Guerre en Ukraine : est-on vraiment à la veille d’un accord de paix ?

Déjà mis en difficulté en 2024, le camp ukrainien est affaibli par l’arrivée au pouvoir de Trump. Dans ce contexte, les négociations peuvent durer.

Olivier Kempf

Chercheur associé à la Fondation pour la recherche stratégique, directeur de la Vigie

Pour l’Ukraine, l’année 2024 a été mauvaise d’un point de vue opérationnel. Après l’échec de l’offensive dans le sud du pays, à l’été 2023, elle a dû faire face à la poussée russe depuis l’hiver. La Russie a ainsi gagné quelques centaines de km² au cours de l’année, notamment dans le sud du Donbass. À l’été, l’Ukraine a pris l’initiative d’une incursion dans l’oblast de Koursk, réussissant à prendre plus de 1 000 km².

Depuis, la surface a largement diminué et l’Ukraine ne doit plus tenir aujourd’hui que 400 km². C’est peu mais suffisant cependant pour avoir un gage dans la négociation qui s’annonce. En effet, dès avant l’élection de Donald Trump, l’Ukraine constatait l’affaiblissement du soutien occidental, qu’il s’agisse de matériel ou de munitions. Simultanément, les infrastructures électriques ou la démographie constituent autant de facteurs qui pèsent sur la stratégie générale.

L’élection de Trump intervient donc dans un processus globalement défavorable à l’Ukraine. Le président Zelensky a ainsi abordé la question des négociations tout au long de l’année, organisant une conférence en Suisse en juin (sans la Russie) puis annonçant un « plan pour la victoire » en octobre, évoquant enfin (le 29 novembre) des conditions à une négociation : placer le territoire « contrôlé par l’Ukraine » sous l’égide de l’Otan.

C’est une évolution par rapport aux revendications initiales (toute l’Ukraine) et signifie un abandon de fait de la Crimée et du Donbass, qui resteraient revendiqués et dont le statut serait reporté. Vu de Moscou, ces deux conditions sont vues comme inacceptables et il est probable que Vladimir Poutine demandera beaucoup plus : neutralisation de l’Ukraine, reconnaissance a minima de la Crimée, levée d’une partie des sanctions. S’il est normal qu’au début d’une négociation chaque partie affiche ses objectifs les plus ambitieux, un accord est-il possible ?

Tout dépendra évidemment de la position américaine. Donald Trump commence déjà à dire que cette négociation durera plus longtemps que prévu. Ses déclarations appellent déjà l’Ukraine à cesser le combat. Tout suggère que Kiev devra en rabattre. Mais même si, en coulisses, des discussions ont déjà commencé, rien n’indique que nous soyons à la veille d’un accord.

De plus, compte tenu des trois ans de guerre, il est fort improbable que cet accord soit celui d’une paix, c’est-à-dire qu’il résolve tous les problèmes en suspens. En effet, outre la question des territoires disputés, l’un des enjeux de l’accord sera le statut de l’Ukraine et au-delà, la remise à plat de l’architecture actuelle de sécurité européenne.

Dès lors, résumons : il y aura peut-être un accord. Il est peu probable qu’il arrive rapidement puisqu’il faudra quelques semaines pour y parvenir, si jamais la transaction se fait. Il est quasi impossible qu’il s’agisse d’un traité de paix qui mettrait un terme définitif au différend russo-ukrainien.

La poursuite de la guerre est inutile car l’Ukraine ne peut la gagner. Zelensky se retrouve à proposer ce qui était mis sur la table en 2022.

Pascal Boniface

Directeur de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris)

Le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a annoncé être prêt à renoncer « temporairement » aux territoires ukrainiens perdus depuis le début de la guerre en échange d’un cessez-le-feu durable et à condition que l’on admette les territoires restant sous sa souveraineté dans l’Otan. Pourquoi un tel retournement maintenant ? Keith Kellogg, l’homme chargé par Donald Trump de gérer le dossier de la guerre en Ukraine, a prévenu que l’aide militaire à l’Ukraine cesserait si une négociation n’était pas ouverte, et si Kiev n’admettait pas la perte de territoires.

Cette situation d’occupation de près de 20 % du territoire ukrainien par la Russie est évidemment illégale. Principes et réalités entrent ici en contradiction. Les responsables militaires occidentaux savent depuis longtemps que les buts de guerre de Volodymyr Zelensky (restitution des territoires perdus depuis le début de la guerre, Vladimir Poutine jugé par la CPI) sont irréalisables. Et la fatigue de l’aide commence à se faire sentir tant aux États-Unis qu’en Europe. Il n’y aura pas de paix juste puisque l’Ukraine perdrait par là le contrôle effectif d’une partie de son territoire, tandis que la Russie se verrait récompensée.

Mais tous les moyens de pression ont été utilisés à l’encontre de la Russie, à l’exception d’un affrontement plus généralisé, jusqu’ici empêché par l’arme nucléaire dont dispose Moscou. L’alternative, c’est la poursuite inutile de la guerre que l’Ukraine ne peut gagner militairement, un épuisement du pays, et la perte supplémentaire de nombreuses vies humaines. On peut concevoir de poursuivre la guerre si la victoire est en vue. Le faire alors que l’on sait qu’elle est impossible est beaucoup plus discutable.

On se dirige alors peut-être vers la fin de cette guerre très meurtrière. Volodymyr Zelensky se retrouve aujourd’hui à proposer ce qui était déjà sur la table au printemps 2022, qu’il avait refusé parce que Boris Johnson, l’ancien premier ministre britannique, lui avait conseillé de poursuivre la guerre, lui assurant un soutien sans faille pour reconquérir l’ensemble des territoires.

Certes, la crédibilité stratégique des Occidentaux – qui avaient commis l’erreur d’endosser sans conditions les buts de guerre de l’Ukraine – sera atteinte. Mais ceux qui continuent de faire de la restitution des territoires conquis par la Russie la condition d’un cessez-le-feu n’ont pas de solution à fournir pour y parvenir sauf à prendre le risque d’une troisième guerre mondiale. Il y a dans cette perspective quelque chose d’immoral, puisque cela induit une acquisition de territoires par la force par la Russie. Mais il est également immoral de continuer une guerre qui ne changera aucune réalité sur le terrain et qui suscitera plus de morts, plus de blessés et plus de mutilés.

Si un cessez-le-feu intervenait dans ces conditions, ce ne serait bien sûr pas une situation idéale, l’alternative – la poursuite de la guerre – est encore moins satisfaisante.

Pour aller plus loin

Géostratégix, l’intégrale, de Pascal Boniface et Tommy, Dunod Graphic.

 

Géopolitique de l’intelligence artificielle, de Pascal Boniface et Victor Pelpel, Eyrolles.

Géostratégix, l’intégrale, de Pascal Boniface et Tommy, Dunod Graphic.

 

Géopolitique de l’intelligence artificielle, de Pascal Boniface et Victor Pelpel, Eyrolles.

Géostratégix, l’intégrale, de Pascal Boniface et Tommy, Dunod Graphic.

 

Géopolitique de l’intelligence artificielle, de Pascal Boniface et Victor Pelpel, Eyrolles.

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