REPORTAGE. Législatives en Allemagne : à Osnabrück, l'avenir en suspens de l'industrie automobile allemande donne "mal au bide" à ses salariés

"Pas le temps, rien à vous dire." Les yeux cernés, les employés de l'usine Volkswagen d'Osnabrück (Allemagne) filent d'un pas pressé vers le parking. Il est 14 heures et l'équipe du matin laisse le "deuxième huit" prendre la relève. "Je n'ai pas trop suivi les discussions", lance l'un d'entre eux, avant de continuer sa route sous le froid soleil de janvier.

L'ouvrier fait référence aux âpres négociations entre le constructeur automobile et les représentants du personnel à l'automne dernier. L'entreprise a provoqué une onde de choc en septembre en dévoilant un plan économique historique pour réduire ses coûts de production et redresser sa compétitivité. Après avoir envisagé la fermeture de trois usines dans le pays, Volkswagen a fait marche arrière fin décembre sous la pression des syndicats. Seule celle de Dresde, dans l'est du pays, fermera ses portes dès 2025. Le site d'Osnabrück, qui emploie 2 300 personnes, sera lui vendu en 2027.

"Je vais devoir chercher autre chose"

"Des rumeurs disent que la Chine serait intéressée, ça me fout mal au bide d'entendre ça...", glisse Matias, 58 ans, en sortant de l'usine. Mais pourquoi le choix de la direction s'est-il porté sur cette firme ? Trois modèles sont construits ici : les Porsche Cayman et Boxster et la Volkswagen T-Roc Cabriolet. Le dernier, symbole de la ville, "est assez niche, il ne se vend pas bien", explique Jürgen Placke, chef du comité d'entreprise à Osnabrück. Et en 2023, les deux autres prototypes étaient en bas des ventes de la gamme Porsche, selon le rapport annuel du groupe. Le constructeur avait prévu de produire son futur modèle électrique dans cette usine, avant de renoncer.

Jürgen Placke, chef du comité d'entreprise de Volkswagen à Osnabrück, en Basse-Saxe (Allemagne), le 28 janvier 2025. (ZOE AUCAIGNE / FRANCEINFO)

Volkswagen a par ailleurs annoncé la suppression de 35 000 postes d'ici 2030 au niveau national par non-remplacement des départs à la retraite. Ces annonces ont coïncidé avec le début de la campagne des élections législatives, prévues dimanche 23 février. "L'angoisse de l'avenir revient souvent dans les discussions avec les habitants, car l'entreprise est très implantée localement", relate Dirk Koehntopp, chef du Parti social-démocrate (SPD) à Osnabrück. 

Quinze ans plus tôt, le groupe automobile avait été accueilli en sauveur. Jürgen Placke, en poste depuis vingt-huit ans, a vu Volkswagen racheter les murs de Karmann, un ancien fabricant de voitures qui a fait faillite en 2009. "Avant, on produisait des véhicules pour plein de constructeurs automobiles différents, ça pourrait être une option", suggère-t-il pour l'avenir de l'établissement. Malgré les perspectives, le sexagénaire reconnaît que "l'ambiance n'est pas bonne, tout le monde est tendu. Car dans deux ans, qu'est-ce qu'il va se passer pour nous ?"

"On attend les idées du futur. Et surtout, on espère qu'on pourra en être."

Jürgen Placke, chef du comité d'entreprise de Volkswagen à Osnabrück

à franceinfo

Il n'est pas dit que des engins automobiles continuent de sortir de l'entrepôt après 2027. "Les employés sont inquiets, car ils sont très spécialisés. Donc s'il n'y a plus d'industrie automobile sur place, ils vont devoir apprendre d'autres choses", avance Dirk Koehntopp. C'est le cas de Kaï, déployé au contrôle du montage : "C'est pas très beau comme situation, on est carrément impuissants". Si le futur repreneur de l'usine décide de changer d'activité, "je devrai chercher autre chose ailleurs, ça ne va pas être facile", poursuit ce quinquagénaire, veste bleu électrique floquée "VW" sur le dos.

Une dépendance à l'industrie automobile

Pour le puissant syndicat IG Metall, pas question toutefois de perdre un seul travailleur. Dans l'usine septentrionale, "on a besoin d'un certain nombre de salariés répartis entre les différents postes, sinon ça ne fonctionne pas", explique Stephan Soldanski, représentant du syndicat dans la région pour plusieurs secteurs, dont celui de l'automobile. "Les départs à la retraite doivent donc être remplacés", ajoute le syndicaliste, précisant que personne ne sait encore si la règle s'appliquera à Osnabrück. Interrogé par franceinfo, Volkswagen n'a pas répondu à nos questions.

"On va tout faire pour qu'Osnabrück reste un pôle central de l'industrie automobile."

Stephan Soldanski, représentant de IG Metall à Osnabrück

à franceinfo

"C'est trop bête, car VW est un véritable symbole dans le coin", ajoute un jeune travailleur. Un large tissu économique s'est d'ailleurs bâti autour du constructeur. Fournisseurs, sociétés de logistique, prestataire en charge de la cantine... Dans cette agglomération de presque 300 000 habitants, "Volkswagen est le principal employeur, mais il y a aussi toute une chaîne d'entreprises qui en dépendent", ou qui y sont au moins liées, pointe Dirk Koehntopp. 

Matias, l'un des 500 salariés dans la logistique, anticipe déjà un redéploiement sur un autre site : "Le problème, c'est que je devrai aller plus loin, certainement vers Wolfsbourg [l'usine principale et le siège de Volkswagen]. Moi, j'ai toute ma vie ici".

Jorg Dilke, gérant de l'atelier de réparation Cabrio Zentrum Osnabrück, à Osnabrück, en Basse-Saxe (Allemagne), le 28 janvier 2025. (ZOE AUCAIGNE / FRANCEINFO)

Tout autour du complexe sont implantés des commerces qui font affaire avec le géant automobile. Jorg Dilge, un ancien de Karmann, a installé son atelier de réparation juste en face de l'usine. Quand il nous reçoit, son garage est plein... de cabriolets : "Mes clients sont surtout des particuliers. Mais on est sollicités par le groupe pour restaurer leur centaine de véhicules exposés au public, ça va nous retirer du travail". 

Un électorat jusqu'ici acquis aux sociaux-démocrates

Dans ce contexte, les partis politiques ont bien compris que le secteur représentait un électorat primordial. Dans la zone industrielle de la ville, chaque lampadaire est floqué d'une affiche de campagne. Si l'Union chrétienne-démocrate (CDU) caracole en tête des sondages au niveau national, la Basse-Saxe est un fief des sociaux-démocrates (SPD), la ville d'Osnabrück comprise. C'est d'ailleurs de là que vient Boris Pistorius, le très populaire ministre de la Défense.

Mais alors que le Land détient 10% des parts de Volkswagen, la mauvaise santé de l'entreprise peut-elle lui être imputée, et donc peser sur le vote pour le parti majoritaire de l'actuel chancelier, Olaf Scholz ? Le ministre-président du Land, Stephan Weil, a en tout cas essuyé les critiques du chef de file de la CDU au Parlement régional. Sollicitée par franceinfo, la branche locale du parti conservateur n'a pas répondu. "Il y a surtout une colère vis-à-vis des dirigeants de VW, à qui il est reproché de ne pas avoir pris le tournant de l'électrique", juge Dirk Koehntopp.

Des affiches du Parti marxiste-léniniste d'Allemagne et de l'Union chrétienne-démocrate d'Allemagne devant l'usine Volkswagen d'Osnabrück (Basse-Saxe), le 28 janvier 2025. (ZOE AUCAIGNE / FRANCEINFO)

Concernant l'Alternative pour l'Allemagne (AfD), la formation d'extrême droite qui figure en deuxième position dans les sondages, "elle n'est pas très populaire ici et ce n'est pas un sujet sur lequel elle nous vole des électeurs", estime le responsable du SPD. "L'AfD se concentre surtout sur l'immigration", cheval de bataille du parti xénophobe, ajoute-t-il.

À l'aube du scrutin, le militant se montre confiant. "On est venus soutenir les travailleurs de l'usine qui ont manifesté en novembre et on a des échanges actifs avec IG Metall", détaille-t-il, évoquant des liens historiques entre les sociaux-démocrates et le syndicat. Fin janvier, IG Metall a organisé une réunion avec les chefs de file de la CDU, du SPD, des Verts et de Die Linke ("La Gauche" en français). Le syndicat assure néanmois qu'il ne donnera "aucune recommandation électorale à ses membres"


Ce reportage a été réalisé avec l'aide d'Opale von Kayser, journaliste en Allemagne, pour la préparation et la traduction.