Attractivité de la France : "Il faut faire très attention de ne pas rajouter de fiscalité pour que la croissance et les investissements repartent", alerte Marc Lhermitte du cabinet EY
Pour la sixième année consécutive, la France reste la première terre d'investissements étrangers en Europe, devant le Royaume-Uni et l'Allemagne. Avec 1 025 projets, le baromètre EY montre que la France reste le pays le plus attractif d'Europe. Toutefois, le nombre de projets d'investissements étrangers recule globalement et est au plus bas depuis 2020.
Marc Lhermitte, associé au sein du cabinet EY, et coordonnateur du baromètre annuel sur l'attractivité de la France, publié jeudi 15 mai, nous donne son analyse.
Franceinfo : La France toujours numéro un, c'est le verre à moitié plein. Et le verre à moitié vide, c'est que ces investissements sont en baisse de 14%. Pourquoi ?
Marc Lhermitte : D'abord parce que l'Europe est sans croissance depuis trois ans. Et c'est épuisant de ne pas avoir de croissance. Ça épuiserait la plus audacieuse et la plus solide des entreprises. C'est ça d'abord que les entreprises regrettent, et c'est la raison pour laquelle elles font moins d'investissements en Europe : -5 % entre 2023 et 2024.
"Il y a l'effet du plan Biden, l'IRA, qui a retenu énormément d'entreprises américaines sur le sol des Etats-Unis."
Marc Lhermitte, du cabinet EYà franceinfo
Elles y sont incitées par des mesures fiscales, et aussi par une croissance assez solide, par une énergie très, très compétitive. Les Américains ne se gênent pas pour aller puiser du gaz de schiste. Au final, 50% des investissements américains qui se réalisaient en 2021 ne se réalisent plus en 2024. C'est considérable. Et les grands pays comme la France, le Royaume-Uni, l'Allemagne baissent de la même manière, assez considérablement en 2024.
Les investisseurs américains n'ont pas arrêté d'investir, mais ils le font chez eux ?
Oui, et ils sont un peu refroidis par une Europe qu'ils ont toujours trouvée assez complexe, un peu agaçante. Ils ont surtout peu de croissance, des marchés qui sont très difficiles à capter. Et donc pour le moment, ils se sont mis un peu en pause en Europe.
Joe Biden a un remplaçant à la Maison Blanche, Donald Trump, qui crée un contexte incertain. Cela se ressent-il déjà dans les flux d'investissements ?
Beaucoup d'entreprises sont en train de prendre des positions presque vitales. C'est le cas de Sanofi qui l'a dit très publiquement ce matin : "Je dois aller aux Etats-Unis produire plus".
"Dans un certain nombre de secteurs d'activité, aller s'implanter et produire aux Etats-Unis, c'est presque un réflexe de survie pour se protéger d'importations qui prendraient soudainement 50% de droits de douane, le lendemain, 10%."
Marc Lhermitte, du cabinet EYà franceinfo
Donc avec l'imprévisibilité, le côté un peu chaotique, turbulent et finalement très inquiétant de ces annonces et contre-annonces, les entreprises se disent qu'elles doivent absolument sécuriser ce qu'elles font dans le premier marché mondial, les Etats-Unis. Mais elles se disent aussi que l'Europe, finalement, ça a du mérite. C'est agaçant, c'est complexe, mais c'est une zone de droit, il y a une transparence sur le cap, il y a une forme de collectif qui se crée dans des moments de crise. Est-on dans un moment critique suffisant pour que l'Europe - la Commission avec le Royaume-Uni, la France étant plutôt leader dans cet ensemble - se dise que c'est un moment où on doit se rassembler, arrêter de se diviser, pour avoir une réponse sur les droits commerciaux, sur l'industrie de la défense, mais aussi sur l'automobile ? Tous ces sujets sont sur la table.
L'automobile, comme la chimie, sont justement des secteurs qui n'attirent pas, qui marchent moins bien.
Oui, je pense qu'on voit pourquoi. L'automobile est dans une crise de transition, pour aller du véhicule thermique - qui était la formidable spécialité de beaucoup de constructeurs automobiles en Europe - vers le véhicule électrique. Le géant chinois BYD est allé plus vite et avec des moyens subventionnés de l'Etat chinois. Pour la chimie, c'est une crise qui est liée au coût de l'énergie, quatre fois plus important en Europe qu'aux Etats-Unis par exemple. Et ne parlons pas de la Chine et d'autres régions du monde. Donc ces deux crises systémiques touchent ces deux secteurs, qui sont très importants en France, qui ont énormément apporté d'emplois. Ils continuent à en apporter d'ailleurs, mais beaucoup moins en ce moment que dans les années précédentes.
Et quels sont les secteurs qui attirent les investisseurs en France ?
"Il y a des bonnes nouvelles dans ce baromètre. Et ce sont des performances dans des secteurs sur lesquels on doit miser pour l'avenir : l'énergie et l'IA."
Marc Lhermitte, du cabinet EYà franceinfo
L'énergie, les énergies renouvelables, où la France avait un certain retard. La machine a commencé à investir. Avec plus de 70 investissements dans l'énergie, la France est très largement première en Europe. Deuxième secteur qui marche, c'est l'intelligence artificielle. Ce ne sont pas seulement des effets d'annonces, au formidable sommet de février dernier. Ce ne sont pas seulement les data centers, c'est tout le secteur de l'intelligence artificielle, avec plus de 40 projets. Là aussi, on est très loin devant nos principaux concurrents européens. Donc il y a une avance française sur ces deux secteurs. Il y en a quelques autres, mais ces deux secteurs montrent bien que la France a vraiment, en même temps que ses difficultés du moment, parié sur l'avenir.
Ce sont des projets d'investissement, donc des annonces qu'on va implanter ou agrandir une usine, embaucher. Mais savez-vous si les investisseurs suivent derrière ?
Oui, on les suit tous. C'est un peu la vocation d'une entreprise comme EY de compter ce qui est sûr. On fait ce travail dans 45 pays, on filtre énormément de projets qui ne paraissent pas tout à fait prêts, pas tout à fait sûrs, en France comme ailleurs. En France, les choses sont sérieusement annoncées, sérieusement préparées. Et l'immense majorité de ces projets se réalise. Alors parfois avec des aléas, des retournements de conjoncture, parfois aussi en mieux. Et généralement, ce qu'on annonce se réalise de la bonne manière, en tout cas dans les mêmes proportions, quelques années plus tard.
Je voudrais qu'on parle des singularités françaises parce que les annonces concernent surtout des extensions de sites déjà existants plutôt que des projets d'implantation nouvelle.
Le coût salarial et une certaine prudence relatifs à notre droit social, à notre climat social font que les entreprises hésitent à faire des projets plus volumineux, d'autant plus dans un contexte où la croissance n'est pas vraiment là.
Et les investisseurs sont confiants pour la suite ?
Ils sont beaucoup plus confiants maintenant qu'ils ne l'étaient en octobre, novembre dernier, après la dissolution. Donc ils sont très vigilants et notamment, principalement, à ce qu'il n'y ait pas de fiscalité supplémentaire. Parce que la France est championne d'Europe de l'attractivité, mais aussi championne d'Europe de la fiscalité. Donc il faut faire très attention à ne pas en rajouter pour que la croissance reparte et que les investissements repartent.