"Ils se montrent démesurément prudents" : divisé et impopulaire, le Parti démocrate américain hésite sur sa stratégie pour contrer Donald Trump

Une opposition sans stratégie claire, face à un président qui avance à toute allure. Depuis le retour de Donald Trump à la Maison Blanche, le Parti démocrate peine à organiser sa réponse au torrent de décrets et de décisions du milliardaire républicain. Et les sympathisants du mouvement de Joe Biden et Kamala Harris l'ont remarqué : ils ne sont que 27% à avoir une opinion positive de leurs élus, selon un sondage pour NBC News, publié le 16 mars. Un record d'impopularité qui n'avait pas été atteint depuis 1990.

Dans les manifestations qui ont lieu presque chaque jour dans les rues de Washington, cette frustration domine également. "Les activistes font le travail sur le terrain, mais on ne peut pas s'en sortir seuls", s'agace Michael, un électeur démocrate rencontré par franceinfo dans la capitale américaine, début mars. "Donald Trump et Elon Musk sont en train de s'attaquer à nos droits, à notre gouvernement fédéral, abonde Linda, croisée à un autre rassemblement. On vit une situation anormale, mais le Parti démocrate réagit comme si la vie politique suivait son cours !"

En réalité, l'opposition n'est pas inactive. Dès novembre 2024, les gouverneurs démocrates ont annoncé une coalition pour faire face à Donald Trump. Ils ont été parmi les premiers à contester les décrets présidentiels, déposant des plaintes communes devant les tribunaux. Mais au Capitole, où les républicains sont majoritaires à la Chambre des représentants comme au Sénat, la marge de manœuvre du parti est bien plus réduite, relève Elaine Kamarck, politologue à la Brookings Institution et membre du Comité national démocrate.

Le "shutdown", un premier test raté pour l'opposition ?

Donald Trump contourne de toute façon l'obstacle que représente, pour lui, le Congrès. "Les démocrates s'attendaient à ce qu'il prenne des décisions radicales, mais en respectant l'ordre établi, en passant par des projets de loi qu'ils auraient la chance de contester", note Elaine Kamarck. En réalité, le milliardaire n'a cessé de signer des décrets outrepassant les limites du pouvoir présidentiel, laissant l'opposition "perplexe sur la manière de résister".

Donald Trump montre un de ses décrets présidentiels lors d'une adresse au Congrès, le 4 mars 2025, à Washington (Etats-Unis). (JIM WATSON / AFP)
Donald Trump montre un de ses décrets présidentiels lors d'une adresse au Congrès, le 4 mars 2025, à Washington (Etats-Unis). (JIM WATSON / AFP)

"Même en minorité, les démocrates disposent d'une importante plateforme médiatique", observe Seth Masket, politologue à l'université de Denver (Colorado). "Ils pourraient organiser des manifestations, des meetings, comme le fait Bernie Sanders", sénateur progressiste indépendant, dont les récentes prises de parole ont attiré les foules, selon le réseau de télévision public PBS. "Mais la plupart des responsables démocrates ne le font pas", constate l'expert.

En cause notamment, un manque d'unité "grandement lié à la défaite de 2024", avance Seth Masket. Quatre mois après la victoire de Donald Trump, les démocrates "ne sont toujours pas d'accord sur les causes de cet échec : ont-ils été trop radicaux, ou au contraire ont-ils trop cherché à convaincre les modérés ?", poursuit le politologue. Un désaccord qui "se retrouve dans la manière d'aborder l'opposition à Donald Trump", selon Lauric Henneton, historien et maître de conférences à l'université de Versailles-Saint-Quentin-en-Yvelines.

"Les modérés pensent qu'il ne faut pas être dans l'opposition permanente, au risque de s'aliéner la part de l'opinion publique qui soutient Donald Trump."

Lauric Henneton, historien

à franceinfo

Le vote sur un texte des républicains pour éviter une paralysie budgétaire, vendredi 14 mars, a exposé ces dissensions au grand jour. Le leader des démocrates au Sénat, Chuck Schumer, a annoncé quelques heures avant la séance qu'il comptait soutenir le camp adverse, après avoir convaincu plusieurs de ses collègues d'en faire de même. La décision a irrité de nombreux élus au Congrès, rapporte CNN. "Certains pensent qu'il a cédé trop vite face aux républicains", éclaire Elaine Kamarck.

Le sénateur démocrate Chuck Schumer lors d'une conférence de presse pour protester contre l'action de Donald Trump, le 4 mars 2025, à Washington (Etats-Unis). (CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Le sénateur démocrate Chuck Schumer lors d'une conférence de presse pour protester contre l'action de Donald Trump, le 4 mars 2025, à Washington (Etats-Unis). (CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

En minorité au Congrès, les démocrates n'ont que peu d'occasions de contrer l'administration Trump. Une partie de l'opposition espérait donc se saisir de ce texte budgétaire, qui prévoit de nouvelles coupes dans des programmes qu'elle défend, pour se lancer dans un premier bras de fer avec le gouvernement. "Les démocrates avaient le choix entre une mauvaise solution et une solution encore pire, tempère Lauric Henneton. Certains pensaient que permettre la poursuite du fonctionnement de l'Etat fédéral serait moins grave qu'un shutdown dont la responsabilité serait imputée au parti, et qui laisserait encore plus le champ libre à Elon Musk."

Dans les colonnes du New York Times, Chuck Schumer affirme ainsi qu'une paralysie budgétaire aurait donné au Doge, le Département de l'efficacité gouvernementale dirigé par le milliardaire, et à Donald Trump "un total contrôle sur les dépenses" de l'Etat. En clair, la possibilité d'accélérer encore la purge qu'ils mènent dans les agences fédérales. Pour le leader des démocrates au Sénat, la seule solution envisageable était donc de voter ce texte qui détermine le budget jusqu'à la fin de l'année 2025.

A la recherche d'un nouveau leader

Au-delà des divergences sur la manière de contrer Donald Trump, les démocrates souffrent de dissensions idéologiques, entre une aile gauche prête à aller au blocage politique pour défendre les droits des minorités, et des centristes prêts à faire certaines concessions, notamment sur la question de l'immigration. "On pourrait être tentés de faire un parallèle avec la coalition des gauches en France, mais la situation est très différente aux Etats-Unis : il ne s'agit pas d'une alliance de circonstance, mais de courants au sein d'un parti unique", explique Lauric Henneton.

Aucun de ces courants ne prendrait le risque d'une scission, dans un pays dont la politique est dominée par deux mouvements surpuissants. "Ce serait suicidaire avec le mode de scrutin [uninominal majoritaire à un tour au Congrès], poursuit l'historien. Ils sont donc obligés de rester ensemble, dans cette coalition claudicante." Les hésitations du Pari démocrate "ne résultent pas seulement d'une division entre l'aile gauche et l'aile droite", ajoute Seth Masket.

"Il y a une confrontation générationnelle, entre les membres du Congrès expérimentés et de jeunes élus qui veulent se montrer plus agressifs, moins conventionnels dans leur opposition à Donald Trump."

Seth Masket, politologue

à franceinfo

Les vives critiques de la progressiste Alexandria Ocasio-Cortez contre Chuck Schumer illustrent ce choc des générations. Vendredi 14 mars, la représentante de New York a reproché au sénateur d'avoir commis une "énorme erreur" en soutenant le texte budgétaire des républicains, rapporte ABC News. "C'est une mauvaise idée de renforcer et de laisser faire Donald Trump et Elon Musk. (...) C'est dangereux et imprudent", a insisté Alexandria Ocasio-Cortez, que des membres du parti appellent à se présenter face à Chuck Schumer lors des prochaines sénatoriales.

  (JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)
  (JUSTIN SULLIVAN / GETTY IMAGES NORTH AMERICA)

En plus de se chercher une ligne claire, les démocrates sont aussi en quête d'un nouveau chef. "On voit certains élus se positionner pour [la prochaine présidentielle], comme le gouverneur de Californie Gavin Newsom", relève Lauric Henneton. Ces dernières semaines, il a opéré un sérieux virage à droite, en invitant des figures Maga dans son nouveau podcast. Difficile de savoir si la tactique fonctionnera. En attendant, en l'absence d'un "leader charismatique", "les divisions inhérentes au parti sont particulièrement marquées", souligne l'historien.

Les midterms en ligne de mire

En 2017, au début du premier mandat de Donald Trump, les démocrates avaient eu moins de mal à s'accorder sur leur plan d'action. Ils pensaient alors que la victoire du républicain "était un coup de chance" qui ne se répéterait pas, éclaire Seth Masket. L'élection de 2024 leur a donné tort. "Donald Trump a obtenu 12 millions de voix de plus qu'en 2020 : il a toute une partie du pays derrière lui et il est donc plus difficile pour les démocrates d'opter pour une stratégie d'opposition frontale, totale et systématique", juge Lauric Henneton.

Cette frilosité est en partie motivée par la perspective des élections de mi-mandat, en novembre 2026. "L'aile gauche ne craint pas pour sa réélection, mais les modérés ont remporté leurs scrutins dans des circonscriptions votant majoritairement pour Donald Trump, poursuit l'historien. Ils risquent de perdre s'ils défendent des positions très progressistes." Alors que la baisse de popularité du président est pour l'instant minime, ces élus ne veulent pas froisser l'électorat centriste.

"Pourtant, peu importe comment l'opposition agit : s'il y a une récession, elle reprendra le contrôle de la Chambre des représentants [en 2026]."

Elaine Kamarck, politologue et membre du Parti démocrate

à franceinfo

Comme le rappelle Elaine Kamarck, la base de Donald Trump ne représente que 30% de l'électorat américain. "Il y a une partie de la population qui a voté pour lui non pas parce que ce sont des 'Maga' convaincus, mais à cause de l'inflation, décrypte la politologue. Les démocrates sont lents à s'emparer [de ces sujets], mais ils feront campagne en 2026 sur le coût de la vie et de la santé, et Donald Trump est en train d'aggraver la situation sur ces deux plans." Des cadres du parti estiment d'ailleurs qu'il leur suffirait d'attendre patiemment que le président devienne impopulaire et "cause sa propre perte", selon Lauric Henneton.

Une tactique décriée par certains sympathisants. "Les élus ont peur de perdre leur siège, quand nous avons peur pour notre démocratie", dénonce Michael, un électeur vivant dans le Maryland. "Ils devraient être prêts à se battre pour leurs valeurs", martèle le démocrate, citant l'exemple d'Al Green, représentant du Texas évacué par la sécurité après avoir pris à partie Donald Trump lors d'une adresse du président au Congrès. 

Le représentant démocrate du Texas Al Green interpelle Donald Trump lors d'une adresse du président au Congrès, le 4 mars 2025, à Washington (Etats-Unis). (CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)
Le représentant démocrate du Texas Al Green interpelle Donald Trump lors d'une adresse du président au Congrès, le 4 mars 2025, à Washington (Etats-Unis). (CHIP SOMODEVILLA / GETTY IMAGES NORTH AMERICA / AFP)

"Les démocrates se montrent démesurément inquiets et prudents au sujet de la réputation qu'ils auront dans dix-huit mois, au lieu d'agir maintenant contre Donald Trump", juge Seth Masket. Contrairement à certains élus, l'expert ne voit pas "l'administration provoquer sa propre chute". Et de rappeler : "A ce jour, le président est soutenu par une majorité au Congrès, ainsi qu'un certain nombre de juges."