Éric Lombard, le rabot à visage humain de Bayrou
Éric Lombard n’inverse pas encore la syntaxe comme maître Yoda, dont il expose une figurine dans son bureau avec vue plongeante sur la Seine. Le ministre de l’Économie, ex-socialiste nommé mi-décembre pour conduire les négociations budgétaires avec la gauche et surtout avec ses anciens camarades roses, est en revanche passé maître dans l’art de couper – sans sabre laser – dans les dépenses publiques.
Avec un objectif clair : la « réduction du déficit à 3 % en 2029 ». Mais il peut se faire volontiers plus brumeux. « Si vous ne m’avez pas compris, c’est que je me suis bien exprimé », lance-t-il devant les émissaires écologistes interloqués lors d’un premier échange où le ministre a alors fait sien le mantra d’Alan Greenspan, ex-président libertarien de la Réserve fédérale américaine.
Un « patron de gauche »
Auprès de l’Humanité, Éric Lombard assume, dans un sourire, la stratégie du flou : « Je le dis souvent dans la période. Étant donné la situation, il faut parfois être dans l’ambiguïté. » C’est ainsi qu’il espère convaincre le Parti socialiste, très remonté depuis les propos de François Bayrou sur la « submersion » migratoire, de ne pas voter la censure.
Conséquence logique de l’article 49.3 que le gouvernement s’apprête à déclencher après l’examen du budget par la commission mixte paritaire. Lui aussi, comme Emmanuel Macron qu’il a soutenu dès 2017, est manifestement adepte du « en même temps ». En même temps « patron de gauche », ancien dirigeant de la filiale assurantielle de BNP Paribas avant de prendre la tête de la banque Generali, et ministre dans un gouvernement de droite.
« Je suis un homme de gauche qui réussit à travailler avec l’ensemble du spectre politique, revendique l’ancien directeur général de la Caisse des dépôts et consignations (CDC). Je ne fais pas de compromis avec mes convictions. » « Il est le meilleur ministre de l’Économie possible car, en tant qu’ancien banquier et assureur, il connaît les territoires, soutient les entreprises et sait évaluer les risques », soutient son ami l’académicien Erik Orsenna.
Favorable dès 2007 au rapprochement PS-Modem
« C’est un social-libéral sympathique qui pense que ce n’est pas le capitalisme qui est en cause mais ses excès, qu’il faut le moraliser », résume le député communiste Nicolas Sansu. Ce que l’intéressé confirme, estimant que « le capitalisme dysfonctionne ». Il faudrait donc, selon lui, en changer « les réglages pour qu’il soit plus au service des travailleurs et de l’écologie » quitte à augmenter les impôts, « sauf si cela pose un problème de compétitivité internationale ». Le chat qui se mord la queue, donc. « Sa mission est de faire en sorte que le PS ne vote pas la censure, en enrobant la politique de l’offre macroniste », assure l’insoumis Éric Coquerel, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale.
Mais pourquoi un soutien de la première heure d’Emmanuel Macron, qui refuse l’étiquette « libéral » tout en croyant mordicus en « l’économie de marché comme moyen d’allouer les richesses », serait-il plus à même d’appâter les socialistes ? Parce qu’ils partagent une même matrice sociale-démocrate et parce qu’Éric Lombard garde des amis au PS, tel le premier secrétaire Olivier Faure, qui voulait le propulser à Matignon après la censure de Michel Barnier.
Conseiller ministériel sous François Mitterrand, Éric Lombard a fait ses armes au PS, au sein du courant rocardien. Il cofonde ensuite, au mitan des années 2000, les Gracques, un think tank libéral partisan d’un rapprochement entre Ségolène Royal et… François Bayrou, lors de la présidentielle 2007. Une philosophie qu’il a appliquée lors de son long passage (2017-2024) à la CDC.
« Ses valeurs sont celles de la banque. Il croit en cette deuxième gauche rocardienne, celle qui permet des compromissions avec le capital », rapporte Jean-Philippe Gasparotto, secrétaire général CGT du groupe, d’où le néo-ministre est parti après avoir validé plusieurs privatisations, dont celle de Transdev, principal opérateur européen de transports collectifs bas carbone.
Il voulait « faire plus » sur l’écologie
Début janvier 2024, Éric Lombard est encore à la tête de la Caisse des dépôts. Avec son accord, son adjoint Olivier Sichel démissionne de son poste avant d’être réembauché, le lendemain, avec les mêmes fonctions mais sur un contrat de droit privé assorti d’une forme de parachute doré façon patron du CAC 40. Une première dans la haute fonction publique, révélée par Mediapart, que le ministre refuse de commenter dans l’attente de « recevoir l’avis de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique » afin de se prémunir de tout conflit d’intérêts.
C’est donc ce profil qu’a choisi François Bayrou pour faire avaler la pilule – une saignée inédite de 32 milliards d’euros dans les dépenses publiques, selon le texte sorti du Sénat – aux socialistes. « Il ne faut pas sous-estimer ses capacités politiques », loue sa collègue de la Transition écologique, Agnès Pannier-Runacher.
« Il est plus aligné sur le fond avec nous qu’avec Bayrou, veut croire un député PS. Et il présente un avantage certain : n’importe lequel d’entre nous acceptant Bercy aurait été vu comme un traître mais pas lui. » Mais « tout ministre qu’il est, tempère un autre, il ne décide pas en dernier ressort car les équilibres politiques s’imposent à lui. » Sur l’écologie, Éric Lombard promet d’ailleurs qu’il aurait « aimé faire plus », laissant entendre qu’il a perdu certains arbitrages. « Il n’a aucune marge de manœuvre et il ne joue pas le rapport de force avec les marchés et le capital. Il n’est pas du bon côté de la barricade », regrette Nicolas Sansu.
Des désaccords sur l’immigration avec Retailleau
Le ministre estime tout de même avoir proposé au PS des « bougés énormes » du gouvernement, comme la création d’un impôt différentiel, inspiré par les travaux de l’économiste Gabriel Zucman, adossé sur le patrimoine financier ou encore la remise en discussion de la réforme des retraites.
« Le gouvernement s’est mis tout seul dans la seringue, analyse Éric Lombard. Si nous disons, à la fin, qu’on revient à la loi Borne, on aura un problème politique. Le Medef a envie d’un accord, ses représentants me l’ont dit. » Des « concessions » qui font que Jean-René Cazeneuve, le monsieur finance du groupe Renaissance, « espère » que l’exécutif « va arrêter de donner car il y a une dette et un déficit à régler ».
Si le ministre assure se sentir à l’aise au sein de l’exécutif, d’autres pensent que la solidarité gouvernementale doit lui peser lorsqu’il observe les dérives de son collègue de l’Intérieur Bruno Retailleau, anti-aide médicale d’État notoire et pourfendeur bruyant du voile. Aurélien Rousseau, député apparenté PS qui a failli devenir son adjoint à la CDC après avoir démissionné de son poste de ministre de la Santé fin 2023, note que le « socle commun » joue « sur un registre très différent » d’Éric Lombard, qui défend une « immigration de travail ».
Ce dernier rappelle qu’il adhère « totalement » à la ligne politique fixée par François Bayrou et glisse avoir « cru comprendre que les expressions individuelles n’étaient pas encouragées ». Des couacs qui ne sont pas de nature à remettre en cause son envie de travailler avec LR, bien que le parti n’ait pas participé au front républicain aux dernières législatives, où la gauche est arrivée en première position.
Un tacle pour le NFP
Éric Lombard n’a d’ailleurs eu aucune difficulté à reconnaître le résultat des urnes, dès le 9 juillet 2024, auprès des élus du personnel de la CDC, au point qu’il a imaginé un scénario où « les représentants du Nouveau Front populaire arrivent aux affaires » et que deux de ses députés auraient alors siégé à la commission de surveillance de l’institution.
L’Humanité s’est procuré le compte rendu de séance du comité mixte d’information et de concertation – l’équivalent du comité social et économique – où le directeur général d’alors affirme que le NFP doit être considéré comme « le futur groupe majoritaire ».
Une donnée que le ministre de François Bayrou atténue : « Si la gauche avait cherché à construire une base politique pour faire fonctionner le pays, les choses auraient été différentes. » Une allégation erronée puisque Lucie Castets, candidate de la coalition pour Matignon, appelait par exemple, dans l’Humanité, à bâtir « des compromis » parlementaires dès le 23 août dernier.
Désormais au service direct d’un camp politique voulant fracturer le NFP en décrochant les socialistes, Éric Lombard nie cette ambition. « Ce n’est pas l’objectif mais la conséquence », balaie-t-il. Le locataire de Bercy n’a pas encore déballé ses cartons mais compte s’y atteler car « même en trois mois, on peut faire des choses ». Peut-être y retrouvera-t-il la boussole que les syndiqués de la CFDT lui ont offerte à son départ de Generali.
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