 3 séances par an à l'éducation à la vie sexuelle et affective dès le premier cycle de scolarité et des moyens financiers pour la cause des femmes à hauteur de 3 milliards d’euros.