Au Soudan, l’armée en passe de reprendre la main face aux Forces de soutien rapides ?
Des dizaines de milliers de morts, plus de 10 millions de déplacés et un processus diplomatique au point mort. Depuis le 15 avril 2023, le Soudan est le théâtre d’une guerre fratricide opposant l’armée régulière du général Abdel Fattah al-Burhane au groupe paramilitaire FSR (Forces de soutien rapides) de Mohamed Hamdane Daglo, dit "Hemedti". Un conflit peu médiatisé, pourtant à l’origine de l’une des plus graves crises humanitaires au monde selon l’ONU.
Au cours des dernières semaines, les affrontements se sont intensifiés dans la région du Darfour, dans l’est du pays, mais également dans la capitale Khartoum, où l’armée régulière a lancé fin septembre une vaste opération contre les positions des FSR, qui contrôlaient jusqu’alors la majorité de la ville.
Belligérants déterminés
La guerre qui ravage le plus grand pays d’Afrique de l’Est depuis maintenant 18 mois trouve son origine dans la rivalité entre deux généraux à la tête des deux plus importantes forces du pays : l’armée régulière et les Forces de soutien rapides, autrefois piliers de l’appareil sécuritaire d’Omar el-Béchir. En octobre 2021, deux ans après la chute du dictateur soudanais, ils avaient fait front commun pour évincer les civils du pouvoir. Mais des tensions étaient vite apparues autour du projet d’intégrer les FSR au sein de l’armée, auquel s’était opposé Mohamed Hamdane Daglo.
"Depuis lors, malgré les tentatives de médiation internationales, nous restons face à des protagonistes qui pensent tous pouvoir gagner" soulignait mi-septembre le chercheur spécialiste du Soudan Roland Marchal, sur le plateau de France 24.
Contre-offensive à Khartoum
En théorie, l’armée régulière possède l’avantage aussi bien en matière d’effectifs que de moyens, notamment grâce à l’aviation militaire, dont sont dépourvus les FSR, même s'ils possèdent des drones. Les Forces de soutien rapide avaient néanmoins créé la surprise durant les premiers mois du conflit, en s’emparant de la quasi-totalité des États du Darfour, dans l’est du pays, ainsi que d’une large partie de la capitale. Fin 2023, les paramilitaires avaient même infligé une cinglante défaite à l’armée dans l'État d'Al-Jazira, au sud-est de Khartoum, en prenant le contrôle de sa capitale, Wad Madani, mégalopole de 400 000 habitants parmi les plus grandes du pays, qui reste à ce jour aux mains des FSR.
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Mais fin septembre, l’armée a déclenché une vaste opération de reconquête de la capitale, visant les positions des FSR avec des bombardements et des tirs d’artillerie. Depuis, les militaires ont repris le contrôle de trois ponts stratégiques dans la capitale et progressé dans le centre et le nord de Khartoum, notamment dans le quartier de Bahri, jusqu’alors considéré comme le quartier général des FSR.
"Cette offensive intervient à un moment bien précis" indique Roland Marchal. "Elle coïncide avec la fin de la saison des pluies, qui rend les lignes logistiques plus mobiles, mais également avec de nouveaux recrutements au sein de l’armée, notamment au sein des populations darfouriennes, favorisés par les exactions commises par les FSR. Enfin elle coïncide avec le discours du général Fattah al-Burhan devant la tribune des Nations unies, symbolisant la reprise d’initiative de l’armée" souligne le chercheur.
Lors de ce discours, prononcé le 21 septembre devant l'Assemblée générale de l'ONU, Abdel Fattah al-Burhane, chef d'État de facto depuis le pustch de 2021, a dénoncé les "crimes, violations et atrocités" commises par les FSR, qualifiées de "rebelles", et appelé "Hemedti" au retrait de ses troupes comme prélude à toute négociation de paix.

Guerre d’influence régionale
Sur le terrain, l’intensification des combats ne se limite pas à la capitale : l’armée a lancé des attaques simultanées dans plusieurs autres États, revendiquant des avancées, notamment dans celui de Sennar, au sud-ouest de Khartoum. Enfin, au Darfour, les combats font rage autour d’El-Facher, seule grande ville du Darfour encore contrôlée par l’armée que les Forces de soutien rapides sont déterminées à conquérir.
Pour Abdelkhalig Shaib, avocat international spécialiste du Soudan, la reprise par l’armée de la capitale pourrait constituer un tournant.
"Cette opération militaire ne permettra pas à elle seule de mettre un terme au conflit mais elle pourrait faire pencher la balance en faveur de l’armée lors de futures négociations et accentuer la pression sur les FSR" soulignait-il le 10 octobre sur la chaîne qatari Al-Jazira. Le chercheur estime que cette offensive pourrait également renforcer sa crédibilité sur la scène internationale.
Car si le général Fattah al-Burhane est considéré comme l’autorité légitime, son armée est accusée d'avoir commis, tout comme les Forces de soutien rapides, de nombreux crimes de guerre depuis le début du conflit. Derniers exemples en date : deux bombardements de l’armée qui ont touché un marché à Khartoum et une mosquée ainsi que des tirs d’artillerie des FSR sur la ville d’El-Facher. Trois attaques qui ont fait plusieurs dizaines de morts civils selon les secouristes.
"L’armée et les FSR n’ont pas les mêmes méthodes mais elles font toutes les deux beaucoup de dégâts parmi les populations civiles" souligne Roland Marchal. S’il reconnaît que l’offensive de l’armée lui a permis de réaliser des "gains importants", le chercheur considère que l’évolution du conflit dépend avant tout des puissances étrangères impliquées auprès des deux parties.
Alors que le général Fattah al-Burhane dénonce haut et fort le soutien militaire des Émirats arabes unis aux Forces de soutien rapide, "Hemedti" accuse quant à lui le voisin égyptien, réputé proche de l’armée, de bombarder ses positions. Abu Dhabi et le Caire réfutent tout deux ces allégations.

"Le Soudan est au cœur d'une guerre d’influence qui va bien au-delà de ses frontières" rappelle-t-il. "La question est de savoir jusqu’où ces acteurs sont prêts à aller pour asseoir leur leadership sur cette région élargie incluant l’Éthiopie, le Tchad, la Libye ou bien encore la Somalie".
Dernier effort diplomatique en date, le sommet de Genève, organisé en août sous l’égide de l’Arabie saoudite et des États-Unis, avait abouti à un accord pour faciliter l’acheminement de l’aide humanitaire dans le pays. Mais sans parvenir à la mise en place d'un cessez-le-feu.
Quelque 11,3 millions de personnes ont été déplacées, dont près de 3 millions ont déjà fui le pays. Un exode massif qui s’est encore accéléré depuis l’intensification des combats ces dernières semaines.
Selon l’ONU, environ 26 millions de personnes font face à une insécurité alimentaire sévère, alors que le camp de Zamzam au Darfour a été déclaré en état de famine.
