Euro 2025 : comment l'esprit collectif des Bleues reprend vie, pas à pas

Un cercle constitué de 23 joueuses pour un ultime cri d'encouragement avant l'entrée en lice dans l'Euro. Quand les Anglaises se réunissaient à 11, c'est l'entièreté du groupe français qui s'est agrippé bras dessus bras dessous à quelques secondes du coup d'envoi, samedi 5 juillet à Zurich (Suisse). "On a beaucoup travaillé sur la notion de groupe. Alors quand je vois des choses comme ça, cela me fait très plaisir", a apprécié a posteriori le sélectionneur tricolore Laurent Bonadei, qui a précisé que l'initiative émanait des joueuses. 

Huit jours plus tard, le même Laurent Bonadei saluait le "vrai élan de cohésion et de solidarité dans le groupe", qui "se renforce avec les victoires". Menées au score (2-1) jusqu'à la 60e minute, les Françaises ont prouvé, dimanche 13 juillet, qu'elles savaient rester sereines pour retourner un match (gagné 5-2). Face aux Anglaises, les Françaises avaient déjà montré leur capacité à rester "soudées et connectées" dans l'adversité, selon les mots de Delphine Cascarino. "Il y a beaucoup de progrès. Il faut voir sur la suite de la compétition mais je pense qu'on est un peu plus solidaires et ouvertes", observait le lendemain Marie-Antoinette Katoto, première buteuse de la rencontre.

Les joueuses couronnent Clara Mateo, buteuse face à la Suisse, à Nancy, en Ligue des nations, le 30 mai 2025. (SEBASTIEN BOZON / AFP)
Les joueuses couronnent Clara Mateo, buteuse face à la Suisse, à Nancy, en Ligue des nations, le 30 mai 2025. (SEBASTIEN BOZON / AFP)

Un constat loin d'être évident à la sortie des Jeux olympiques de Paris, marqués par la traumatisante élimination des Bleues en quarts de finale face au Brésil (0-1). En novembre 2024, Marie-Antoinette Katoto pointait, dans un entretien à l'AFP, le manque de "solidarité" au sein de l'équipe lors des JO. "On ne s'est pas fait mal les unes pour les autres sur toute la compétition. Il aurait fallu se mettre plus au service du collectif et moins penser à soi."

Rebâtir un relationnel franc

Alors, à son arrivée à la tête des Bleues fin août 2024, Laurent Bonadei a érigé comme chantier prioritaire la reconstruction d'un état d'esprit compatible avec la performance. "On a mis en place un projet de vie avec plusieurs piliers, dont le premier est basé sur le relationnel. C'était important pour moi de faire en sorte que le relationnel dans cette équipe soit de bonne facture, franc, sincère et qu'il ne soit pas simplement une façade", a décrit le sélectionneur avant l'entrée en lice des Bleues.

"Au fur et à mesure des mois écoulés, j'ai vu des joueuses faire des petits pas. C'est ce que je leur ai demandé au tout début. Un petit pas après l'autre, avancer dans leur relationnel, mais aussi sourire dans leurs échanges avec le public français ou avec les médias."

Laurent Bonadei, sélectionneur des Bleues

en conférence de presse

Avant l'entrée des Bleues à l'Euro, le sélectionneur s'est félicité d'avoir assisté à "des scènes de joie" lors des huit victoires de rang de son équipe. "Si on gagne des matchs, c'est parce qu'il y a un état d'esprit et que progressivement, des choses se mettent en place. Mais il faut rester vigilant parce que les choses ne sont jamais acquises." 

Recrutement d'un préparateur mental

Pour accompagner son équipe dans ce travail, Laurent Bonadei a appelé, dès la fin septembre 2024, le préparateur mental Thomas Sammut à rejoindre son staff. Présent lors des stages, il garde aussi un lien avec les internationales lorsqu'elles sont en club. Avec des résultats déjà visibles assure le sélectionneur.

"Le préparateur mental nous apporte une stabilité. Cela permet de nous renforcer dans certains domaines, que ce soit collectif ou individuel, mais toujours dans un état d'esprit collectif", résume la vice-capitaine Sakina Karchaoui. Cette dernière a même l'impression "qu'il y a plus de naturel" au sein de l'équipe ces dernières années. "Les filles sont plus elles-mêmes, plus libres de s'exprimer."

"On se dit davantage les choses, notamment grâce à la préparation mentale qui a beaucoup joué et qui a apporté vraiment un plus dans notre équipe."

Marie-Antoinette Katoto, attaquante de l'équipe de France

en conférence de presse

Depuis son arrivée, le patron de l'équipe de France cherche aussi à responsabiliser ses cadres pour les pousser à échanger entre elles. Il a ainsi chargé un groupe de neuf joueuses d'être le relais entre le staff et le reste du collectif. "On se fait des points à neuf. Chacune dit ce qu'elle pense et ensuite on fait un choix. Ou bien on crée un sondage dans notre groupe WhatsApp, décrit à franceinfo: sport Sandie Toletti, vice-capitaine des Bleues. Les questions peuvent porter sur les équipements, les horaires, le type d'entraînements..." 

Au cours de leur mois de préparation entre le Pays basque et Clairefontaine, les Bleues ont eu l'occasion de resserrer les liens dans les traditionnels jeux collectifs de cohésion, d'activités hors pelouse (surf, pâtisserie...) mais aussi de temps véritablement libres. "Depuis que Laurent est là, il nous met des jours off. Avant, nos temps off, c'était pour rester à l'hôtel. Mais sortir, c'est différent. Cela peut paraître bête, mais rien que d'être habillées en civil et pas en survêtement, on peut se dire plus facilement les choses", glisse Sandie Toletti.

"A Biarritz par exemple, on a eu une après-midi et une soirée où on pouvait faire ce qu'on voulait. Avec certaines filles, on est allé ensemble manger au restaurant. Ces moments hors foot, où tu parles de ta vie, de la normalité, font du bien."

Sandie Toletti, vice-capitaine des Bleues

à franceinfo: sport

Membre de l'équipe de France depuis 2016, Sakina Karchaoui avance le même exemple de ces repas partagés en dehors du cadre fédéral. "Des petites attentions qu'on s'apporte les unes envers les autres, de la franchise, savoir se dire les choses au bon moment, à bon escient : ce sont ces petits moments de qualité qui nous font avancer et qu'on ne faisait peut-être pas avant", détaille la joueuse du PSG à franceinfo: sport. 

"Un collectif et non une équipe"

La reconstruction d'un esprit collectif aurait pu être chamboulée au moment où le sélectionneur a choisi de rajeunir son équipe en évinçant trois cadres historiques du groupe (Wendie Renard, Eugénie Le Sommer et Kenza Dali) à quelques semaines de l'Euro. Mais fidèle à sa méthode tournée vers la communication et conscient des potentiels "dommages collatéraux" de ce choix, Laurent Bonadei a tâché de faire comprendre aux joueuses les raisons de sa décision.

Surtout, le patron des Bleues ne cesse de répéter qu'il a formé "un collectif et non une équipe" : "Toutes les joueuses engagées ont leur chance pour faire partie de l'équipe." Message visiblement reçu par les dernières citées qui louent régulièrement les qualités des nouvelles arrivées. "On croit en tout le monde et on se fait confiance les unes aux autres", insistait par exemple Sakina Karchaoui avant le match d'ouverture de l'Euro, questionnée sur l'inévitable remplacement de la capitaine Griedge Mbock, alors blessée au mollet droit. "La nouvelle génération arrive et pousse en termes de concurrence. C'est une arme qu'on a en France."

La joie des Françaises lors de la victoire face au pays de Galles, le 9 juillet 2025, en phase de poules de l'Euro, à Saint-Gall (Suisse). (IMAGO/JOERAN STEINSIEK/SIPA)
La joie des Françaises lors de la victoire face au pays de Galles, le 9 juillet 2025, en phase de poules de l'Euro, à Saint-Gall (Suisse). (IMAGO/JOERAN STEINSIEK/SIPA)

"C'est un groupe qui commence à vraiment se connaître. En plus, les jeunes se croisent depuis les groupes France jeunes, donc l'intégration s'est faite de manière très naturelle. On mange tous les soirs à des places différentes, il n'y a pas de clans", témoigne auprès de franceinfo: sport la gardienne Pauline Peyraud-Magnin. 

"Le groupe est un peu plus jeune qu'aux JO. Il y a un peu plus de fougue, un peu d'innocence aussi. Et peut-être des joueuses aussi qui vont moins réfléchir dans ce qu'elles peuvent faire, donc c'est tout bénéf'."

Sakina Karchaoui, vice-capitaine des Bleues

à franceinfo: sport

Samedi, les Françaises éprouveront ce nouvel état d'esprit dans leur premier match à élimination directe depuis le 3 août 2024 et leur courte défaite contre le Brésil en quarts de finale des JO de Paris. La solidarité et le mental seront-ils suffisamment solides pour faire mentir les statistiques ? Ces dix dernières années, l'équipe de France s'est inclinée six fois sur sept en quarts de finale lors d'une compétition majeure (Euro, Mondial, JO). Face à l'Allemagne, les joueuses de Laurent Bonadei auront l'occasion de commencer à récolter les fruits de leur travail.