INTERVIEW. Crash de la Germanwings : "Il n'y a pas d'événements ou de signaux faibles permettant de penser que cela puisse se reproduire", selon un ancien commandant de bord

Le 24 mars 2015, le copilote de l'Airbus A320 de la compagnie aérienne Germanwings a volontairement précipité l'avion sur un massif des Alpes, tuant les 144 passagers et les cinq autres membres de l'équipage. Depuis, les compagnies ont adopté plusieurs mesures pour mieux détecter les potentiels problèmes psychologiques des pilotes, rappelle Geoffroy Bouvet, président de l'APNA (Association des professionnels navigants de l'aviation), ancien commandant de bord et instructeur joint par franceinfo. Il souligne l'importance de suivre notamment la santé mentale des pilotes pour prévenir toute situation à risque à bord de l'appareil.

Franceinfo : La sécurité à bord a-t-elle été améliorée depuis ?

Geoffroy Bouvet : Le problème de sécurité des vols ne doit jamais être traité à chaud. À l'époque, sous la pression médiatique, l'Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne (AESA) avait pris, quasiment le lendemain de l'accident, cette mesure qui prévoit que deux personnes soient toujours présentes dans le cockpit. Cela s'est révélé très difficilement applicable, je ne connais pratiquement pas de compagnies qui puissent l'appliquer.

Y a-t-il un enjeu dès la phase de recrutement des pilotes ?

Chaque compagnie aérienne a l'obligation légale de faire passer des tests d'identification des tendances dysfonctionnelles. En France, ça s'appelle le test TD-12, sur les douze comportements dysfonctionnels humains. Ces tests permettent d'écarter les candidats qui présentent un risque et, quand il y a doute, on ne recrute pas. Je ne pense pas qu'il y ait beaucoup de failles de ce côté-là. Et à ma connaissance, les compagnies ne mettaient pas en œuvre ce type de test avant le crash de la Germanwings.

Comment peut-on détecter au mieux les problèmes psychologiques au cours de leur carrière ?

La meilleure façon de traiter le problème, c'est ce que les compagnies ont mis en place : un accompagnement des pilotes dès que l'un d'entre eux se trouve confronté à un incident ou un accident. Un incident peut avoir lieu en vol avec d'autres membres de l'équipage, des passagers qui ont été violents, une problématique technique avec un demi-tour, ça peut aussi être un échec au simulateur (un pilote est contrôlé trois fois par an au niveau professionnel)… Cet événement est signalé à l'équipe du Critical Incident Response Program (CIRP), qui contacte systématiquement l'équipage pilote pour connaître son ressenti. Il peut y avoir jusqu'à trois contacts avec le pilote, et si on sent qu'il y a encore un déséquilibre, le dossier est pris en main par le psychologue de la compagnie.

"L'Agence de l'UE pour la sécurité aérienne avait demandé qu'il y ait des programmes de soutien psy dans les compagnies. Ce système, qui existait avant le drame de Germanwings, a été étendu dans toutes les compagnies."

Geoffroy Bouvet, ancien commandant de bord et instructeur

à franceinfo

Les médecins sont-ils davantage associés aux remontées d'informations sur l'état de santé des pilotes ?

La question qui a été posée par l'Agence de l'Union européenne pour la sécurité aérienne, c'est de rendre tous les médecins traitants privés responsables d'une partie de cette identification des problématiques de sécurité des vols liée à des troubles psychologiques des pilotes. Mais ça n'a pas été retenu par le Conseil national de l'Ordre français qui a considéré que le secret médical s'imposait quoi qu'il arrive. Donc aujourd'hui, on est un peu dans un flou. On sait qu'il y a des médecins qui, lorsqu'ils pensent qu'il y a une problématique de sécurité des vols, n'hésitent pas à faire remonter l'information. Le secret médical est toujours de mise, mais je sais qu'il y a eu des cas - très peu nombreux - où le médecin traitant a fait remonter les informations.

Y a-t-il encore des risques de voir un tel drame resurgir ?

Il faut identifier la dérive psychologique avant qu'elle n'aboutisse à un accident, et c'est pris très en amont. Aujourd'hui je pense que c'est bien contrôlé. Il y a eu sept événements dans le monde entier, entre les années 1980 et 2000, où on a soupçonné qu'il y ait eu une tentative de suicide du pilote. Je n'imagine pas aujourd'hui qu'on puisse avoir un nouveau cas du type Germanwings, il n'y a pas d'événements ou de signaux faibles qui permettent de penser que ça puisse un jour se reproduire.