REPORTAGE. Législatives en Allemagne : sécurité, propreté, "valeur travail"... Des électeurs et militants de l'AfD expliquent leur choix de l'extrême droite

Les élections législatives ont lieu dimanche 23 février en Allemagne, à l’issue d’une campagne tendue où les thèmes phares d’une extrême droite en dynamique se sont imposés dans les débats. La campagne a été percutée par plusieurs attaques perpétrées par des demandeurs d’asile et par les coups de boutoir de Donald Trump contre le lien transatlantique.

Les conservateurs de la CDU partent largement favoris (avec 30% des intentions de vote), alors que les sociaux-démocrates du SPD sont annoncés en net repli (15%). Mais c’est surtout le score de l’AfD qui va être observé à la loupe. Il devrait dépasser les 20%. L’extrême droite est en force, à l’est comme à l’ouest du pays.

Au cœur de la Ruhr, le grand bassin industriel de l’ouest de l’Allemagne, à Gelsenkirchen, près de Dortmund, l’une de ces villes de charbon et d’acier qui ont fait le miracle économique allemand d’après-guerre avant de décliner, les mines ont fermé, l’économie locale s’est effondrée. La ville est, selon les standards allemands, très dégradée.

"Ça fait vraiment négligé"

"C’est vraiment hardcore, si vous me permettez, vraiment très sale. Ici, on a beaucoup d’étrangers, des Roumains, des Bulgares. Ils n’ont pas la même conception de la propreté que nous", estime Friedhelm Rikowski, candidat de l’AfD au Bundestag dans cette circonscription. "Ici, on voit des maisons qui ont été abandonnées depuis longtemps. Les façades sont décrépies, les fenêtres sont cassées, la peinture est écaillée, les portes sont condamnées. Ça fait vraiment négligé", poursuit le candidat.

Friedhelm Rikowski, candidat AfD dans la circonscription de Gelsenkirchen, février 2025. (LOUISE BODET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Gelsenkirchen cumule les records : taux de chômage, taux de pauvreté et scores électoraux de l’AfD. Les thèmes de l’extrême droite font mouche. Un tour au marché de la ville permet de le vérifier. "Les attaques contre les marchés de Noël, les attaques au couteau... Il y en a de plus en plus, ça ne peut pas continuer comme ça", estime une passante. "Les étrangers qui sont venus chez nous dans les années 50, ils sont intégrés. Mais ceux qui viennent d'Afghanistan, de Syrie, où ils étaient soi-disant persécutés... Ils essaient de changer notre pays, de l’islamiser", ajoute un homme.

Heinz (à droite) et Alexander, à un meeting à Marl, en février 2025. (LOUISE BODET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

À Marl, 30 km plus au nord, c'est un soir de meeting. Tino Chrupalla, numéro 2 de l’AfD, est en tête d’affiche. Dans l’assistance, très masculine, Heinz est venu avec son copain Alexander : "On a une immigration radicale, encouragée par les partis politiques. Tout le monde peut entrer ! Et maintenant, on paie la facture : il y a des meurtres en permanence, il y a l’islam radical."

"Nous ne voulons pas d’une société parallèle comme dans les banlieues françaises. Ce n’est plus l’Allemagne."

Heinz, participant à un meeting de l'AfD

à franceinfo

Un peu plus loin, Robert, 29 ans, insiste sur "la valeur travail" : "Malheureusement, elle s’est perdue ces dernières années. Si les immigrés veulent travailler, ils auront leur chance mais ils doivent le vouloir. Malheureusement, beaucoup viennent, ne font rien et reçoivent quand même une aide de l’Etat. Ils perçoivent plus que nos retraités qui ont travaillé pendant des années."

Robert et son sweat "Travail", au meeting à Marl, février 2025. (LOUISE BODET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

En Allemagne, le nombre d’étrangers a doublé depuis 2013. Un habitant sur cinq est né hors des frontières. Les chiffres disent aussi que l’immigration est une solution au déclin démographique allemand et à la pénurie de main-d’œuvre.

"Il n'y a pas d'étranger dans ma famille, je suis un pur Allemand"

L'extrême droite espère faire de gros scores à l’ouest. Mais là où elle est la mieux implantée, c’est à l’est de l’Allemagne, dans des terres marquées par le tournant de la réunification. Chute du mur en 1989, fin de la RDA, désindustrialisation accélérée... La ville de Cottbus, à 120 km au sud-est de Berlin, est jumelée avec Gelsenkirchen : destins croisés de territoires propices à l’essor de l’AfD. D'un meeting à l’autre, on rencontre ce jeune homme qui dit s’appeler Jean-Paul : "Je suis né à Dresde, il n’y a pas d’étranger dans ma famille, je suis un pur Allemand."

Jean-Paul au meeting de Cottbus, février 2025. (LOUISE BODET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

Un "pur Allemand" moins prudent dans son expression que la moyenne des sympathisants AfD : "Depuis la Seconde Guerre mondiale, on est tenus pour responsables de ce qui s’est passé, alors que notre génération n’y est pour rien. Mais, et c’est un grand mais, nous sommes un grand pays et nous devons nous serrer les coudes".

Michael à un meeting à Cottbus, février 2025. (LOUISE BODET / FRANCEINFO / RADIO FRANCE)

À l’ombre du clocher de l’église Saint-Nicolas, devant laquelle l’AfD a installé ses barnums, Michael, vêtu à la bavaroise, se dévoile un peu lui aussi : "Cela m’effraie de voir que depuis le jardin d’enfants jusqu’à l’université, les valeurs allemandes, les traditions ne sont plus respectées et sont automatiquement associées au Troisième Reich."

"Le simple fait de prononcer le mot patrie suffit pour être taxé de nazi."

Michael, participant à un meeting de l'AfD

à franceinfo

La liberté d’expression, porte-drapeau électoral brandi par Bert, ancien militant de gauche : "Je ne suis pas un nazi, je n’ai rien à voir avec eux, et pourtant on va dire que j’en suis un, simplement parce que je défends les valeurs démocratiques. Mais on n’est plus en démocratie, les médias ne donnent qu’un seul point de vue, c’est une élite de gauche qui se moque du bien-être de la population, et tous ceux qui ne sont pas d’accord sont traités de nazis."

Alice für Deutschland, l'hymne électoral à la gloire d’Alice Weidel, la patronne de l’AfD, retentit sur la place. Alles für Deutschland, "Tout pour l’Allemagne", était dans les années 30 le slogan utilisé par les SA, l’organisation paramilitaire du parti nazi.