Pour un PSG désormais champion d'Europe, une nouvelle ère d'influence s'ouvre avec la Coupe du monde des clubs

Le premier pas dans la vie d'après. Deux semaines après son sacre historique en Ligue des champions, c'est dans la peau d'un champion d'Europe que le PSG s'apprête à renouer avec la compétition. Et comme le hasard fait bien les choses, c'est lors de la nouvelle mouture de la Coupe du monde des clubs que cela aura lieu à partir de samedi 14 juin, aux Etats-Unis.

Une exposition qui se veut mondiale, avec 32 équipes du globe engagées pendant un mois. L'occasion pour le Qatar, propriétaire du PSG, d'y exercer un nouveau stade de son influence dans le football. "Cette compétition va offrir au Qatar l'occasion de raconter le récit d'un PSG victorieux en Europe, débute Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport. Le sport reste un élément de sa puissance, sa visibilité, sa sécurité, mais aussi de sa diversification économique, et de la capacité à détourner le regard quand il faut. C'est un moyen d'influence majeur d'exister dans les récits mondiaux en maîtrisant l'histoire racontée : la trajectoire d'un groupe uni derrière un leader. Cela va parfaitement au régime autoritaire qatarien et plus sûrement à l'image que le Qatar veut donner de lui-même"

Proposer un récit, omettant beaucoup de côtés négatifs, permettra donc au PSG et ses propriétaires qatariens d'asseoir encore davantage leur place au concert des nations. "Cela huile la mécanique, renforce l'autorité qu'ils ont à la tête du PSG et leur permet d'être en position de force sur beaucoup de points", abonde Raphaël Le Magoariec, géopolitologue et auteur de L'empire du Qatar, le nouveau maître du jeu ? (2022, Les points sur les i).

Nouveau récit et nouveaux marchés

Ce dernier, au-delà du pur aspect sportif, voit principalement un avantage pour le Qatar lors de cette compétition : "Pour le Qatar, la seule chose que ça va lui apporter, c'est du marketing, mais plus pour la marque PSG que pour Qatar en lui-même. C'est le PSG qu'on voit avant tout, et le Qatar est à l'arrière", estime le chercheur.

Le marketing serait-il le seul intérêt réel de cette Coupe du monde des clubs placée en fin de saison ? "Ce n'est pas qu'une grande messe du foot de clubs, c'est aussi l'occasion de tester le marché américain dans la logique 'trumpienne'. Cela permet aussi au Qatar de travailler l'exposition de la marque et sa construction sur des territoires qui ne lui sont pas habituels : l'Asie, l'Afrique et surtout les USA, là où ses investissements se sont concentrés ces derniers mois. Le Qatar a notamment acheté des parts dans l'équipe NBA des Washington Wizards", développe Jean-Baptiste Guégan.

Qatar et Arabie saoudite, acteurs majeurs en coulisses

Si c'est bien le PSG qui sera sur la pelouse, le Qatar sera omniprésent en dehors : sa compagnie aérienne Qatar Airways est la compagnie aérienne officielle du Mondial des clubs et la marque sera présente sur les maillots de match du PSG et d'entraînement de l'Inter Milan. De quoi damer le pion à son habituel rival, l'Arabie saoudite ? "Les Saoudiens financent la diffusion de la compétition via DAZN, ce qui permet de la rendre gratuite. Le Qatar va, quant à lui, exposer et travailler la marque PSG et Qatar Airways, et compléter son influence, déjà manifeste, auprès de la Fifa. Je pense qu'on est plus sur une stratégie complémentaire, analyse Jean-Baptiste Guégan. L'omniprésence du Qatar dans un événement qui est financé en partie par les Saoudiens, ça a du sens. Ça montre aussi les stratégies d'entrisme et d'influence golfiques. Et ça, manifestement, c'est une réussite à laquelle la Fifa ne trouve rien à redire et où les USA sont particulièrement accueillants."

Acteur à tous les échelons de cette Coupe du monde des clubs, mais toujours en coulisses, le Qatar a donc un terrain et un timing parfaits pour réaffirmer sa position parmi les Etats du Golfe, alors que l'attrait de la Saudi League a pris du plomb dans l'aile, et que Manchester City, sous pavillon émirati, sort de sa pire saison depuis presque dix ans.

"Le Qatar a déjà une stratégie à 360 degrés : il organise, il finance, il sponsorise, il est acteur via le PSG, il est présent dans les instances. Il lui reste maintenant à travailler cette influence, à la rationaliser et l'orienter vers ses objectifs : diversification de l'économie, attractivité touristique, continuer à asseoir sa sécurité géostratégique. On est dans une logique d'entretien et d'affermissement de son influence, voire de son affirmation à nouveau", résume Jean-Baptiste Guégan.

Petit Etat aux ressources pétrolières colossales, le Qatar continue à maintenir ses tentacules d'influence pour exister et se protéger d'encombrants voisins. "Pour le Qatar, le premier but, c'est de s'extraire de son environnement régional incertain et instable. Ce n'est pas cette compétition qui change leurs objectifs d'un point de vue politique. C'est un rouage de leur appareil diplomatique qui leur permet de se projeter à l'international", analyse Raphaël Le Magoariec.

"Le fait que le Qatar soit un faiseur de rêves et qu'il ait réalisé le rêve ultime, ça le rend intouchable. Et ils vont en jouir. Ils savent très bien en jouir."

Raphaël Le Magoariec, géopolitique et spécialiste du Qatar

à franceinfo: sport

Ce soft power, que Jean-Baptiste Guégan préfère désormais évoquer comme "des stratégies d'influence au sens strict", entamé au début des années 2010, a trouvé son zénith lors de l'accueil de la Coupe du monde 2022. Il a trouvé un second souffle avec cette Ligue des champions conquise pour laquelle les investisseurs qatariens ont dû attendre 14 ans, et leur arrivée à Paris en 2011.

A ce titre, une fois la Coupe du monde passée, le board qatarien mené par l'émir Tamim bin Hamad Al-Thani a pu remodeler une stratégie finalement salvatrice pour le PSG. "Il y a eu une remise en question parce qu'ils n'y parvenaient pas avec leur modèle où ils cherchaient une légitimité avec des stars mondiales recrutées par le PSG. Jusqu'à la Coupe du monde, c'est le politique qui commandait sur le sportif. Le Mondial passé, le Qatar a pu, petit à petit, revenir à une stratégie plus centrée sur le sportif", pointe Raphaël Le Magoariec.

Des zones de turbulences mises sous silence

Ce succès en C1 enfin obtenu pour le Qatar, via la marque PSG, a relégué, pour le moment, bien loin les zones d'ombres qui planent sur le club et ses dirigeants. "En fin de compte, on voit même Nasser al-Khelaïfi apparaître comme un saint pour tous les médias français. Il y a un côté un peu schizophrénique parce que c'était l'homme à abattre il y a encore quelques mois", remarque Raphaël Le Magoariec. 

"Pour le Qatar, quand on voit que ça fonctionne, il faut asseoir une position et continuer à avoir un narratif à l'étranger : celle d'un Etat respecté, fort et capable d'imposer sa puissance à d'autres acteurs plus gros mais qui sont soumis, sujets et sensibles à l'influence."

Jean-Baptiste Guégan, spécialiste en géopolitique du sport.

à franceinfo: sport

Une position encore plus dominante qu'auparavant donc, que le Qatar va tenter de faire prospérer lors d'une compétition enfantée par Gianni Infantino, qui veut devenir le rendez-vous mondial des clubs tous les quatre ans et pourrait passer à 48 équipes dans le futur, selon The Guardian. "Le Qatar n'a pas hésité l'année dernière à construire un rapport de forces avec le football français, avec Kylian Mbappé, la mairie de Paris. Il suffit de se rappeler des premiers mots d'Emmanuel Macron et de sa manière de souligner l'apport du Qatar et de son actionnaire, et notamment de l'émir Tamim al-Thani, pour se rendre compte que c'est une stratégie qui fonctionne. Donc l'étape d'après, c'est continuer et tirer les fruits de ce qui a été déjà été planté", conclut Jean-Baptiste Guégan.