80 ans après… un monde en miettes ?

Nous venons de fêter les 80 ans de la sortie de la Seconde Guerre mondiale. La destruction du nazisme et du fascisme, qu’on aurait tort de confondre, et de l’impérialisme militaire du Japon devaient ouvrir une ère de paix, que la fondation d’organismes internationaux comme l’ONU, l’Unesco ou encore l’Organisation mondiale de la santé pouvait laisser espérer. Un monde devenait possible, celui de la prise de conscience que le génocide des juifs, des Tziganes aussi, n’était plus possible au nom de la définition de crime contre l’humanité. L’URSS sortait grandie par le sacrifice de près de 20 millions de Soviétiques, civils et militaires qui avaient combattu de toutes leurs forces « pour une juste cause », comme l’écrit dans son épopée Vassili Grossman.

Il ne s’agit pas de réécrire selon une mythographie passéiste ces années de sortie de guerre. Staline impose alors une main de fer dans son pays, toujours plus terrorisé par ses méthodes meurtrières. Les États-Unis ne conçoivent le monde que sous leur domination guerrière et refusent, en vain, toute espèce d’émancipations en Chine, en Corée, mise à feu et à sang, en Indochine, où ils soutiennent la France. La Seconde Guerre a en effet réveillé les pays colonisés et, si le 8 mai est une date victorieuse, c’est aussi une tache de sang en Algérie, à Sétif, Guelma ou Kherrata, où l’armée française massacre des manifestants nationalistes algériens. En métropole, les manifestations sont durement réprimées et marquent l’après-guerre, comme les grèves de 1947 et 1948 le prouvent.

La cohérence de la résistance contre toute atteinte aux droits fondamentaux demeure comme la seule constante de l’histoire.

La guerre mondiale est terminée mais laisse la place à des guerres de décolonisation, des guerres civiles, des guerres sous-continentales, ou entre pays. Pourtant, quatre-vingts ans plus tard, qui eût pu dire en 1945 que l’Ukraine serait en guerre contre la Russie ? Qui aurait pu dire que les juifs, après avoir conquis leur patrie et être devenus israéliens, pratiqueraient une guerre aux aspects génocidaires contre une autre population ? Qui aurait pu dire que les États-Unis, refusant toute possibilité de se voir dépasser par la Chine, devenue la première puissance capitaliste du monde, en seraient réduits à pratiquer une explosion des droits de douane, inspirée par un néofascisme conservateur ?

Aujourd’hui, beaucoup semblent insister sur cette bascule rapide du monde héritée de la paix de 1945. Pourtant l’érosion de cet héritage n’est pas récente. Les acquis du CNR et de la refondation de la République française sur l’idée de sécurité sociale et de solidarité nationale sont battus en brèche depuis de longues années. Les États-Unis sont sans cesse en opération militaire d’ingérence politique depuis 1945.

L’explosion de la Russie et de la Yougoslavie a ramené sur le sol européen la guerre, et la décolonisation de l’Afrique n’a pas permis de rendre à ce continent la place que ses richesses et que son potentiel humain laissaient espérer. Pire, la bête immonde est de retour. Et une petite sourdine se met en place, sur l’implacabilité de ces phénomènes, sur l’irréversibilité d’une réaction, sur l’irréductibilité d’une période de contre-révolution dans un monde émietté, rongé par les fanatismes religieux, les communautarismes réducteurs, la montée des fascismes.

Pourtant, il n’y a qu’une réalité inéluctable, c’est celle de la lutte. Le monde change et n’a pas changé. Le sens du combat pour la liberté contre le libéralisme, l’origine de la lutte pour l’indépendance des pays contre la mondialisation capitaliste, la cohérence de la résistance contre toute atteinte aux droits fondamentaux de toutes les personnes, et désormais pour protéger la nature, demeure comme la seule constante de l’histoire qu’il faut cultiver et retenir. Dans un monde atomisé, quatre-vingts ans après 1945, l’esprit de résistance doit animer chacune et chacun d’entre nous. Il n’est, pour faire vivre cet esprit civil et civique, humaniste et égalitaire, que de le vouloir.

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120 ans plus tard, il n’a pas changé.
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