Dysfonctionnements à l’ASE : « Les enfants sont les premières victimes du conflit entre départements et État »

Ancienne éducatrice spécialisée auprès d’enfants placés, la députée (NFP/LFI) du Puy-de-Dôme Marianne Maximi a participé aux travaux de la commission parlementaire sur « les manquements des politiques publiques de protection de l’enfance ». Le 11 mars, elle a déposé une proposition de loi pour interdire toute dérogation à l’interdiction du placement d’enfants en hôtel.

La commission d’enquête a été lancée en réaction au suicide il y a un an de Lily, 15 ans, qui était hébergée à l’hôtel. A-t-on tiré les leçons de ce drame ?

Marianne Maximi

députée insoumise

Non, et je pense qu’on va en connaître d’autres, qui ne feront pas forcément la une des médias. Rien que dans le Puy-de-Dôme, l’été dernier, un jeune mineur non accompagné de 15 ans s’est noyé – il était hébergé dans le même hôtel que Lily. Il reste de nombreux enfants hébergés dans des hôtels partout en France, pour l’essentiel des mineurs non accompagnés (MNA).

Or, ce sont des mineurs eux aussi, la loi impose de les protéger, en particulier lorsqu’ils ont moins de 16 ans. Aujourd’hui, les départements refusent, arguant d’un manque de moyens. Ces contraintes budgétaires existent, mais on sent que les MNA subissent aussi une forme d’instrumentalisation raciste, en particulier dans les collectivités dirigées par la droite, comme le Puy-de-Dôme ou le Nord. Outre les hôtels, certains placements inadaptés persistent aussi, dans des colocations sans accompagnement ou des campings.

Quels sont les autres dysfonctionnements que la commission d’enquête a relevés ?

L’un des plus gros problèmes, c’est la non-exécution des décisions de justice. Des mesures, comme l’assistance éducative en milieu ouvert (AEMO) ou l’aide éducative à domicile (AED), non exécutées, on connaît ça depuis longtemps. Mais de plus en plus, les placements, décidés en cas de menaces plus graves, subissent, eux aussi, des délais insupportables.

On estime qu’environ 3 000 enfants attendent à domicile – c’est-à-dire là où ils sont en danger – d’avoir une place en institution ou en famille d’accueil. C’est inacceptable ! Il y a dix-huit mois, un enfant de 3 ans est mort chez ses parents, dans la Sarthe, alors qu’un placement avait été décidé, mais pas réalisé, faute de place.

Les pouvoirs publics prennent-ils à bras-le-corps ce sujet ?

On a de belles déclarations, mais concrètement, il ne se passe rien. Il n’existe pas de ministère dédié à l’enfance, et le haut-commissariat qui a été lancé récemment – et tardivement –, avec Sarah El Haïry à sa tête, n’a ni feuille de route ni budget connus. On est plutôt dans une inertie coupable.

Pourtant, tout le monde s’accorde sur le constat d’un effondrement des politiques publiques dédiées à l’enfance. Mais dans les faits, les lois relevant de ce domaine sont celles qui attendent le plus longtemps leurs décrets d’application – jusqu’à deux ans et demi pour la loi Taquet !

Comment expliquez-vous cette inertie ?

Les enfants sont les victimes directes du conflit entre les départements, qui ont reçu cette compétence avec la décentralisation, et l’État, qui se désengage au maximum de cette politique publique. Un peu comme ces gamins qui se retrouvent au milieu d’un divorce et subissent le conflit de loyauté entre leurs deux parents.

Si la commission d’enquête doit servir à quelque chose, ce serait de redéfinir les places et responsabilités de chacun, et faire en sorte que département et État cessent de se renvoyer la balle. Parce qu’au bout du compte, ce sont les enfants qui trinquent.

Quelles sont les préconisations de la commission d’enquête ?

L’urgence, c’est que l’État reprenne sa place, a minima sur le contrôle des lieux de placement, aujourd’hui très défaillant. Cela pourrait passer par la création d’une autorité indépendante, à l’image de celle qui existe pour les lieux de privation de liberté. Ce réengagement de l’État est aussi indispensable pour limiter les disparités entre départements, aujourd’hui très grandes, qui n’offrent pas les mêmes chances aux enfants d’être protégés et pris en charge.

Avant d’être députée, vous étiez éducatrice spécialisée auprès d’enfants placés. Qu’avez-vous gardé de cette expérience ?

J’ai vécu de l’intérieur l’effondrement de la protection de l’enfance, l’usure professionnelle, les conditions de travail dégradées et la perte de sens, qui poussent beaucoup de salariés à quitter ce secteur. La souffrance aussi, liée à l’impossibilité de faire correctement un travail pourtant essentiel : accompagner des enfants qui ont eu un départ très difficile dans la vie, tenter de les aider à grandir, avec leur histoire, leurs traumatismes, pour devenir des adultes équilibrés.

Mais on n’a pas les moyens de faire tout ça. Or, il n’y a rien de pire, quand on s’engage dans ces métiers du lien, du soin, de l’accompagnement, que de se sentir maltraitant.

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