"Vous, vous pouvez lui dire non" : au procès de Gérard Depardieu, le soutien de Fanny Ardant confronté aux témoignages accablants de plusieurs femmes
Elles ont toutes juré de dire "la vérité, toute la vérité, rien que la vérité". Plusieurs femmes se sont succédé à la barre, mercredi 26 mars, parmi les témoins cités au procès de Gérard Depardieu. L'acteur de 76 ans est jugé depuis trois jours devant le tribunal correctionnel de Paris pour des agressions sexuelles qu'une décoratrice et une assistante réalisatrice affirment avoir subies pendant le tournage des Volets Verts en 2021. L'actrice Fanny Ardant, qui donnait la réplique au comédien dans ce film de Jean Becker, est la première à s'avancer vers la barre. "Je sais qu'on est ici pour chercher la vérité, que c'est la chose la plus difficile à définir, car il n'y a jamais une seule vérité", entame-t-elle, prudente.
La "vérité" de cette "amie de Gérard", la voici : Gérard Depardieu est "un grand acteur", qu'elle connaît "depuis tout le temps". Un homme "capable d'incarner et le monstre et le saint" à l'écran et qui "s'intéresse" à tout le monde sur le plateau, "techniciens, traveling man, chef opérateur, acteurs, figurants timides". Sans jamais parler des violences qui sont reprochées au comédien, Fanny Ardant effleure le sujet : "Toute forme de génie porte en soi quelque chose d'extravagant, d'insoumis, de dangereux." "Gérard, il a toujours tout donné comme un volcan, avec le pire et le meilleur, poursuit-elle. C'est un risque à courir, sans ce risque, on est plus un artiste, on est un serviteur."
"Moi, je me suis battue, j'ai balancé des claques"
Fanny Ardant, qui a crevé l'écran dans La Femme d'à côté, en 1981, où elle jouait le rôle de la maîtresse de Gérard Depardieu, le concède : "Il aime la polémique, il se moque, il provoque".
"Oui Gérard, il prend de la place sur un tournage. Oui, il a une grande gueule. Oui, Gérard dit des grossièretés. Oui, Gérard aime faire l'idiot."
Fanny Ardantdevant le tribunal correctionnel de Paris
L'actrice sait "que le monde a changé, que les repères ne sont plus les mêmes, qu'il y a des choses qu'on tolérait et qui ne sont plus tolérables". Mais elle sait aussi que "beaucoup n'ont pas osé venir défendre Gérard parce qu'ils avaient peur de perdre leur métier". Au nom de "la main tendue", du "pardon", de "l'amitié" et de "l'amour", sa complice à l'écran s'est donc présentée devant le tribunal, pour ne "pas se reprocher sa lâcheté". Mais elle le jure, elle n'a "jamais assisté à un geste choquant". "Gérard, c'est quelqu'un à qui on peut dire de se taire, à qui on peut dire non", soutient Fanny Ardant, en contraste avec le témoignage des deux plaignantes, qui ont fait part de leur sidération. "Moi, je me suis battue, j'ai balancé des claques, des insultes."
"Vous êtes une actrice reconnue, à la renommée internationale, vous, vous pouvez lui dire non, relève le président. Est-ce que des jeunes femmes peuvent aussi lui dire non ?" "Si la question est de savoir si j'ai vu un geste et que je n'ai pas aidé cette jeune fille, non, je n'étais pas là", élude Fanny Ardant. Avant de sortir de la salle, elle embrasse l'acteur avec appui sur les deux joues.
"Il pose ses mains et commence à me pétrir le dos"
Les témoignages qui suivent éclairent d'un autre jour la star déchue. Carine, seconde assistante réalisatrice sur Les Volets verts, vient raconter l'humiliation subie, selon elle, sur le tournage quand il a fallu qu'elle remplace au pied levé le premier assistant. "Gérard Depardieu n'arrêtait pas de me dire : 'T'as la chatte qui mouille. Hubert, il n'est pas là, tu prends sa place'. Il répétait tout ce que je disais, clairement pour me déstabiliser", décrit-elle, évoquant des "grognements" et un comportement "malsain".
Marie, jeune journaliste, témoigne, elle aussi, de la "honte" que lui a infligée, selon son récit, l'acteur, rencontré pour le tournage d'une émission de voyage à Tel Aviv, en novembre 2007. Elle fait partie, d'après l'avocate de la partie civile, Carine Durrieu Diebolt, des 25 femmes qui ont dénoncé des agressions sexuelles de la part de Gérard Depardieu. "Il commence à me dire que j'ai besoin de trouver des hommes en cuir pour me faire fouetter", affirme Marie. Aux mots succèdent, selon elle, les gestes. Arrivant par derrière, "il pose ses mains et commence à me pétrir le dos en répétant mon prénom avec des râles et descend ses mains au fur et à mesure". "Pétrifiée", Marie fait "une espèce de tour sur" elle-même pour "éloigner [ses] fesses de ses mains". "Tout le monde rigole, je suis perdue", témoigne, émue, celle qui était fan de Cyrano de Bergerac enfant.
"Il a fait un long monologue sur les femmes en disant qu'il les rangeait en deux catégories : la maman et la putain. Moi, mon sentiment, c'est que Gérard Depardieu avait pris le pouvoir."
Marie, témoindevant le tribunal correctionnel de Paris
Lucille, costumière, vient à son tour dénoncer à la barre des faits similaires subis, d'après elle, sur son premier tournage, le film Le Magicien et les Siamois, de Jean-Pierre Mocky, en 2014. "Il sait très bien faire les choses, caché, au bon moment, au bon endroit", affirme la jeune femme, qui situe son agression "derrière le rideau" d'une scène de théâtre. "Il en profite pour me pousser, mettre la main sur mon sexe, au-dessus de mon collant et ma culotte, et sur ma poitrine, me susurrant les mots les plus vulgaires", expose-t-elle avec difficulté. Lucille, alors âgée de 24 ans, se souvient d'avoir dit "non" "d'une petite voix". "Libérée par un machiniste", elle "tombe par terre en sanglots", est "évacuée". "On m'a clairement dit : 'On ne va pas arrêter le tournage pour une petite costumière'", lâche la témoin, amère.
Sarah, elle, avait 20 ans quand elle a croisé la route de l'acteur, sur un tournage à Marseille. La jeune comédienne raconte, en larmes, comment "lors d'une séance photo", Gérard Depardieu a mis "sa main dans [son] dos et commencé à grogner". Puis la main s'est glissée, selon elle, "dans [son] short et dans [sa] culotte" à deux reprises, malgré son refus. "Là, j'ai dit : 'Il y a Gégé qui met sa main dans mon short. On m'a répondu : 'Bah, je croyais que tu voulais réussir dans le cinéma'", témoigne Sarah. Comme les autres, elle n'a pas porté plainte, de peur de ne pas être "prise au sérieux", et les faits dénoncés sont aujourd'hui prescrits. Assis sur son cube, Gérard Depardieu écoute, impassible. Quelle vérité retiendra le tribunal ? Le procès doit s'achever jeudi.