Accusé d’avoir agressé sexuellement Adèle Haenel, le réalisateur Christophe Ruggia connaîtra sa peine ce lundi après-midi

L’audience s’était résumée, pour nombre de médias et d’observateurs extérieurs, à la détresse et l’exaspération d’Adèle Haenel, tant visible dans ses gestes (mâchoire serrée, coups de poing dans le pupitre, yeux levés au ciel) que dans ses prises de parole («gros menteur », « ferme ta gueule ! »). La cible de sa détresse : le réalisateur Christophe Ruggia, accusé par la comédienne de multiples agressions sexuelles, alors qu’elle n’était âgée que d’une dizaine d’années.

Mardi 10 décembre 2024, c’est surtout un moment charnière pour le cinéma français – et pour le #MeToo français – qui se jouait. Lorsque l’actrice accuse le cinéaste, sur le site d’investigation Mediapart, en 2019, elle déclenche l’émergence, en France, du mouvement né aux États-Unis, suite aux voix s’étant élevées face aux agissements du producteur Harvey Weinstein.

« La justice nous ignore, on ignore la justice »

Le tribunal correctionnel de Paris rendra son jugement ce lundi 3 février, à 13 h 30. Christophe Ruggia, 60 ans, et Adèle Haenel, 35 ans, seront présents, ont annoncé leurs avocats. À l’issue du procès, qui s’est tenu du 9 au 10 décembre, l’accusation a requis cinq ans de prison, dont deux fermes aménagés sous bracelet électronique à l’encontre du réalisateur, qui a contesté jusqu’au bout avoir agressé Adèle Haenel entre ses 12 et 14 ans. Si le tribunal suit les réquisitions, Christophe Ruggia n’ira donc pas en prison.

La procureure Camille Poch avait alors défendu l’utilité de s’engager dans de telles procédures : « J’interviens souvent devant cette 15e chambre, avec des salles beaucoup moins pleines, mais je tiens à rappeler que les faits examinés ici sont extrêmement fréquents. La justice doit être un levier pour celles et ceux qui n’en ont pas d’autres. » La représentante du parquet faisait alors référence à la défiance d’Adèle Haenel vis-à-vis de l’institution judiciaire et son refus initial de porter plainte – « la justice nous ignore, on ignore la justice », avait-elle lancé.

La comédienne, alors préadolescente, a interprété le rôle principal du long-métrage Les Diables (2001), une histoire de fugue perpétuelle d’un frère et d’une sœur qui tourne à l’inceste, avec des scènes de sexe entre les enfants et de longs gros plans sur le corps nu d’Adèle Haenel. Plusieurs adultes sur le plateau avaient exprimé leur « malaise » face au comportement « déplacé » du réalisateur, Christophe Ruggia, alors presque quadragénaire, avec l’actrice.

Les agressions sexuelles qu’a dénoncées Adèle Haenel auraient débuté chez le réalisateur, après le tournage du film – sous couvert de préparation de sa promotion. Et se seraient poursuivies quasiment tous les samedis après-midi pendant les années de quatrième et troisième de l’adolescente.

« Tu n’as rien fait de mal »

À la barre, l’actrice, qui s’est mise aujourd’hui en retrait du cinéma, a décrit le processus toujours identique des agressions. Elle assise sur le canapé, lui qui vient « se coller » l’air de rien au fil de la conversation parce que « ma puce (t’es) vraiment trop drôle ». Puis les mains qui passent sous le T-shirt, dans son pantalon. Après le « goûter », le cinéaste la ramenait chez ses parents.

Lors du procès, l’avocate de la comédienne, Me Anouck Michelin, s’était adressée à l’Adèle Haenel enfant dans sa plaidoirie : « Tu n’as rien fait de mal. Ce n’était pas à toi de décider de faire ce film, de tourner pendant trois mois, avec des scènes de nu, d’aller chez Christophe Ruggia… Rien de tout ça n’est de ta faute ! » Puis, en direction du réalisateur accusé d’agressions sexuelles : « Ce diamant, vous ne l’avez pas découvert. Vous l’avez martelé, comme un mauvais artisan. Pour garder pour vous votre « Marilyn », à disposition dans votre appartement. »

Lors du procès, Adèle Haenel avait quant à elle trouver les mots justes pour décrire l’impossibilité de sortir de cet engrenage, face à un adulte qui n’avait, contrairement à ce qu’il laissait entendre, « pas eu de chance de tomber amoureux d’elle », cette « adulte dans un corps d’enfant ». Le réalisateur a, de son côté, tenté d’expliquer qu’il avait souhaité la protéger des retombées du film dans la vraie vie, lui suggérant notamment qu’elle prenne « un nom d’emprunt ».

Adèle Haenel avait ensuite quitté la salle – comme lors de son départ de la cérémonie des César en 2020, après la remise du prix du meilleur réalisateur à Roman Polanski – un geste qui l’avait érigée en symbole des féministes. En cause : la défense de Christophe Ruggia, qui n’a pas hésité à accuser l’actrice d’avoir enclenché une « vengeance », car il aurait refusé de la faire jouer à nouveau.

« Il a fait le choix d’agresser sexuellement. Il avait toute sa conscience d’homme, d’adulte pour agir autrement, avait alors balayé la procureure Camille Ploch. Cette audience doit rappeler l’interdit, qui était l’adulte, qui était l’enfant. Elle doit remettre le monde à l’endroit. » Les avocates de Christophe Ruggia, Fanny Collin et Orly Rezlan, ont plaidé la relaxe, même si aux yeux de tous il est déjà « coupable », ont-elles déploré, craignant que le tribunal ne soit tenu « de rendre justice le pistolet sur la tempe ». Les avocats de l’actrice, Yann Le Bras et Anouck Michelin, ont de leur côté demandé 30 000 euros en réparation du préjudice moral et 31 000 en réparation d’années de suivi psychologique.

Avant de partir, une dernière chose…

Contrairement à 90% des médias français aujourd’hui, l’Humanité ne dépend ni de grands groupes ni de milliardaires. Cela signifie que :

  • nous vous apportons des informations impartiales, sans compromis. Mais aussi que
  • nous n’avons pas les moyens financiers dont bénéficient les autres médias.

L’information indépendante et de qualité a un coût. Payez-le.
Je veux en savoir plus