Limitation du chalutage de fond dans les aires marines protégées : une mesure d’affichage

Dans un entretien publié samedi par Ouest France, Emmanuel Macron a annoncé, à deux jours du début de la Conférence des Nations unies sur l’océan (Unoc), vouloir « limiter l’activité » des chaluts de fond dans certaines zones des aires marines protégées (AMP) françaises. Pour déterminer ces zones, le président a fait état d’un travail « très précis » élaboré avec des scientifiques et des pêcheurs pour aboutir à un « consensus ». Une annonce dénoncée comme insuffisante par des ONG.

Le chalutage de fond, une méthode de pêche industrielle qui représente un quart de la pêche sauvage mondiale, selon l’observatoire « Global Fishing Watch », est décrié pour son impact majeur sur l’environnement marin. En raclant les fonds avec leurs filets, ces chaluts détruisent la biodiversité sur leur passage et ramassent toutes les espèces sans discrimination – dont nombre sont rejetées mortes en mer. En remuant les sédiments, ils relâchent également du CO2. Si l’Union européenne a émis une recommandation jeudi pour mettre fin à cette pratique dans les AMP d’ici 2030, de nombreuses ONG demandent une réelle interdiction contraignante.

« Emmanuel Macron a consacré son impuissance et son inutilité »

Du côté des associations, les réactions à l’annonce du président de la République sont mitigées. Nicolas Fournier, directeur des campagnes de l’ONG internationale Oceana, a salué « une mesure attendue de longue date et nécessaire pour garantir une véritable protection des océans », et une « première étape positive » à l’approche de l’Unoc, qui aura lieu du 9 au 13 juin à Nice (Alpes-Maritimes). Tout en nuançant : « La France doit éviter toute ambiguïté supplémentaire : interdire le chalutage de fond dans une aire marine protégée ne la rend pas en « protection stricte » car il faudrait pour cela y interdire toutes les activités extractives y compris la pêche. »

Car la position française, qui prône une protection « forte » plutôt que stricte, soulève de nombreuses critiques. « La fausse protection « à la française » continuera à se faire au cas par cas, confetti par confetti, si et seulement si elle recueille un « consensus » entre scientifiques et pêcheurs. Ce qu’a annoncé le président correspond à ce que la France fait déjà, c’est-à-dire rien », a dénoncé l’ONG de protection de l’océan Bloom dans un communiqué. Un coup de communication, mais aussi un message adressé aux pêcheurs, selon l’ONG, qui condamne la politique française en la matière : « Emmanuel Macron a consacré son impuissance et son inutilité : il a confirmé aux lobbies de la pêche industrielle que c’étaient bien eux les maîtres du jeu. »

Des institutions publiques décrédibilisées

Cette logique du « cas par cas », prônée par la France, n’est pas sans poser des difficultés au-delà des politiques publiques en matière maritime. Car elle ne se limite pas aux AMP : décret d’autorisation pour les préfets à délivrer au cas par cas des permis miniers, loi de réautorisation de l’autoroute A69 au mépris de la séparation des pouvoirs, etc. Les exemples ne manquent pas. « La logique du cas par cas est en train de devenir l’application à la carte du droit de l’environnement en France », déplore Marine Calmet, juriste et présidente de l’association Wild Legal, qui défend la reconnaissance des droits de la nature. Une atteinte au droit, selon la juriste : « Politiquement, c’est inexcusable dans le sens où l’on crée une logique de marchandage, territoire par territoire, alors même que le principe du droit est justement que la loi doit être la même pour tous et que tous doivent respecter la loi. » Et ce fonctionnement, développe Marine Calmet, « décrédibilise » les institutions publiques : « ils ne sont plus vus comme des acteurs légitimes de la protection des milieux. »

Une telle logique a des conséquences sur les rapports qu’entretiennent les citoyens et les institutions. « Le droit et la protection ne sont plus guidés ni par la science, ni par l’intérêt général, mais par des intérêts corporatistes et la satisfaction de ces intérêts, ce qui détruit la confiance qu’on peut avoir dans notre système de normes et dans notre État », analyse la juriste, qui dénonce un « sabordage en règle, en quelques années, de ce qui fait ces institutions invisibles mais vitales de l’État. Cela a des répercussions extrêmement fortes sur les institutions visibles comme le Parlement, qui se transforme en chambre d’enregistrement des volontés des ministères, et derrière, des volontés corporatistes. » Un processus qui alimente les clivages et les populismes, et fait aussi le jeu de l’extrême droite. Un véritable enjeu démocratique.