Négociations commerciales : "Ce n'est pas parce que l'industriel demande un tarif qu'il l'obtient", souligne le PDG de l'ILEC
"Ce n'est pas parce que l'industriel demande un tarif qu'il l'obtient forcément", souligne, lundi 3 mars, Nicolas Facon, PDG de l'Institut de liaison des entreprises de consommation (ILEC), le lobby des multinationales de grande consommation, celles qui remplissent les trois quarts de nos paniers de courses : Mars, Panzani, Heineken, Lactalis, Ferrero, Fleury Michon, entre autres. Ces entreprises ont participé aux négociations commerciales avec la grande distribution, closes à minuit, le samedi 1er mars.
Les industriels qu'il représente ont demandé dès le début de ces négociations des augmentations de l'ordre de "4 et 5% en moyenne à peu près", dit Nicolas Facon. "C'est le choix de chaque entreprise de fixer ses niveaux tarifaires. Ce qui est clair, c'est que d'abord entre la demande tarifaire que vous faites et puis l'accord que vous négociez, évidemment il y a un écart", poursuit-il.
franceinfo : Va-t-on voir des prix baisser dans les rayons des supermarchés ?
Nicolas Facon : Il est trop tôt pour que je puisse vous apporter une réponse, parce que je n'ai pas le bilan complet, exhaustif. On commence à avoir des remontées de nos adhérents, qui sont plutôt sur le taux de signatures. Il va falloir attendre un petit peu.
"D'ailleurs, la DGCCRF, en ce moment, tourne dans les entreprises justement pour regarder comment ça s'est signé et à quel niveau."
Nicolas Faconsur franceinfo
Par contre, sur les signatures de contrats, ce soir, on est à peu près à deux tiers des contrats trouvés et signés. C'est-à-dire qu'au moment où on se parle, tout n'a pas été signé et tous les accords n'ont pas été trouvés. Soit, ils ont été trouvés, mais ils restent à signer, donc il y a du retard en signature. Soit, les accords ne sont pas encore trouvés, et c'est là où se pose le problème. C'est-à-dire que les industriels et les distributeurs n'ont pas réussi à se mettre d'accord.
Ça fait pourtant partie des obligations liées à ces négociations. On va revenir sur les prix, parce que la grande distribution est plus loquace que vous et elle évoque déjà des baisses de prix pour les pâtes, pour l'huile d'olive, le sucre, les produits d'hygiène et d'entretien : -2%, c'est le bruit qui court. Et des augmentations pour des produits qui seraient à base de beurre, donc les biscuits, à base de chocolat, de café, de jus d'orange, là, on évoque +15%. Pour le lait et les yaourts quelques centimes. De votre côté, vous avez demandé des augmentations lors de ces négociations dès le début, de quel ordre ?
Les tarifs des industriels que je représente étaient entre 4 et 5% en moyenne à peu près. Évidemment, comme vous le dites, il y a des différences par secteur, par type de marché, par type de matières premières. Le café a doublé en termes de prix de la matière première. Le cacao a été multiplié par quatre en deux ans. Le jus d'orange, il n'y en a plus en Floride.
"Il y a des pénuries mondiales qui touchent certains produits, d'autres produits ont plutôt baissé. Donc on va avoir des différences selon les différents acteurs."
Nicolas Faconsur franceinfo
Dans la demande tarifaire, ce n'est pas parce que l'industriel demande un tarif qu'il l'obtient forcément, il y a à la fois de la matière première et des coûts de matières premières qui peuvent évoluer. Il y a des coûts de production industrielle, et là, c'est l'ensemble des coûts, c'est l'énergie, c'est le transport, c'est le salaire, ce sont les emballages.
On ne parle plus d'inflation, l'Insee nous le dit depuis un an maintenant, elle reflue. C'est un argument que vous n'avez plus.
Je ne suis pas là pour argumenter, je suis là pour regarder les faits, essayer de les voir les plus objectifs et les plus chiffrés possibles. On a vécu une période extrêmement inédite qui a été le choc d'inflation 2022-2023, qui a touché évidemment les consommateurs et notamment les plus modestes, de façon importante. Mais ce qu'il faut voir, c'est que ça a touché toute l'économie, parce que finalement tout a augmenté à deux chiffres : l'énergie, le transport, les emballages, les matières, le salaire, etc. Tout a explosé.
Mais les produits en rayon aussi, donc vous avez déjà remboursé vos augmentations ?
Oui, l'industrie a passé une partie de ses coûts de production. Pour vous donner un chiffre, nous, on estime à peu près que l'industrie a pris 4,5 milliards de hausse de coût de production, donc c'est énorme. Elle en a répercuté que 3 milliards, donc elle a absorbé 1,5 milliard. Absorbé, ça veut dire quoi ? Ça veut dire qu'elle a réduit ses dépenses, elle a réduit ses investissements, elle a réduit ses marges. Donc l'industrie a fait cet effort-là pour effectivement réduire l'impact de l'inflation. Vous avez raison, on a passé ce cap-là. On est revenu finalement aujourd'hui à une inflation normale, entre 1 et 2%.
Mais vous, les très grandes entreprises, vous demandez en gros 4 à 5% d'augmentation, quand les PME demandent 3% d'augmentation pour les mêmes produits. Pourquoi cet écart ?
C'est le choix de chaque entreprise de fixer ses niveaux tarifaires. D'abord entre la demande tarifaire que vous faites et puis l'accord que vous négociez, évidemment il y a un écart. Après, c'est le choix de chaque entreprise de se positionner, d'être plus ou moins agressive, d'aller plus ou moins chercher des volumes ou de restaurer parfois des marges qui ont été abîmées par justement ce choc d'inflation. Ça, c'est la liberté de chacun.
"Chaque entrepreneur prend ses décisions. Et s'il est excessif dans ses tarifs, il va le payer parce qu'il a des concurrents, parce qu'il a des consommateurs qui ne vont pas le suivre."
Nicolas Faconsur franceinfo
Ce qui se passe au quotidien, c'est que finalement l'industriel, il fait ce choix entre sa compétitivité, et tout le monde est à la recherche de volume, tout le monde doit faire tourner ces usines, et puis aussi la nécessité de faire des marges. Parce qu'encore une fois, les marges, ce n'est pas un gros mot. Les marges, c'est l'investissement de demain et c'est l'emploi d'après-demain. C'est aussi la pérennité des entreprises.
Que donnent les premiers contrôles de la direction de la consommation, la DGCCRF ? Il y en avait eu environ un millier l'an dernier. Elle a commencé dès dimanche. Quelles sont les premières remontées ?
Ça non plus, je ne sais pas. Il y a eu un comité de suivi interministériel des négociations le 18 février : les deux ministres ont été très clairs. Le ministre de la Consommation et le ministre de l'Agriculture ont dit qu'il va y avoir des contrôles, parce qu'on veut que les accords soient bien signés. Donc, voilà, tout le monde a été prévenu. Les services de la DGCCRF aujourd'hui tournent dans les entreprises.
Qu'est-ce qu'elle regarde ?
Elle regarde les contrats signés. Est-ce qu'ils ont été signés ? Comment ils ont été signés ? Ce n'est pas tout de signer, encore faut-il que ce soit bien signé, puisqu'effectivement, il faut que ce soient des contrats qui soient équilibrés de part et d'autre. Donc, ils sont en train de regarder tout ça et après, ils jugeront de ce qu'ils doivent faire ou pas.
Le climat de ces négociations commerciales a été, semble-t-il, encore plus tendu que d'ordinaire. On avait le sentiment que c'était difficile de faire pire, et ça l'a été ?
Oui, ça l'a été, si on regarde les déclarations des uns et des autres. D'un côté, il y a une industrie, comme je le disais, qui est sortie affaiblie du choc d'inflation, contrairement à ce qu'on a pu entendre dire. Et de l'autre côté, une distribution qui disait, on veut des baisses de prix et des baisses de prix très importantes et qui nous ramèneraient aux prix d'avant la crise. Sauf que les prix de production n'ont pas baissé à ce niveau-là.
On évoque même, pendant ces négociations, une sorte de chantage au déréférencement, c'est-à-dire des produits qui ne seraient pas en rayon dans les supermarchés. Avez-vous pu le constater ?
Oui, malheureusement. Qu'il y ait des négociations, c'est normal entre entreprises. Qu'elles se passent avec de la tension, c'est normal aussi puisque chacun, finalement, essaye de négocier au mieux.
Là, il y avait un cran de plus ?
Là, il y avait un cran de plus. Là où c'est un problème, c'est quand il y a des pratiques déloyales, c'est-à-dire quand on abuse de sa force pour extorquer des conditions qu'on n'aurait pas.
Les grandes chaînes de supermarchés dénoncent toutes la même chose : le manque de transparence sur la part agricole que vous utilisez, vous, les industriels dans chaque produit, du gâteau sec aux plats cuisinés, la quantité, le prix payé aux agriculteurs. Ce ne serait pas plus clair de donner cette information ?
Mais on la donne en fait, on la donne en permanence.
Mais ils ne la reçoivent pas.
Mais si, ils le reçoivent. Puisqu'effectivement, quand vous présentez un tarif, il faut bien que vous l'expliquiez. Ça a toujours existé. Vous devez bien expliquer pourquoi, parce que vous devez finalement vous défendre par rapport à votre concurrent, donc vous êtes obligé à le faire. Et j'ajouterais même que la distribution, elle fait aussi des produits de marques distributeurs qui sont des copies des marques nationales. Puisqu'elle donne le cahier des charges de ces produits-là, elle négocie les produits MDD (marque de distributeurs), elle connaît parfaitement les coûts de production.