"Je regarde d'abord mon pouvoir d'achat" : des clients au rendez-vous de l'ouverture de Shein au BHV, à Paris, malgré le scandale et les critiques

La rue de Rivoli se retrouve coupée en deux. D'un côté, devant la mairie de Paris, des groupes de manifestants protestent contre l'arrivée de Shein, mercredi 5 novembre, au 6e étage du Bazar de l'hôtel de ville (BHV). De l'autre, des consommateurs sont venus faire la queue dès 10 heures devant le grand magasin dans l'espoir de mettre la main sur une brassière à 10 euros ou un pull à 23 euros.

"Je suis déjà cliente. J'achète déjà beaucoup sur Shein et la qualité est bonne, ça ne bouge pas. Franchement, entre la qualité et le prix, difficile de trouver ça dans d'autres magasins", assure dans la file d'attente Leila. Pourtant, une récente enquête de France Télévisions démontre une dégradation rapide des vêtements achetés sur la plateforme, à travers des tests réalisés en laboratoire.

"Je suis venue pour les prix ! Même si ça s'use plus vite, ça reste intéressant", rétorque Wafa. Cette mère de famille de 43 ans n'a pas été dissuadée par les critiques qui entourent la marque. "Je regarde d'abord mon pouvoir d'achat. Pour moi, c'est le plus important. Après, savoir comment c'est fabriqué..." Le magasin ouvre à 13 heures et l'attente s'annonce longue pour la petite centaine de clients pressés, venus découvrir l'espace physique du géant asiatique de la mode ultra-éphémère. Il s'agit d'une "première mondiale", s'est réjoui le patron du BHV Frédéric Merlin.

"Il faut arrêter d'être hypocrite"

De grandes bannières à l'effigie de Shein ont été déployées sur la façade du BHV. Pour attirer les curieux, le magasin a également promis des tickets de réduction en échange de toute transaction réalisée dans l'espace dédié à la marque. "Je ne suis pas forcément attirée par Shein, mais plus par le bon d'achat", admet Sandra, 36 ans. La jeune femme trouve pour autant injuste de culpabiliser les consommateurs. "S’il y a des efforts à faire, c’est du côté du gouvernement. Il faut augmenter le pouvoir d’achat pour qu’on puisse consommer localement."

Pour faire patienter ses clients, le personnel du BHV distribue des viennoiseries avec le sourire. "On est venus par curiosité, puisqu'on habite à côté, c'est un peu un petit événement quand même", témoigne Serge, en récupérant un croissant.

Un peu plus loin dans la rue, divers collectifs de manifestants sont venus protester contre l'arrivée en grande pompe de cette société fondée en Chine et basée à Singapour. "Honte au BHV", crient les membres de Mouv'Enfants, association de lutte contre les violences faites aux enfants. Shein est sous le feu des critiques depuis la révélation samedi par la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes de la vente de poupées à caractère pédopornographique. Le chef du gouvernement, Sébastien Lecornu a d'ailleurs annoncé mercredi après-midi qu'il engageait une procédure de "suspension" en France de la plateforme numérique de Shein, "le temps" que cette dernière se conforme aux lois du pays.

La gauche comme le parti Horizons d'Edouard Philippe se sont mobilisés pour dénoncer "un anti-modèle, celui qui abîme notre planète et les règles et principes éthiques", selon les mots de Pierre-Yves Bournazel, candidat Horizons à la mairie de Paris. La marque est régulièrement épinglée pour son impact environnemental, comme pour les conditions de travail de ses ouvriers textiles. Les articles de la marque arrivent directement de Chine, avec une politique de retour gratuit. Certains produits repartent donc parfois en Asie ou sont stockés dans des entrepôts en Pologne ou en Italie avant d'être revendus, observe un récent rapport des ONG Action Aid France et China Labor Watch. Selon son propre rapport de durabilité, l’entreprise a émis 26,2 millions de tonnes de CO2 en 2024, ce qui représente une hausse de 23,1 % par rapport à l'année précédente.

Mais dans la file d'attente du BHV, les consommateurs dénoncent l'incohérence des contempteurs de Shein. "Il faut arrêter d'être hypocrite, tous nos vêtements sont chinois. Les produits électroménagers, c'est chinois", s'agace Tina. "Même dans le made in France, il y a une part de la production qui est faite en Chine. Donc ça revient à la même chose", poursuit Laura*, 20 ans.

"En tant qu'étudiante, c'est beaucoup moins cher pour moi. On a beaucoup plus de choix, beaucoup plus de possibilités."

Laura

à franceinfo

Chantal ne commande jamais rien en ligne, craignant un piratage, et estime donc avoir le droit, pour cette fois, de jeter un œil au nouveau magasin. "Les donneurs de leçons peuvent déjà arrêter d'acheter sur internet", lâche la retraitée de 69 ans. "On sait que c'est mal, qu'on utilise les gens pour fabriquer les vêtements, on le sait très bien. Mais tous les autres magasins, c'est aussi made in Pakistan ou made in Bangladesh. Alors pourquoi on s'en prend spécialement à Shein ?" Si on veut se donner bonne conscience, on arrête tout ce qui est produit étranger."

"C'était presque une obligation de venir"

"Si on veut critiquer les produits qui viennent de la Chine, il faut commencer par jeter son portable", poursuit Ricardo. Ce Portugais, qui vient de s'installer sur Paris, accompagne sa femme, fan de Shein. "Elle achète beaucoup de produits de la marque sur internet. Et comme c'est le premier magasin physique de Shein, elle voulait venir, forcément. C'était presque une obligation d'être là", raconte-t-il. "Elle commande sur son téléphone et ça arrive à la maison. Et les produits sont bien. Son manteau, par exemple, elle l'a trouvé 35 euros sur la plateforme."

Un peu plus loin, Brigitte, 67 ans, est venue faire du repérage pour sa fille de 27 ans. "Mes enfants sont à fond sur Shein. Ma fille achète depuis des années et a pu constater que la qualité était bien, tout en étant pas cher. Et il y a vraiment de tout, il y a de grandes tailles pour les vêtements", s'enthousiasme cette jeune retraitée. Elle a bien entendu parler des problèmes environnementaux posés par l'ultra fast-fashion, mais la tentation est trop forte. "J'ai une amie très écolo, qui me dit : 'Ça me fait mal au cœur, mais je pense à mon porte-monnaie.' Quand vous n'avez pas le budget, vous êtes obligés de vous tourner vers ça."

* Le prénom a été modifié.