En Afghanistan, le régime taliban réduit désormais les femmes au silence

Sans visage et maintenant sans voix. Trois ans après le retour au pouvoir des Taliban, les droits des femmes afghanes continuent de régresser.

La semaine dernière, Mohammad Khalid Hanafi, ministre taliban chargé de la Propagation de la vertu et de la Prévention du vice, a ainsi déclaré la semaine dernière que les femmes devaient s'abstenir de réciter le Coran à voix haute en présence d'autres femmes, selon Amu TV, une chaîne d'information afghane établie aux États-Unis. Son discours, décousu et désordonné, se prête difficilement à l'interprétation.

"Si une femme n'est pas autorisée à prononcer le 'takbir' [la prière "Allahu Akbar prononcée lorsqu'on s'incline, NDLR], comment pourrait-elle être autorisée à chanter ?", a-t-il déclaré dans des propos rapportés samedi 26 octobre.

"Quand une femme adulte prie, si une autre femme passe à côté d'elle, elle ne doit pas parler trop fort pour ne pas être entendue. [...] Comment les femmes pourraient-elles chanter si elles ne sont pas autorisées à entendre les voix des autres femmes pendant la prière ?", a-t-il ajouté d’après le média britannique The Telegraph.

Le ministre a précisé que l'application de ces règles serait progressive. En raison d’une récente interdiction de représenter des êtres vivants à la télévision, humains comme animaux, l'annonce a été faite par le biais d'un enregistrement vocal au lieu d'être diffusé à la télévision.

Des restrictions croissantes

Arrivés au pouvoir en Afghanistan pour la première fois en 1996, les Taliban en ont été délogés en 2001 par l’intervention militaire de l’Otan. Après deux décennies de conflit et d’occupation du pays par les forces américaines, les Taliban ont fini par reprendre le contrôle de l'intégralité du territoire, imposant progressivement des restrictions strictes aux femmes.

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Depuis août, les femmes afghanes n’étaient déjà plus autorisées à chanter ou lire à voix haute en public. Si elles peuvent quitter leur domicile, elles ont l’obligation de couvrir leur visage avec un masque et veiller à ne pas être entendues, au risque d’encourir la prison.

Les contours de cette nouvelle règle sont flous et on ignore quelles en seraient ses conséquences. Amu TV a recueilli le témoignage de Samira, une sage-femme de Hérat, dans l’ouest de l’Afghanistan, qui fait partie des dernières femmes autorisées à travailler en dehors de leur domicile. Elle témoigne que la surveillance des Taliban s'est intensifiée : "Ils ne nous autorisent même pas à parler aux postes de contrôle lorsque nous nous rendons au travail. Et dans les cliniques, on nous dit de ne pas discuter de questions médicales avec les hommes de notre famille".

"Violences systémiques"

Samira Hamidi, chargée de campagne pour l'Asie du Sud à Amnesty International, estime qu'une telle interdiction pourrait empêcher à terme toute communication verbale entre femmes. "C'est une continuation de la violence systémique contre les femmes et les filles, un moyen supplémentaire de restreindre leur capacité à interagir entre elles".

Selon elle, même des actes simples, qui permettent une connexion et une solidarité entre femmes, comme celui de réciter le Coran en groupe, peuvent être perçus par les Taliban comme des menaces. "Au-delà de la récitation du Coran, les femmes continuent de se parler, de manifester, de communiquer sur les réseaux sociaux. Les Taliban peuvent craindre que ce qu'ils font ne fonctionne pas".

À la suite de la déclaration de Mohammad Khalid Hanafi, de nombreuses militantes afghanes ont pris la parole pour partager leur consternation. La journaliste Lina Rozbih a exprimé son indignation sur le réseau social X : "Après avoir interdit aux femmes de s'exprimer en public, le ministère taliban du Vice et de la Vertu leur interdit maintenant de se parler. Les mots me manquent pour exprimer ma rage et mon dégoût face aux mauvais traitements infligés aux femmes par les Taliban. Le monde doit agir ! Aidez les millions de femmes afghanes sans voix et sans défense."

"Cela dépasse la misogynie. Cela illustre un niveau extrême de contrôle et d’absurdité", a réagi pour sa part l'ancienne diplomate afghane Nazifa Haqpal auprès du quotidien britannique The Independant​​​​​. 

Une règle difficilement applicable

Si cette nouvelle interdiction est préoccupante, Hamidi la juge irréaliste et difficilement applicable. "Ce n'est pas pratique. Comment pourraient-ils surveiller chaque femme chez elle ? Espérons qu'ils n'iront pas jusqu’à entrer dans les domiciles et à interdire aux femmes de s'adresser la parole chez elles. C'est une déclaration absurde".

L'objectif des Taliban est "d'étouffer les femmes, mais elles ne seront pas réduites au silence", malgré la répression croissante qui pèse sur elles, a promis mercredi la militante afghane Zubaida Akbar sur X.

Pour illustrer cette résistance, elle a partagé une vidéo d'une femme entonnant un chant dans les rues de Kaboul en août dernier. Les passants, silencieux, croisent son chemin sans réagir, laissant planer le doute sur leur indifférence ou leur soutien. La scène illustre la résilience et le courage des femmes afghanes, qui s’efforcent toujours de faire entendre leur voix.