Qui sont les Druzes, cette minorité du Proche-Orient, au cœur du conflit actuel en Syrie ?

Tout est parti de l'enlèvement d'un marchand de légumes druze par des malfrats bédouins. Depuis dimanche 13 juillet, des affrontements entre des tribus bédouines sunnites et des combattants druzes ont éclaté dans la province de Soueïda, dans le sud de la Syrie. Le bilan est de plus de 350 morts, selon l'Observatoire syrien des droits de l'homme (OSDH). Le gouvernement syrien avait déployé, mardi, des forces dans la région dans l'objectif affiché de rétablir l'ordre.

Mais Israël, hostile à toute présence militaire syrienne près de sa frontière et disant vouloir protéger la communauté druze, a répliqué en bombardant Damas et d'autres zones du pays. Le président syrien Ahmed al-Charaa a ainsi annoncé jeudi le transfert "à des factions locales et des cheiks" druzes la responsabilité du maintien de la sécurité à Soueïda, affirmant vouloir éviter "une guerre ouverte" avec Israël. Et les forces gouvernementales se sont retirées de la province de Soueïda à la suite d'un accord de cessez-le-feu. Mais qui sont les Druzes, cette minorité chiite au cœur du conflit ? Eléments de réponse.

Une minorité apparue au XIe siècle, répartie entre Israël, le Liban et la Syrie

La pensée druze est apparue en Egypte au début du XIe siècle comme une secte au sein du chiisme, l'un des principaux courants de l'islam. Elle reste perçue comme un courant ésotérique par l'islam dominant. Entourée d'une forme de secret, elle intègre des éléments mystiques comme la croyance en la réincarnation dans l'homme. "On ne sait pas qu'ils sont druzes tant qu'ils ne le disent pas", explique auprès de l'AFP Makram Rabah, professeur adjoint d'histoire à l'université américaine de Beyrouth.

La communauté n'accepte pas de nouveaux convertis et décourage les mariages hors de la communauté. Les fêtes religieuses druzes coïncident avec le calendrier musulman. La tenue traditionnelle druze est noire. Les hommes portent des bonnets blancs ou des turbans et la moustache, les femmes se couvrent la tête et une partie du visage avec un long voile blanc.

Des hommes druzes dans le village de Qalb Lozeh, dans le nord de la Syrie, le 7 janvier 2012. (FREDERIC SOREAU / PHOTONONSTOP / AFP)
Des hommes druzes dans le village de Qalb Lozeh, dans le nord de la Syrie, le 7 janvier 2012. (FREDERIC SOREAU / PHOTONONSTOP / AFP)

Les Druzes forment une minorité au Proche-Orient, répartie entre Israël, le Liban et la Syrie, qui cherche à préserver son identité. Makram Rabah évoque "une communauté supratribale qui transcende l'espace et la géographie". Les plus d'un million de Druzes du Proche-Orient "ont joué un rôle très important" dans la région, ajoute le spécialiste, précisant qu'ils font partie "des communautés fondatrices" au Liban et en Syrie.

Environ 700 000 Druzes en Syrie avant le début de la guerre civile

Avant le début de la guerre civile en 2011, la Syrie comptait, selon des estimations, environ 700 000 Druzes, soit 3% de la population. Ils parlent l'arabe, la langue commune à tout le pays qui abrite une mosaïque de communautés. Selon l'universitaire, poète et calligraphe Sami Makarem (1931-2012), ils ont commencé à migrer vers le sud de la Syrie au XVIe siècle, dans une région aujourd'hui dénommée Jabal al-Druze, dans la province de Soueïda.

Les Druzes syriens sont principalement concentrés dans cette province voisine de Qouneitra et la banlieue de Damas, notamment à Jaramana et Sahnaya, touchées au printemps par des violences confessionnelles.

Les Druzes sont également implantés au Liban (environ 200 000 personnes), mais aussi en Israël. Selon les dernières données disponibles, ils étaient 152 000 établis sur le sol de l'Etat hébreu. Contrairement aux autres Arabes israéliens, ils sont soumis à l'enrôlement obligatoire dans l'armée. Sur le plateau syrien du Golan, annexé par Israël en 1967, plus de 22 000 Druzes ont un statut de résident permanent, mais seuls 1 600 ont accepté de prendre la nationalité israélienne, les autres restant attachés à leur identité syrienne, selon l'AFP. Ils vivent majoritairement dans la ville de Majdal Shams. 

L'annexion du Golan par Israël a séparé des familles, bien que les Druzes du Golan aient souvent pu se rendre en Syrie pour étudier ou assister à des mariages. Depuis le début des affrontements, dimanche, de nombreux Druzes ont tenté de traverser la frontière entre Israël et la Syrie dans les deux sens. Des soldats israéliens ont tiré des gaz lacrymogènes pour les en empêcher.

Officiellement soutenus par Israël depuis la chute de Bachar al-Assad

Depuis la chute du président Bachar al-Assad en décembre, Israël a multiplié les gestes d'ouverture envers les Druzes en Syrie, une solidarité diversement appréciée dans la communauté. Walid Joumblatt, 75 ans, qui a pris la relève de son père, a exhorté les Druzes de Syrie à rejeter "l'ingérence israélienne". Les leaders druzes de Syrie ont réaffirmé leur loyauté envers une Syrie unie, certains appelant cependant à une protection internationale après les violences du printemps.

En Israël, le chef spirituel druze, cheikh Mowafaq Tarif, a pour sa part appelé l'Etat hébreu à protéger les Druzes de Syrie. C'est ce qu'a fait Israël en bombardant mercredi la capitale syrienne, Damas. "Nous sommes déterminés à protéger les Druzes et nous le faisons par des opérations militaires intenses", a déclaré le Premier ministre israélien, Benyamin Nétanyahou. 

Victimes d'humiliations et d'exécutions sommaires par les forces gouvernementales syriennes

Le régime syrien est accusé par l'OSDH d'avoir aidé les combattants bédouins, qui sont "dans un esprit de revanche" depuis la chute de Bachar al-Assad en décembre dernier, expliquait à franceinfo Adel Bakawan, directeur de l'Institut européen pour les études sur le Moyen-Orient et l'Afrique du Nord. Le déploiement des forces gouvernementales dans la province de Soueïda visait, "officiellement", à "séparer les deux camps et mettre fin aux violences, soulignait Adel Bakawan. Sauf qu'elles ont, en réalité, pris fait et cause pour les combattants bédouins." Un ralliement confirmé par l'OSDH. Selon cette organisation basée au Royaume-Uni, une vingtaine de Druzes ont été victimes d'"exécutions sommaires".

De nombreux civils druzes se sont retrouvés coincés dans ces affrontements. "J'étais sortie de chez moi quand on a entendu les coups de feu. En plus, mon mari est en voyage…", a confié à franceinfo Aïcha, 44 ans, blessée alors qu'elle quittait précipitamment sa maison prise sous les tirs. L'hôpital d'Izraa a été débordé par l'afflux de blessés druzes.

Dans une vidéo devenue virale, filmée dans la province de Soueïda, un dignitaire druze en Syrie a été humilié en se faisant raser la moustache. Sur ces images, le cheikh Merhej Chahine, 80 ans, apparaît impuissant devant son domicile. Un homme en treillis militaire lui tient la tête d'une main et lui rase la moustache de l'autre, comme on peut le voir sur cette vidée postée sur X par une Druze libanaise.

"Ils ont filmé mon grand-père et diffusé la vidéo en laissant penser qu'ils l'avaient laissé en vie, mais nous avons perdu tout contact avec lui pendant plusieurs heures", a raconté à l'AFP Christine Chahine, journaliste installée à Beyrouth et petite-fille du dignitaire. "Ma tante a essayé à plusieurs reprises de l'appeler. Vers 20 heures, quelqu'un a fini par répondre et lui a lancé, sur un ton moqueur, qu'il avait 'trouvé la mort'." La présidence syrienne s'est engagée à "punir" les auteurs d'exactions.