Affaire Caster Semenya : la CEDH estime que l’athlète de haut niveau n’a pas eu droit à un procès équitable

Une athlète de haut niveau peut-elle être privée de compétition en cas de refus de prendre un traitement hormonal pour faire baisser son taux de testostérone ? C’est ce que la Cour européenne des droits humains (CEDH) devait trancher, ce jeudi 10 juillet.

L’instance a condamné la Suisse pour violation du droit à un procès équitable concernant l’athlète de haut niveau Caster Semenya qui s’estimait victime de discrimination. Mais la juridiction a déclaré irrecevables ses griefs sur les violations de son droit au respect de la vie privée et au caractère discriminatoire des décisions qui lui ont été imposées. Après le verdict de ce 10 juillet, la Sud-Africaine salue « un résultat positif » pour « protéger les athlètes », rapporte l’Agence France Presse.

Après l’audience, en mai dernier, elle avait qualifié la décision de « très importante ». La spécialiste du 800 espérait ainsi « ouvrir la voie aux jeunes femmes » afin qu’elles ne soient pas « déshumanisées et discriminées ».

Un traitement hormonal rendu obligatoire en 2018

Et pour cause, la double championne olympique (2012, 2016) et triple championne du monde (2009, 2011, 2017) du 800 m, est privée de compétition sur sa distance fétiche. Alors que l’athlète produit naturellement beaucoup d’hormones androgènes, susceptibles d’accroître la masse musculaire et d’améliorer les performances, son unique tord est le suivant : refuser de prendre un traitement hormonal imposé aux « athlètes hyperandrogènes » par World Athletics, la fédération internationale d’athlétisme depuis 2018. Son avocate, Schona Jolly, a déclaré que sa cliente avait dû choisir entre « sauvegarder son intégrité et sa dignité personnelles tout en étant exclue de la compétition » ou « subir un traitement nocif, inutile et soi-disant correctif ».

D’où viennent de telles injonctions ? C’est en 2009 que le grand public a découvert Caster Semenya, lorsqu’elle a remporté la médaille d’or du 800 mètres. Mais son apparence physique et sa voix grave ont servi de prétexte à une polémique qui fait écho aux conceptions normatives du corps féminin imposées par la société patriarcale. L’athlète avait alors été interdite de compétition pendant onze mois et contrainte de subir des tests médicaux dont les résultats sont restés secrets, avant d’être autorisée de nouveau à courir en juillet 2010.

En 2018, World Athletics édicte un nouveau règlement – ordonnant la prise de ce traitement hormonal – qui change la donne. L’année suivante, le Tribunal arbitral du sport (TAS, basé en Suisse), le valide. Une décision ensuite confirmée par le Tribunal fédéral de Lausanne (Suisse) qui met en avant en 2020 « l’équité des compétitions » comme « principe cardinal du sport », au motif qu’un taux de testostérone comparable à celui des hommes confère aux athlètes féminines « un avantage insurmontable ».

Une décision « scrutée »

Les recours de l’athlète sud-africaine contre ces deux décisions ont été rejetés. Mais le 11 juillet 2023, Caster Semenya a obtenu gain de cause devant la CEDH. La cour a estimé qu’elle avait été victime de discrimination et d’une violation de sa vie privée. Cependant, les autorités, appuyées par World Athletics, ont saisi la Grande chambre de la CEDH, sorte d’instance d’appel dont les décisions sont définitives.

« C’est une décision qui est scrutée parce qu’elle va conditionner ce qui va venir ensuite en matière de contestation des règles d’accès aux compétitions féminines, notamment pour les athlètes transgenres » – même si ce n’est pas le cas de Caster Semenya, souligne auprès de l’AFP Antoine Duval, spécialiste en droit européen du sport à l’Institut Asser de La Haye.

La Cour pourrait aussi être amenée à se prononcer sur la question de l’indépendance du TAS, estime le chercheur. « Est-ce qu’il est suffisamment indépendant pour garantir une justice équitable aux sportifs, suffisamment indépendant en particulier du mouvement olympique ? » interroge-t-il. Si l’arrêt rendu par la CEDH en 2023 avait constitué une première victoire pour Caster Semenya, il n’a toutefois pas invalidé le règlement de World Athletics et n’a pas ouvert directement la voie à une participation de Semenya sur 800 m sans traitement.

Et la situation s’aggrave, pour les athlètes considérées comme « hyperandrogènes », alors qu’en mars 2023, la fédération internationale a même durci son règlement. D’autant que deux ans plus tard, elle a approuvé l’introduction d’un test de prélèvement buccal pour déterminer si une athlète est biologiquement une femme. La date de mise en œuvre de cette dernière mesure n’a pas été fixée, mais elle pourrait être mise en place pour les Championnats du monde de Tokyo cette année (13 au 21 septembre), selon l’organisation.

Le journal des intelligences libres

« C’est par des informations étendues et exactes que nous voudrions donner à toutes les intelligences libres le moyen de comprendre et de juger elles-mêmes les événements du monde. »
Tel était « Notre but », comme l’écrivait Jean Jaurès dans le premier éditorial de l’Humanité.
120 ans plus tard, il n’a pas changé.
Grâce à vous.

Soutenez-nous ! Votre don sera défiscalisé : donner 5€ vous reviendra à 1.65€. Le prix d’un café.
Je veux en savoir plus !