Malgré l’ampleur de la catastrophe sanitaire, les lobbies pourraient réussir à obtenir des concessions sur la définition des PFAS, ces polluants éternels qui empoisonnent le monde entier. C’est ce que dénoncent une vingtaine de chercheurs dans une lettre publiée mardi 10 juin dans la revue scientifique Environmental Science and Technology.
« Nous craignons que cet exercice ne repose sur des motivations politiques et/ou économiques plutôt que scientifiques », alertent-ils, alors que l’usage des PFAS doit être régulé à grande échelle au sein de l’Union européenne (UE) d’ici 2026 à 2027. Mis en place dans le cadre du règlement Reach – pour enregistrement, évaluation, autorisation et restriction des substances chimiques -, ce projet visant à réduire les effets de ces polluants éternels se base sur la définition de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE).
Une « nouvelle base de données mondiale »
Cette dernière a statué, en 2018, sur un cadre permettant d’englober 4 730 substances « identifiées et classées manuellement » dans le cadre de ce qui devait alors devenir une « nouvelle base de données mondiale et complète » sur les PFAS. Des travaux complémentaires réalisés en 2021 ont permis de prolonger la liste à 10 000 substances. Or, comme le révélait le Forever Lobbying Project, une enquête coordonnée par le Monde et publiée par trente médias le 15 janvier dernier, le Conseil européen de l’industrie chimique (Cefic) – la plus puissante organisation de lobbying du continent – tente de torpiller ce projet européen d’interdiction des PFAS.
Fruit d’un travail de longue haleine, rendue possible par la consultation de 184 documents publics dispersés dans seize pays, cette enquête démontre que des lobbies ont tenté de ralentir la mise en œuvre du projet européen en inondant de contributions la consultation publique de l’Agence chimique européenne (ECHA), une agence indépendante de l’UE. En juin 2024, l’Union internationale de chimie pure et appliquée (IUPAC) a lancé, selon le chimiste de l’environnement suisse et signataire de la lettre Martin Scheringer, une opération qui vise à « saper » le travail de l’OCDE.
L’IUPAC estime qu’une telle interdiction « semble difficilement réalisable » et souhaite donc établir sa propre définition, avec la création d’un groupe « terminologie et classification » des PFAS. Un groupe dont « certains experts collaborent régulièrement avec les industriels des PFAS sans qu’aucune déclaration d’intérêts ne le signale sur le site de l’IUPAC », rappelle le Monde. L’objectif d’une telle opération est de couper l’herbe sous le pied aux autorités européennes, le tout afin de sauver plusieurs substances. Par exemple les fluoropolymères, un matériau isolant qui est utilisé pour des vêtements de pluie et des câbles électriques.
Problème, « la production et la gestion des déchets qui en dérivent sont responsables de 80 % de la contamination de l’environnement par les PFAS », alertent les vingt scientifiques derrière la lettre. Ou encore les gaz fluorés de type PFAS, notamment présents dans les appareils de climatisation, dont les autorités allemandes – qui ont été chargées par l’UE d’en étudier la toxicité – viennent d’en proposer la classification comme toxique pour la reproduction.
Malgré les alertes d’acteurs politiques et syndicales, les enquêtes des médias, les récits partagés par des victimes, les PFAS – fruits de la surconsommation mondialisée et du peu de considération des acteurs capitalistiques pour l’environnement – continuent ainsi d’être défendus corps et âme.
La science et la conscience
Nous avons besoin de vous pour porter dans le débat public la voix d’un média libre, qui porte haut les combats du monde de la recherche, partage ses découvertes.
- Ainsi, l’Humanité Magazine est partenaire de l’Académie des sciences depuis 2015 pour révéler chaque mois le meilleur de la recherche scientifique.
- Sur Humanité.fr, dans l’Humanité magazine et chaque mardi dans l’Humanité, retrouvez l’actualité scientifique décryptée par nos journalistes spécialisés.
Aidez-nous à alimenter la réflexion sur les enjeux éthiques, politiques et sociétaux qui accompagnent le progrès scientifique.
Je veux en savoir plus !