« On a fermé 60 % des lits » : le Comité consultatif national d’éthique alerte sur l’état « catastrophique » de la psychiatrie en France
Un « paradoxe extrêmement troublant » : c’est le sentiment qui ressort de la conférence de presse tenue, lundi 27 janvier, par le Comité consultatif national d’éthique (CCNE). L’institution alerte sur la crise de la psychiatrie, en cours dans le système de santé français.
Accès dégradé, pénurie de moyens, inégalités territoriales, droits fondamentaux bafoués… Un appel s’est dégagé de cet échange avec la presse : l’application – en urgence – du plan d’ampleur nationale, dont la santé mentale est la « grande cause » pour l’année 2025. La professeure Angèle Consoli, membre du CCNE, a ainsi pointé « une forme de banalisation, voire de déni d’une situation extrêmement grave sur le terrain ».
« Un plan psychiatrie »
Le rapport copiloté par la députée macroniste Nicole Dubré-Chirat et l’écologiste Sandrine Rousseau, dévoilé en décembre 2024, a été notamment utilisé en exemple. Lui qui s’alarmait de l’état de la psychiatrie et réclamait l’arrêt des fermetures de lits à l’hôpital public n’a pas produit les effets escomptés.
Si Angèle Consoli « accueille avec satisfaction » le choix de la santé mentale comme grande cause nationale, la psychiatre pour enfants et adolescents, ainsi que le comité d’éthique (composé de médecins, de scientifiques, de juristes et de philosophes), appellent à « un plan psychiatrie », champ le plus sinistré. En poste depuis vingt ans à l’hôpital parisien de La Pitié-Salpêtrière, elle est l’une des rapporteures de l’avis publié par le CCNE et intitulé Enjeux éthiques relatifs à la crise de la psychiatrie : une alerte.
Selon leurs résultats, les troubles psychiatriques touchent un Français sur cinq environ au cours de leur vie. La pandémie de Covid a remis en lumière mais aussi accentué la dégradation de la santé mentale, notamment des jeunes. « Les populations en détresse ont besoin de réponses rapides et effectives ; tout comme les professionnels de santé, fatigués et inquiets », souligne le CCNE, qui pointe notamment « une situation catastrophique » pour la pédopsychiatrie et la psychiatrie de l’adolescent, spécialement pour les jeunes de l’Aide sociale à l’enfance.
« Depuis une dizaine d’années, plus d’une vingtaine de rapports ont dénoncé les difficultés de prise en charge, d’accès aux soins, parfois les maltraitances, notamment de la contention – liées pour beaucoup à des manques de personnel », mais sans « réponse politique forte », a abondé Sophie Crozier, neurologue hospitalière et co-rapporteuse du texte. Il y a eu « des petites avancées depuis les assises de la psychiatrie en 2021, mais cela ne se traduit pas sur le terrain », a-t-elle regretté.
Les urgences saturées
Pour le comité d’éthique, l’urgence est donc de « concentrer les efforts en priorité sur les infrastructures publiques, qui prennent en charge les situations de souffrance les plus graves et les plus complexes, mais demeurent confrontées aux défis financiers et organisationnels les plus critiques ».
De quoi remédier en partie à la déliquescence de l’hôpital public. « En quarante ans, on a fermé 60 % des lits » pour un virage ambulatoire non compensé par d’autres accueils, a ainsi fustigé Angèle Consoli. Résultat : « Les urgences, saturées, sont souvent le lieu du début de la prise en charge. La première rencontre se fait parfois dans des conditions extrêmement difficiles, voire indignes… quand on reste attaché aux urgences en attendant d’être admis dans un service hospitalier. »
Pour « garantir un accès équitable à des soins psychiatriques dignes », le CCNE préconise, pêle-mêle, d’améliorer l’accueil dans tous les lieux de soins (prisons comprises), d’arrêter l’hospitalisation de mineurs dans des services de psychiatrie adulte, de renforcer les équipes de soins et construire un meilleur aménagement des locaux pour réduire le recours à l’isolement et à la contention.
La réponse à la crise « est une question de moyens, mais pas seulement », a souligné le président du CCNE, Jean-François Delfraissy. « C’est aussi la vision des autres disciplines sur la psychiatrie et les malades, et la vision de la société qui doit changer, comme cela a été le cas pour les malades du cancer. » Pour « lutter contre la stigmatisation et l’exclusion des personnes vivant avec des troubles psychiatriques », le comité invite ainsi à combattre les stéréotypes et l’assimilation de pathologies à des formes de violence et de dangerosité. Soit un travail en profondeur, qui n’a que peu de chance d’aboutir sans moyens mis à disposition.
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