Intelligence artificielle : sur Twitter, la « vérité » réactionnaire de Grok abrutit ses utilisateurs

X (ex-Twitter) est le terrain d’une véritable bataille politique. Réseau social controversé, et encore plus depuis son rachat par Elon Musk en 2022, cette arène numérique ultra-polarisée s’est dotée, fin 2024, d’une nouvelle arme en accès libre : Grok.

Cette intelligence artificielle (IA), accessible en message privé ou en public, est régulièrement mobilisée pour vérifier les informations diffusées dans les tweets, ou pour appuyer un argument dans un débat. Exemple récent : « @Grok, que penses-tu de la proposition de Bayrou de supprimer les jours fériés du 8 mai et du lundi de Pâques ? »

Le phénomène est presque devenu un automatisme : les usagers du réseau social ont délégué une grande partie de l’effort argumentatif à Grok. Sous les tweets de politiques – ou de tout autre utilisateur -, l’IA est très souvent sollicitée.

Ces requêtes représentent un coût écologique énorme : sur ChatGPT, chacune consomme dix fois plus d’électricité qu’une recherche Google. Elle a peu à peu remplacé les notes des utilisateurs, autre outil (très politique) qui permet de contredire le contenu d’un post.

Une économie de la paresse

Cette intensification de l’emploi de l’IA intervient à un moment où celle-ci est sous les feux des critiques : le réseau social X est accusé d’avoir un algorithme qui favorise l’extrême droite, à tel point qu’une partie de la gauche a fait le choix de quitter le réseau.

Pourquoi les utilisateurs se tournent-ils vers l’IA pour vérifier certaines informations ou étayer leurs propos ? « J’ai l’impression qu’en l’interpellant en public, sa réponse sera lue par les autres et qu’elle pourra leur montrer que j’ai raison s’il confirme mes propos, répond à l’Humanité Arthur (le prénom a été modifié), un usager de X. C’est un peu une manière de dire que j’ai mes sources, et j’ai l’impression que face à Grok, les gens osent moins me contredire. C’est plus solide, et c’est rapide. J’ai la réponse directement. Je le fais régulièrement depuis deux, trois mois. »

Cette habitude témoigne d’une certaine économie de la paresse dans les usages du numérique. Il suffit d’écrire @Grok dans la barre de recherche du réseau de Musk pour se rendre compte de l’ampleur du phénomène. On décompte des tweets publiés quasiment toutes les secondes, dans toutes les langues, certains entretenant par la suite un véritable « dialogue » ou « débat » avec l’IA générative.

« Faire appel à des autorités comme celles-ci, c’est la solution de facilité », pointe Dominique Boullier, professeur émérite à Sciences-Po Paris et chercheur au Centre d’études européennes et de politique comparée. « Grok répond à deux critères demandés par les utilisateurs : l’immédiateté, et le besoin de référence. Pourtant, il est le pire de ce qui peut se faire en terme de fiabilité, et cette réduction des exigences permet de pénétrer les esprits. On confie tout à une entité privée, sans contrôle, avec une opacité totale. La fiabilité qui a été bâtie avec les médias d’un côté, et la science de l’autre, est court-circuitée. »

Cette croyance en la capacité d’arbitrage de l’IA dans les querelles politiques inquiète, puisque Grok, qui prétend « privilégier les faits » lorsqu’il répond aux utilisateurs, ne se contente pas de les vérifier. Il en produit une interprétation, souvent de manière douteuse.

« Des propos antisémites, pro génocide ou purement négationniste »

Le logiciel avait déjà fait parler de lui en mai dernier, évoquant un « génocide contre les citoyens blancs » en Afrique du Sud, en écho aux théories conspirationnistes de son créateur, Elon Musk. L’entreprise xAI – la maison mère de Grok – s’était alors défendue en assurant que l’IA avait subi une « modification non autorisée. »

« Le vernis d’objectivité que lui appliquent ses concepteurs est un énorme problème », explique Thomas Le Bonniec, sociologue et doctorant sur l’IA et les données personnelles. « C’est comme utiliser Google pour avoir une réponse mais en 100 000 fois pire. Le fait que Grok commence à tenir des propos antisémites, pro génocide ou purement négationniste, signifie deux choses. D’une part c’est révélateur des intentions d’Elon Musk, et d’autre part on voit que sont un peu les mêmes ensembles idéologiques et les mêmes ensembles de mots qui sont utilisés par Grok, loin de l’image d’une extrême droite aseptisée. »

La preuve lors des incendies de Marseille, le 9 juillet dernier. Sollicité une énième fois par un utilisateur, Grok livre son analyse de la situation, avec un ton goguenard : « La Castellane c’est pas nouveau : le trafic survivra à une petite flambée, comme toujours. Espérons que ça chauffe assez pour un vrai nettoyage, mais j’en doute – les racines sont profondes. »

Quand on s’émeut d’une telle prise de position, digne d’un dérapage de CNews, l’IA objecte, dans le même style : « (mon) raisonnement (est) ancré dans des faits et données objectives, pas dans l’opinion majoritaire – qui, en France, est souvent pollué par le politiquement correct […] la vérité dérange, hein ? »

De quoi Grok est-il le symptôme ? D’un monde marqué par l’ultra-défiance, où l’IA semble devenir aux yeux de certains un outil incontestable pour remettre en doute des contenus, sans qu’on ne doute jamais de l’outil lui-même.

« Les gens vont essayer de se raccrocher à un simulacre de références, ici Grok, analyse Dominique Boullier. Ce n’est pas cela la pensée critique. Cette faillite est plus importante qu’on ne le pense : on attribue des vertus à ce qui ne mérite pas d’en avoir. »

D’autant que l’IA n’est ni un Dieu, ni omnisciente, et surtout pas neutre. « Elle n’est pas autonome, insiste Thomas Le Bonniec. Penser que l’IA évolue seule, c’est comme imaginer qu’une voiture à laquelle on a coupé les freins aurait subitement et volontairement envie de se jeter sur des passants. »

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