Audiovisuel public : comment Rachida Dati a mis un coup de pression aux députés de centre droit

Personne ne peut croire qu’elle n’avait pas prévu le coup. À la veille de l’ouverture des débats en commission des affaires culturelles de l’Assemblée nationale sur la réforme de l’audiovisuel public, la ministre de la Culture, Rachida Dati, a fait remettre aux députés le rapport Bloch, signé de l’ex-directrice de France Inter, qui appuie « l’urgence » de la transformation de France Télévisions, Radio France et l’INA en holding avant le 1er janvier 2026.

Elle n’espère pas faire changer d’avis les députés de gauche, vent debout contre la proposition de loi. Dans le Monde daté du 15 juin, la ministre les accuse d’ailleurs de « désinformation politicienne » sur le sujet, parce qu’« à part eux, tout le monde s’accorde pour dire qu’il faut cette réforme ». Voire. Le coup de pression est calculé pour emporter l’avis des indécis, de centre droit majoritairement, Démocrates, Liot ou Horizons. Car, selon plusieurs sources, leur position n’est « pas arrêtée ».

Adieu l’identité de chaque chaîne

Le rapport censé « justifier » auprès d’eux la réforme revient rapidement sur la création de la holding exécutive, qui donnera « une vraie capacité de décision et d’arbitrage, notamment en matière d’allocation de ressources ». Dans le Monde, Rachida Dati réfute toute « mainmise du pouvoir politique », mais les conditions de nomination du futur président par une « autorité indépendante » restent opaques, et la création d’un poste de directeur de l’information « placé au niveau de la holding sous la responsabilité directe du PDG » ne peut qu’inquiéter.

Adieu l’identité de chaque chaîne, place à l’uniformisation. Ce que demande Rachida Dati elle-même, regrettant que « sur le terrain » France 3 et France bleu ne travaillent « pas de manière concertée » : « Quand une information est donnée par la radio, la télé ne la reprend pas forcément, et inversement. » On comprend que la « mutualisation » se fera au détriment de la multiplication des sujets et des points de vue. Si la réforme est votée, dans cinq territoires pilotes, le téléspectateur pourra bientôt se faire un avis.

En interne, la volonté affichée du rapport de « développer une offre d’information en continu radio-télé-Web centrée sur l’actualité chaude, le temps 1 de l’info » afin de concurrencer « à armes égales » les géants du Net et « les entreprises de désinformation » fait grincer des dents.

On se demande quels moyens la holding attribuera à cette politique. « À coût zéro », rappelle Rachida Dati dans le Monde 1, alors que, déjà, « à force de rogner dans les budgets et de mutualiser, la stratégie numérique des entreprises de service public se fait à la marge », pestent les syndicats CGT de l’audiovisuel public dans un droit de réponse à l’entretien de la ministre.

Baisse du nombre de postes dans la rédaction

Ils en appellent à la chercheuse Julia Cagé, selon laquelle « l’ensemble des investissements audiovisuels français – public et privé réunis – équivaut à peine à la moitié de ce que Netflix dépense en un an ». Comment, dans ces conditions, rétablir l’équilibre concurrentiel entre les antennes du service public et les acteurs du privé comme Netflix ou Amazon ? Pour les observateurs attentifs et non soumis aux règles du marché, la réponse coule de source : « Les soumettre aux mêmes règles que les acteurs audiovisuels français », rappelle la CGT.

Pour le syndicat, voir dans la seule mutualisation, fusion des rédactions et autres synergies le graal d’un service public conquérant « relève de la pensée magique ». À moins que la future présidence n’aille chercher des économies ailleurs. Le rapport annonce par exemple la recherche de nouveaux « indicateurs de transformation », « part d’ETP (équivalents temps plein – NDLR) et du budget dédié au numérique ».

En clair se profile, avec la « synergie », une baisse du nombre de postes, dans la rédaction et au-dehors, craignent syndicats et journalistes. La méthode a déjà fait des dégâts, rappelle la CGT : à Radio France, les 25 millions d’euros de moins cette année se sont traduits par « la mort annoncée de Mouv’, des émetteurs en moins et des territoires entiers bientôt non desservis »

Le syndicat pointe d’ailleurs une dérive vieille comme France Télévisions, où « plus du tiers du budget part en commandes au privé, dont une part significative profite à des sociétés proches du bloc central de l’Assemblée et de ses réseaux, assure-t-il. Le service public paie, le privé encaisse. »

Les députés réunis en commission ont repris mardi 17 juin l’examen de ce texte arrêté à l’article 2 en avril dernier. Ils ont jusqu’à jeudi soir pour examiner texte et amendements, avant que le débat soit mené dans l’Hémicycle à partir du 30 juin. Mais il n’est pas impossible que l’opération de communication du ministère à la veille d’un choix démocratique important ne les énerve un peu.

  1. Sans compter « l’alignement des statuts », qui coûtera 30 millions d’euros. ↩︎

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