La fin de Greenpeace aux États-Unis : c’est ce qui pourrait arriver si l’ONG se voyait condamnée dans l’État du Dakota de Nord, cible d’une procédure bâillon (SLAPP) de la part de la société d’hydrocarbures Energy Transfer. La firme lui réclame pas moins de 300 millions de dollars de dommages et intérêts pour avoir prétendument orchestré la mobilisation contre un projet de pipeline dans la région en 2016 et 2017. Cette somme astronomique, qui pourrait même encore grimper, signerait l’arrêt de mort de l’organisation. En l’attente du verdict qui devrait tomber cette semaine, Sarah Fayolle, chargée de campagne énergies fossiles pour Greenpeace France, se mobilise pour soutenir ses camarades états-uniens et dénoncer la censure des militants écologistes.
Quels sont les motifs invoqués par Energy Transfer contre Greenpeace dans le cadre de cette procédure baîllon ?
La SLAPP concerne le Dakota Access pipeline, il y a eu de grosses mobilisations contre ce projet, notamment des tribus amérindiennes, en première ligne sur le tracé du pipeline. Energy Transfer a déposé un recours auprès du tribunal de l’État du Dakota du Nord, pro-Trump et conservateur, où la population locale est très dépendante de l’industrie fossile. D’autant que son PDG, Kelcy Warren, est un ardent défenseur du président, il fait partie de ceux qui ont financé sa campagne. L’entreprise reproche à Greenpeace International (GPI) et à l’antenne états-unienne (GPUSA) d’avoir orchestré ces manifestations, ce qui est faux et disons-le raciste. Leur narratif consiste à prétendre que les Amérindiens ne seraient pas capables de se mobiliser d’eux-mêmes. Nous les avons soutenus en signant une lettre ouverte et en leur en offrant la possibilité, sur leur demande, d’être formés sur les enjeux de non-violence.
L’autre volet porte sur la diffamation, le fait que Greenpeace aurait porté atteinte à l’intégrité de l’entreprise et de son projet. Nous avons simplement rappelé l’impact environnemental et sur les communautés locales que peut avoir cet oléoduc. Au-delà de l’argumentation fausse, cette affaire est problématique car de fait, il s’agit d’une atteinte à la liberté d’expression et de manifestation. Quand bien même on aurait organisé cette mobilisation, c’est une façon d’intimider les opposants. Leur message est clair : ils ne laisseront pas faire ceux qui refusent ces projets délétères.
Comment s’est défendu Greenpeace International (GPI) ?
L’entité a contre-attaqué en déposant un recours aux Pays-Bas en février 2025 – elle est basée là-bas – pour exiger des dommages et intérêts sur l’ensemble des frais engagés dans cette procédure. GPI s’est appuyée sur la directive européenne anti-SLAPP, adoptée en avril 2024. Elle n’a pas encore été transposée par les États membres, qui ont jusqu’à 2026 pour le faire. Aux Pays-Bas, il y avait déjà des éléments de protection des organisations, y compris si elles étaient attaquées par des organismes extérieurs au pays.
Quelle est la corrélation entre ces deux procédures ?
Celle aux Pays-Bas n’aura aucun impact sur ce qu’il se passe aux États-Unis. Ce sont deux procédures parallèles, d’autant que seule GPI est protégée par la directive anti-SLAPP, pas GPUSA. S’il y avait un jugement positif rendu aux Pays-Bas, le signal envoyé serait quoi qu’il en soit favorable. Mais cela ne réglera pas la menace qui pèse sur GPUSA, à savoir la banqueroute. C’est une manière pour Energy Transfer de ruiner l’organisation et de la réduire au silence, en l’épuisant financièrement, moralement.
Est-ce la première fois que Greenpeace fait face à une procédure aussi massive ?
Il existe plusieurs cas de figure d’entités attaquées dans différents pays, notamment par l’industrie fossile. Mais c’est la première fois qu’un enjeu de survie de l’ONG se pose. En France par exemple, nous avons été attaqués par Total Energies pour atteinte à leurs intérêts économiques, après avoir dévoilé un rapport indiquant que la major sous-estimait la réalité de son bilan carbone. On a démontré qu’on avait effectué un travail sérieux et la justice nous a donné raison. Mais il faut avoir en tête que Total ne réclamait que la suppression de ce rapport. C’est de la censure. Ils n’ont demandé qu’un euro symbolique de dommages et intérêts, montant risible par rapport au à celui réclamé par Energy Transfer aux États-Unis.
Quel message porter en cas de condamnation ?
Ce n’est pas en asphyxiant une organisation dans un pays qu’ils vont réussir à tuer le mouvement écologiste. En France, ça ne nous impactera pas, puisque nous sommes deux entités à part. Mais nous ne sommes vraiment pas sereins sur l’issue du procès, même si l’accusation n’est pas solide. Si malheureusement mes collègues états-uniens venaient à perdre, il faudra malgré tout continuer le combat contre les énergies fossiles. Cette affaire créée un précédent qui dépasse l’existence ou non de Greenpeace, elle remet en question la liberté de manifester. Au-delà de notre cas, des petites ONG vont désormais devoir y réfléchir à deux fois avant de se mobiliser.
Ce procès s’inscrit-il dans un mouvement de toute puissance de l’industrie extractiviste aux États-Unis ?
Le fait que Donald Trump revienne au pouvoir donne confiance – s’ils en manquaient – à ces acteurs. Il s’agit d’assécher toute forme de contre-pouvoir. Le président états-unien mène une politique assez agressive sur les enjeux environnementaux, avec la dérégulation sur les énergies fossiles. Il est extrêmement clair sur le fait d’encourager leur exploitation en dépit des objectifs climatiques. Cela crée un effet de sidération. On arrive à un moment de bascule car parallèlement à tout cela, le changement climatique s’accélère, on le voit, rien qu’aux États-Unis avec les mégafeux, les inondations, etc.
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