La Pologne, américaine de cœur et européenne de raison, vote dimanche pour le second tour de l'élection présidentielle

"Ça se passe en Pologne, c'est-à-dire nulle part". Cette célèbre phrase marque le début de la pièce de théâtre d’Alfred Jarry, Ubu Roi, en 1895. Une époque où la Pologne n'existait plus, avalée par trois empires : la Russie, la Prusse et l'Autriche. Un véritable traumatisme pour un pays qui était indépendant entre 1025 et 1795. De tout temps, pendant la disparition de la Pologne entre 1795 et 1918, et durant l’époque soviétique de 1947 à 1989, la résistance polonaise a été très vivace, soutenue par l'Eglise catholique. Une église puissante, composée de structures clandestines très efficaces, notamment durant toute la période communiste. On se souvient de Solidarité, (Solidarnosc), le syndicat indépendant, né dans les chantiers navals de Gdańsk, et de son leader Lech Walesa. C’est l'Eglise catholique qui l'a aidé durant toute sa lutte. C’est elle qui lui trouvait des lieux de réunions et qui lui permettait de se cacher de la police politique, dans des églises.

Autre symbole de la lutte pour la liberté de la Pologne, le pape polonais (Karol Wojtyla) Jean-Paul II (1978-2005). Il était aussi le symbole de la diaspora polonaise, très importante aux Etats-Unis puisqu'on y compte environ neuf millions d’Américains d'origine polonaise, en particulier dans le nord-est, à New York et dans le Midwest. Mais on peut citer aussi le célèbre militaire polonais Tadeusz Kosciuszko (1746-1817), qui a participé à la guerre d'Indépendance américaine. Aujourd’hui encore, il est impensable de faire campagne aux Etats-Unis sans tenir compte de l’électorat américano-polonais. Et inversement, la vie politique américaine passionne les Polonais, tout comme la vie culturelle. Ce tropisme des Polonais pour les Américains s’explique très simplement par le fait que l'ami américain est le meilleur bouclier pour se protéger des Russes. Varsovie fait des Etats-Unis son principal fournisseur d’armes.

Pro-américains et ancrés dans l'Union européenne

Le retour au pouvoir de Donald Trump ne change pas la donne. L'ancien président Andrzej Duda (2015-2025) a toujours été un fidèle du président américain. Et il n'est pas le seul : tous les hommes politiques polonais se sentent proches de Washington et réciproquement. Zbigniew Brzezinski, Américain d'origine polonaise, fut conseiller à la sécurité nationale des présidents américains Lyndon Johnson et Jimmy Carter.

Les Polonais sont aussi des Européens convaincus, comme le sont de nombreux peuples d'Europe centrale. On pense aux Finlandais, aux pays baltes, aux Tchèques, aux Roumains ou encore aux Bulgares. Tous savent que l'Europe est pour eux la seule solution.

Les sondages en Pologne ne disent pas autre chose. 91% des Polonais sont traditionnellement favorables à l'Union européenne. Le "Polexit" ne fait pas recette. Certes, l'extrême-droite tient un discours eurosceptique, loin de l'europhile Plateforme civique de l’actuel Premier Ministre Donald Tusk, mais elle reste toutefois très mesurée. Tout comme le PiS (Droit et Justice), le parti de droite nationale-conservatrice de Jaroslaw Kaczinski. Il ne faut pas oublier que le PiS est issu, comme la Plateforme civique, du syndicat Solidarité. Conséquence : l'actuel  gouvernement polonais, comme tous les gouvernements du pays depuis la chute du mur de Berlin, qu'ils soient de droite conservatrice, libéraux ou sociaux-démocrates, ont toujours choisi le camp européen. L'Europe est pour la Pologne un "vaccin" contre l'impérialisme russe.

Varsovie est ainsi bien représentée dans des structures européennes. À titre d'exemple, le Groupe de Visegrad (V4), crée en 1991, regroupe la Pologne, la République tchèque, la Slovaquie et la Hongrie, quatre nations qui ont rejoint l'UE en 2004. Une alliance qui n'est pas récente puisque ce groupe de Visegrad est une référence au Congrès de Visegrad de 1335 et de l'union entre les rois de Hongrie, de Bohême-Moravie et de Pologne. Ce groupe est actuellement moins actif en raison de tensions entre ses membres. 

La Pologne fait aussi partie du "Triangle de Weimar" avec l'Allemagne et la France. Ce triangle de coopération est né en 1991, juste après la chute du communisme. Il retrouve actuellement des couleurs, notamment depuis l'arrivée au pouvoir de Donald Tusk en décembre 2023. La Pologne est un partenaire attractif avec une croissance de près de 3 %. 

Solidarité avec l'Ukraine 

La Pologne a démontré une énorme solidarité envers l'Ukraine en accueillant un million de réfugiés ukrainiens. Bien que l'Ukraine ait fait partie du Royaume de Pologne pendant des siècles, les relations historiques ne sont pas sans complexité, notamment en raison des massacres de civils polonais par des nationalistes ukrainiens en Volhynie pendant la Seconde Guerre mondiale. Cette "terrible blessure historique" explique le refus du gouvernement polonais d'envoyer des soldats en territoire ukrainien.
Il n'empêche, la Pologne parle fort pour l'ensemble des nations d'Europe centrale sur le dossier ukrainien. 

Et cela ne devait pas changer, du moins pas au niveau de la politique extérieure. Même le candidat du PiS Karol Nawrocki s'est engagé à maintenir le soutien de la Pologne à l'Ukraine. En revanche, avec son slogan "La Pologne d'abord, les Polonais d'abord", il a donné le ton sur le plan intérieur : s'il est élu, il remettra en cause les aides accordées aux réfugiés ukrainiens.