Emplois en danger, dissuasion nucléaire, repreneur chinois... On vous résume les enjeux autour de l'usine chimique Vencorex, menacée de liquidation

Le tribunal de commerce de Lyon se penche, jeudi 10 avril, sur un dossier emblématique et stratégique pour la France et son industrie : l'avenir de l'usine chimique Vencorex, au Pont-de-Claix, près de Grenoble (Isère), menacée de liquidation judiciaire. Les juges doivent trancher entre une reprise partielle par un groupe chinois ou le rachat en coopérative par des salariés. Un choix particulièrement surveillé : la faillite de Vencorex, emblématique des difficultés de l'industrie chimique française, menace des centaines d'emplois directs et indirects mais aussi des intérêts stratégiques pour la France. Le sel produit par l'usine est indispensable à la fabrication de missiles de la dissuasion nucléaire et de fusées. Franceinfo vous résume les enjeux autour de l'usine Vencorex.

Des centaines d'emplois menacés

L'usine Vencorex est en redressement judiciaire depuis le 10 septembre, à la demande de son unique actionnaire, le groupe thaïlandais de pétrochimie PTT GC. L'usine chimique souffre de la concurrence chinoise et met en avant un marché devenu "hyper concurrentiel" depuis 2022. Les quelque 300 employés restants (ils étaient 450 en septembre 2024) craignent pour leur avenir.

Mais le dossier dépasse la seule usine du Pont-de-Claix, située au sud de Grenoble. Les syndicats et des personnalités politiques locales et nationales Jean-Luc Mélechon ou François Hollande se sont investis dans le dossier en se rendant sur place – s'inquiètent d'un effet domino sur l'ensemble de "la vallée de la chimie", qui emploie près de 6 000 personnes autour de Grenoble. Vencorex, qui produit un sel très pur, joue un rôle central pour la chimie régionale.

Son arrêt pourrait entraîner des fermetures en cascade : l'usine Arkema envisage par exemple de supprimer plus de 150 postes sur son site de Jarrie, à quelques kilomètres de Pont-de-Claix. La secrétaire générale de la CGT, Sophie Binet, estime que "près de 5 000 emplois sont en jeu" au total. L'hypothèse d'une nationalisation temporaire de Vencorex, réclamée par des élus et des syndicats, a été rejetée par le gouvernement de François Bayrou, qui estime que son activité "n'est pas viable selon tous les scénarios étudiés".

Une usine indispensable aux filières nucléaires et spatiales

L'engagement d'élus locaux et nationaux et le suivi du ministère de l'Economie répondent à deux enjeux : la sauvegarde de centaines, voire de milliers, d'emplois, mais aussi la préservation de la souveraineté française. Le sel produit par l'usine Vencorex apparaît comme indispensable pour les filières nucléaires et spatiales. Il est nécessaire à la fabricaton de missiles de la dissuasion nucléaire, comme les M51 qui équipent les sous-marins nucléaires français, et de fusées Ariane 6, comme l'explique Usine nouvelle

Alors qu'Arkema, dont la production dépend de Vencorex, a cessé de fournir du chlore à ses clients dans ces filières, le ministre de l'Industrie s'est voulu rassurant à ce sujet. "Il n'y a plus de risques de souveraineté liés aux difficultés de Vencorex, a estimé Marc Ferracci mercredi sur franceinfo. Nous avons pris toutes les mesures pour que l'approvisionnement en chlore de ces entreprises soit sécurisé."

Un potentiel repreneur chinois

Le tribunal de commerce de Lyon va devoir trancher entre deux options : une reprise partielle par un groupe chinois ou le rachat en coopérative par des salariés. La première offre vient du groupe chinois Wanhua, principal concurrent de Vencorex, via une filiale hongroise (BorsodChem). Il prévoit d'investir 10 millions d'euros et de ne conserver que 50 emplois. Wanhua avait précédemment proposé d'investir un million d'euros et de garder seulement 25 salariés.

L'autre offre émane de deux salariés de la CGT, aidés par un entrepreneur local. Ils envisagent de reprendre la totalité des actifs corporels et incorporels de Vencorex, ainsi que 273 employés sur les 301 que compte désormais l'entreprise. Les salariés proposent un prix symbolique de 2 euros pour cette reprise, qui se ferait sous la forme d'une société coopérative d'intérêt collectif (SCIC). "Notre ambition est de créer une plateforme d'innovation chimique, de nombreuses entreprises pourraient venir s'installer sur le site et fonctionner clés en main", a expliqué leur partenaire Olivier Six, PDG d'une entreprise d'ingénierie métallique voisine de Vencorex et élu d'opposition à Grenoble.

Pour la relance de l'usine, le projet appelé CIRCEI aura besoin de 20 millions d'euros de trésorerie au redémarrage, et de 120 millions à horizon 2029. Dans l'offre présentée au tribunal, que l'AFP a pu consulter, la SCIC compte sur 60 millions d'euros publics, sous forme de subventions, de capitaux, de quasi-fonds propres et de prêts. Auxquels il faudrait ajouter 40 millions d'emprunts auprès de banques. Environ 300 000 euros ont déjà été promis par des collectivités locales et la région Auvergne-Rhône-Alpes a confirmé sa volonté de s'investir, sans préciser de montant. Le ministre de l'Industrie, Marc Ferracci, a lui annoncé que l'Etat était prêt à apporter une aide d'un euro public pour un euro privé investi si l'offre de reprise déposée par d'anciens salariés est jugée viable économiquement par le tribunal.

Par ailleurs, un industriel asiatique s'est déclaré prêt à investir 44 millions d'euros dans ce projet de rachat en coopérative de Vencorex, si ce projet est validé par la justice, a appris l'AFP mercredi. Cette entreprise de chimie de spécialité, dont le nom n'a pas été divulgué, a déposé mardi une lettre d'intention en ce sens auprès du tribunal de commerce de Lyon.