Donald Trump a-t-il les moyens de ses prétentions ? (1/2)

Le dirigeant d’extrême droite va devoir faire avec des États qui contestent sa politique et la majorité du Sénat ne lui est pas acquise en toutes circonstances

Francis Wurtz

Ancien député PCF au Parlement européen

Bien mieux élu qu’en 2016 et, cette fois, solidement préparé ; bénéficiant de la majorité absolue dans les deux chambres et d’une Cour suprême extrêmement conservatrice ; entouré des champions mondiaux de la tech et du numérique et surtout régnant sur la première puissance économique, financière et militaire, Donald Trump est en mesure de faire beaucoup de mal à qui se met en travers de ses projets ultranationalistes et impériaux.

Dans le même temps, chacun de ses atouts doit être relativisé. Ainsi, nombre d’États américains fédérés comme la Californie ou New York ont décidé de coordonner les batailles anti-Trump devant les tribunaux. Pas moins de 22 d’entre eux (sur 50) ont contesté en justice le décret présidentiel remettant en cause le droit du sol. Même la Cour suprême, pourtant acquise au président, pourra difficilement avaliser des mesures inconstitutionnelles. De même, sa majorité au Sénat ne lui est pas acquise en toutes circonstances, comme vient de le confirmer le vote d’extrême justesse de la chambre haute pour la confirmation du candidat du président au poste stratégique de chef du Pentagone.

Le tandem diabolique Trump-Musk commence lui-même à tanguer, puisque le second a osé critiquer « Stargate », le projet phare du premier, lié à un concurrent du businessman. Quant à la puissance américaine, si elle reste encore dominante sur le plan mondial, elle doit de plus en plus compter avec la Chine, les Brics et le « Sud global », dont les perspectives de développement sont précisément au cœur de l’obsession trumpienne du « Make America Great Again ». Enfin, il y aura des réactions de la société américaine contre les égarements du pouvoir.

Dernier élément susceptible de relativiser les moyens du président américain : les choix stratégiques à venir des Européens ! S’ils décidaient de s’émanciper de la tutelle américaine et – dans un esprit de multilatéralisme et d’intérêt mutuel – d’ouvrir une négociation stratégique avec la Chine, les émergents en général et les pays du Sud, tant sur les enjeux globaux (notamment le climat) que sur les relations économiques, Trump finirait par comprendre qu’il n’est pas le maître du monde !

Lourde est, à cet égard, la responsabilité des principaux dirigeants de l’UE ! Ce sont l’alignement pur et simple sur Washington des uns, derrière Giorgia Meloni, et les capitulations de fait d’un certain nombre d’autres. La présidente de la Commission suggère d’acheter plus de pétrole et d’armes aux États-Unis. La Pologne demande que chaque pays de l’UE dépense 5 % du PIB pour la défense.

La présidente de la Banque centrale européenne veut que l’effet Trump nous aide à lutter contre la « paresse » et la « bureaucratie » en Europe ! Et on attend toujours une vraie levée de boucliers de l’UE contre les menaces ahurissantes proférées contre 11 millions d’immigrés et la prétention extravagante de refaire des États-Unis « une nation (…) qui étend son territoire ». Voilà pourquoi il est si important que s’ouvre un débat citoyen sur ces enjeux de civilisation.

Trump avait promis de stopper la guerre en Ukraine en 24 heures. Mais le « deal » continue, sur le dos de l’Europe tant qu’elle ne se fédère pas

Guillaume Ancel

Ancien officier, chroniqueur de guerre et auteur du blog « Ne pas subir »

Donald Trump avait promis à ses électeurs qu’une fois élu « il stopperait la guerre en Ukraine en 24 heures », mais ce pari est déjà perdu. Pourtant, le nouveau président américain n’a pas ménagé ses efforts pour déboucher rapidement, son équipe de négociateurs a commencé à discuter deux mois avant son investiture (le 20 janvier) afin d’arracher un accord au président russe, Vladimir Poutine.

Le « deal » que cherchait Trump n’a pas fonctionné à ce stade, mais il est probablement atteignable si les deux protagonistes adaptent leurs approches différentes sans être incompatibles. D’un côté, le nouveau président américain est un homme d’affaires dénué de tout scrupule mais convaincu que la guerre est un « bad business », ce qui signifie dans son esprit qu’un conflit militaire est mauvais pour les affaires et constitue aussi une mauvaise affaire en soi. Il se présente donc comme un féroce opposant à la guerre, même si la question d’une paix durable n’est pas son affaire… Vladimir Poutine en est le miroir inversé : il n’a aucun scrupule, il est un chef mafieux qui règne sur la Russie, dont il se voit comme un tsar régnant pour la plus grande chance de ses concitoyens, qui n’ont qu’un droit, celui de se féliciter que le Kremlin soit ainsi maîtrisé. Poutine est globalement étanche aux arguments économiques et financiers que les négociateurs de Trump ont voulu avancer.

Cette négociation est un échec à ce stade, parce que l’affairiste ne pouvait se comprendre sur le terrain de l’Ukraine avec le chef mafieux qui se prend pour un joueur d’échecs. Un échec d’autant plus difficile pour Trump que ce dernier a facilement imposé à son ami Benyamin Netanyahou de stopper sa guerre au Proche-Orient, même si celui-ci fait tout pour se maintenir au pouvoir en gardant une activité guerrière, aujourd’hui en Cisjordanie tandis que les armes se taisent (relativement) à Gaza. Trump a probablement « dealé » aussi un arrêt de cette guerre de dévastation sur Gaza contre une accélération de la colonisation israélienne, tant que facialement ce ne soit pas une guerre.

Mais cette possibilité de « deal » est-elle perdue pour autant ? Je ne le crois pas, car ces deux protagonistes ont intérêt à « faire affaire ». Pour Poutine, la question essentielle est de déterminer jusqu’où il peut pousser son avantage. Aujourd’hui, son armée avance sur le terrain – au prix de pertes effrayantes dont il n’a rien à faire – mais à un rythme très lent qui ne peut lui laisser espérer de pouvoir soumettre l’Ukraine dans sa globalité. Poutine pourrait essayer de conquérir les régions ukrainiennes qu’il a formellement rattachées à la Russie. Cela expliquerait la manière dont il ménage Trump alors même que ce dernier est forcément déçu de ne pas avoir « dealé » quand il le voulait.

La négociation continue en parallèle de la guerre, en l’absence notable de l’Ukraine et des Européens, qui devront en supporter les conséquences car ils n’ont pas les moyens de s’y opposer, reposant plus que jamais la question de la capacité de l’Europe à se fédérer pour ne plus subir ces empires menaçants.

À lire

Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette, de Guillaume Ancel, Flammarion, 2024.

Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette, de Guillaume Ancel, Flammarion, 2024.

Saint-Cyr, à l’école de la Grande Muette, de Guillaume Ancel, Flammarion, 2024.

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