Guerre à Gaza : qui était Anas al-Sharif, journaliste d'Al Jazeera tué par une frappe israélienne ?

Видео по теме

A 28 ans seulement, il était l'un des visages les plus connus parmi les rares journalistes couvrant le conflit à Gaza. Anas al-Sharif, correspondant d'Al Jazeera dans l'enclave palestinienne, a été tué lors d'une "attaque ciblée israélienne", a rapporté la chaîne dimanche 10 août. Quatre autres journalistes travaillant pour le média qatari et un sixième reporter, indépendant, ont également péri dans cette frappe, selon Reporters sans frontières.

Pour son employeur, Anas al-Sharif était "l'un des journalistes les plus courageux de Gaza". Sur le réseau social X, où il publiait quotidiennement des informations et des images de l'enclave, le jeune homme se présentait comme un journaliste palestinien, originaire de Jabalia. C'est dans ce camp de réfugiés qu'il était né en 1996. Il avait une compagne et deux enfants, selon un message posthume publié lundi sur son compte X.

Un natif de Gaza devenu reporter de guerre

D'après Al Jazeera, Anas al-Sharif était devenu journaliste après avoir été diplômé de l'université al-Aqsa. Il était resté à Gaza pour documenter la vie quotidienne, et la guerre menée par Israël contre le Hamas après les attaques terroristes du 7-Octobre. Son travail pour couvrir la guerre dans l'enclave palestinienne, où les journalistes étrangers ne sont pas autorisés à entrer, a été salué par Amnesty International, qui lui avait décerné en décembre 2024 le Prix des défenseurs des droits de l’homme.

En couvrant ce conflit pour la chaîne de télévision diffusée dans le monde entier, il était devenu l'un des journalistes palestiniens les plus connus. En janvier, des images d'Al Jazeera avaient fait le tour de la planète, montrant Anas al-Sharif retirer en direct son casque et gilet pare-balles au moment de l'annonce d'un cessez-le-feu entre Israël et le Hamas, sous les vivats des habitants.

Depuis des mois, l'armée israélienne affirmait que le Gazaoui travaillait pour le Hamas. Le 23 octobre 2024, le porte-parole arabe des Forces de défense israéliennes, Avichay Adraee, avait publié sur les réseaux sociaux une vidéo dans laquelle il assurait que des documents découverts à Gaza prouvaient qu'Anas al-Sharif était un membre du mouvement islamiste palestinien.

Le 23 juillet dernier, le responsable militaire avait visé le journaliste palestinien dans une nouvelle vidéo, l'accusant de falsifier les informations sur la famine en cours dans l'enclave palestinienne. Ces affirmations visaient également Al Jazeera, interdite de diffusion en Israël depuis mai 2024.

Israël affirme qu'il s'agit d'un "terroriste"

Les critiques répétées contre Anas al-Sharif faisaient craindre le pire à plusieurs organisations, comme le Comité pour la protection des journalistes (CPJ). Dans un communiqué publié le 24 juillet, l'association basée aux Etats-Unis avait dénoncé une "campagne de dénigrement menée par l'armée israélienne" contre le reporter gazaoui, disant craindre pour sa vie.

"Je suis profondément alarmée par les menaces et accusations répétées de l'armée israélienne à l'encontre d'Anas al-Sharif, le dernier journaliste d'Al Jazeera encore en vie dans le nord de Gaza", avait à son tour alerté Irene Khan, rapporteuse spéciale des Nations unies sur la liberté d'expression, le 31 juillet.

Fin juillet, Anas al-Sharif avait confirmé se sentir menacé. "Je vis avec le sentiment que je peux être bombardé et tué à tout moment. Ma famille est aussi en danger", avait déclaré le journaliste au CPJ, alors que son père avait été tué par une frappe israélienne en décembre 2023, au domicile familial à Gaza.

Dimanche, l'armée israélienne a reconnu avoir "frappé" le journaliste, qu'elle a qualifié de "terroriste". Dans un communiqué, elle a affirmé qu'Anas al-Sharif se faisait "passer pour un journaliste du réseau Al Jazeera". Selon l'Etat hébreu, l'homme dirigeait "une cellule terroriste" du Hamas et était "responsable d'attaques à la roquette" contre les civils et des militaires israéliens.

"La voix de la souffrance" des Gazaouis

L'armée israélienne a également diffusé ce qu'elle présente comme des documents attestant de l'affiliation militaire du correspondant au groupe islamiste palestinien. Pour étayer cette thèse, elle a diffusé des photos sur X, lundi. Elles montrent Anas al-Sharif posant aux côtés de responsables du Hamas, dont l'ancien chef du mouvement Yahya Sinouar, tué dans une opération israélienne en octobre 2024.

Dans ses derniers messages et images postés sur X dimanche, le reporter gazaoui faisait état d'"intenses" bombardements israéliens sur le territoire palestinien et avait diffusé une courte vidéo montrant des explosions dans la ville de Gaza. Une frappe a touché la tente en plastique sous laquelle il se trouvait avec ses quatre collègues, devant l'hôpital al-Shifa à Gaza.

"Il était la voix de la souffrance imposée par Israël aux Palestiniens de Gaza, mais aussi leur visage pour le reste du monde", a réagi le directeur de Reporters sans frontières, Thibaut Bruttin, dans un message sur LinkedIn. L'organisation, qui a recensé près de 200 journalistes tués à Gaza depuis le début du conflit, a dénoncé "avec force et colère l'assassinat revendiqué" par Tel-Aviv.

Dans un message daté du 6 avril et publié lundi sur son compte sur le réseau social X, Anas al-Sharif appelle dans son "testament" et son "dernier message" à "ne pas oublier" Gaza. Ses funérailles ont eu lieu lundi matin, au cimetière Cheikh Redouane de Gaza.