La fin d’un monde
Dans les couloirs de l’Assemblée mondiale de la santé, l’assemblée générale de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), à Genève, les choses ont bien changé depuis la première fois que je m’y suis rendue en 2005. Les paons du palais des Nations sont toujours là dans les jardins, on entend régulièrement leurs cris. S’ils pouvaient parler, ils narreraient l’évolution du multilatéralisme au cours des vingt dernières années.
Désormais, ce n’est plus l’accent américain qui domine dans les couloirs du palais des Nations unies mais le mandarin. Cette année, la délégation chinoise est si importante que la liste de ses délégués tient sur plus de quatre pages dans le bulletin comportant la liste des participants : 150 délégués et une cinquantaine de conseillers, quand à titre comparatif la Bolivie n’en compte que deux. Une nouvelle donne dans l’ordre mondial qui aura des conséquences majeures sur l’ensemble de la planète.
La suspension de l’aide au développement américaine et le retrait des États-Unis se font déjà sentir.
En octobre dernier, dans ma carte blanche « New York, centre de gravité », j’abordais les conséquences possibles de l’élection américaine de novembre. Je ne me doutais pas que ses résultats auraient des conséquences aussi importantes sur la planète. La suspension de l’aide au développement américaine, en parallèle de la baisse drastique de l’aide de nombreux pays aux hauts revenus, le retrait des États-Unis de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) et leur impact sur de très nombreuses organisations internationales, gouvernementales ou non, se font déjà sentir.
Des dizaines de milliers de personnes se voient annoncer la fin de leur mission brutalement. À Genève, un nombre important d’entre elles, internationales, ont un permis de séjour en Suisse lié à leur contrat de travail. En quelques jours, elles se voient contraintes à quitter le pays ou le continent, où elles habitent pour certaines depuis une ou plusieurs décennies.
Un grand « coup de balai » sur une aide et un système multilatéral largement critiqués pour leur néocolonialisme et leur corruption supposés ou avérés, ou leur inefficacité, dénoncée au moment de la pandémie de Covid. Critiques nécessaires et légitimes par endroits, certains jugeront donc le mouvement actuel comme bénéfique, car faisant table rase de nombreux programmes et d’employés dont le travail est considéré comme inefficace, voire corrompu par des intérêts privés.
Mais il est ironique de constater que la dynamique qui se dessine risque d’accélérer ce qui était dénoncé : le pouvoir des multinationales, qui aujourd’hui se retrouvent propulsées acteur numéro un, dictant l’agenda de l’ensemble des pays, finançant les organisations internationales, les ONG et leurs propres programmes, et soumettant la population mondiale à leurs desiderata. Se murmure aussi la création de nouvelles organisations sous l’impulsion des États-Unis. Que se passera-t-il ? Une disparition des organisations existantes ? Ou un financement principal émanant du secteur privé ?
En mai 2025, j’en ai la certitude comme tant d’autres : le monde que nous avions connu jusqu’ici est révolu, et celui qui vient s’annonce loin des principes d’équité et de solidarité internationale. Pendant toute la semaine d’Assemblée mondiale ce constat ne m’a pas quittée, et même dans l’avion du retour, le passager à côté de moi, employé d’une importante firme pharmaceutique américaine, semblait confirmer cette analyse, affairé sur son ordinateur et déroulant une présentation interne intitulée : « Comment faire prendre conscience aux gouvernements de la valeur sociale de l’industrie dans le contexte actuel ? »
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120 ans plus tard, il n’a pas changé.
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