TÉMOIGNAGE. Guerre en Ukraine : "On ne veut pas la paix à n’importe quel prix", assure le commandant du bataillon qui défend la ville de Pokrovsk
Serhii Filimonov, commandant du bataillon qui défend Pokrovsk, est à l’hôpital avec deux frères d’armes quand franceinfo le rencontre. L’un est blessé à l’œil. L’autre, le regard étrangement brillant, a les mains, les doigts, le cou, noircis de tatouages. Depuis sept mois leur bataillon tient le front de Pokrovsk, cette ville-clé de l’est de l'Ukraine pour la logistique militaire et l'industrie du charbon, face à un ennemi en surnombre.
La Russie continue d’envoyer au front des troupes qui semblent en nombre inépuisable. À cela s’ajoute la pénurie d’engins, de munitions, d’hommes, ajoute Serhii Filimonov. "L’ennemi n’a plus que quelques kilomètres à faire pour prendre une des routes principales", déclare-t-il.
À 30 ans, Serhii Filimonov est déjà un vétéran. Il était engagé dès 2014 dans la guerre du Donbass, a été plusieurs fois blessé, et est un ancien du célèbre bataillon Azov, connu autant pour la bravoure de ses combattants que pour leur nationalisme. "La méthode de l’ennemi, c’est la boucherie. (…) Pendant la bataille de Bakhmout, on tuait 30 à 50 ennemis par jour, mais là, c’est beaucoup plus. Il y a des jours où la brigade peut tuer 300 à 350 personnes par jour".
Un gel du conflit serait "profitable aux Russes"
Ces chiffres sont évidemment invérifiables. Mais un vide vertigineux se lit dans les yeux du combattant, au visage fermé. "Les chiffres sont dingues. C’est très parlant, quand on voit les bosquets pleins de cadavres. C’est à ce rythme qu’ils font la guerre", décrit-il.
"Ils marchent sur les cadavres. Si nous on est épuisés, la Russie aussi est à bout de forces."
Serhii Filimonov, commandant du bataillon qui défend Pokrovskà franceinfo
Quand on lui parle de cessez-le-feu, l’homme croise ses bras sur sa poitrine. "Quand on parle de geler le conflit, ce sera profitable aux Russes, car si on leur laisse le temps de panser leurs blessures, c’est sûr qu’ils trouveront les hommes, les armes, les moyens et l’argent pour détruire l’Ukraine et après faire la guerre à l’Europe". Pour Serhii Filomonov, pas de cessez-le-feu sans envoi de troupes occidentales ni garanties de sécurité solides.
Il y a deux jours, le soldat a perdu un de ses plus vieux compagnons. "On ne veut pas la paix à n’importe quel prix. On préférerait la victoire pour que ces morts ne soient pas inutiles et que d’autres frères d’armes ne meurent encore". Son regard, comme une épée, reste planté au loin, sur une ligne de front qu’il n’entend pas quitter.