Intelligence artificielle : un outil d’hégémonie et de domination ?

Alors que l’intelligence artificielle s’insère à grande vitesse dans notre vie quotidienne, cette nouvelle technologie est peu comprise des usagers comme des responsables politiques. Elle est aujourd’hui largement dominée par les États-Unis et la Chine. Mais l’Europe n’est pas en reste. Des décisions politiques, plus que des investissements massifs, pourraient permettre aux Européens de disputer l’hégémonie américaine à l’heure de la domination des géants de la « Big Tech ».

En tant que scientifiques, comment définissez-vous cette nouvelle technologie appelée « intelligence artificielle » ?

Benjamin Bayart

Ingénieur et cofondateur de la Quadrature du Net

Définir l’intelligence artificielle (IA) en ingénieur n’a que peu d’intérêt. Le public ne voit qu’un fragment : les IA génératives, qui produisent textes, images ou vidéos souvent médiocres hors contexte. Demandez-lui un discours sur les finances publiques, vous aurez une soupe tiède, vaguement cohérente, sans intelligence.

Dans les médias, « IA » est devenue la nouvelle tarte à la crème, comme « algorithme » il y a cinq ans. Un mot fourre-tout qui masque des réalités pourtant intéressantes. Ce qui compte, c’est l’effet social. On n’a pas compris la machine à vapeur en étudiant Watt, mais en observant ses impacts sur les rapports sociaux. L’IA, c’est pareil : la technique compte pour l’usage, pas pour penser la société.

Laurence Devillers

Chercheuse en informatique, autrice de l’IA, ange ou démon ?, éditions du Cerf, 2025

L’IA englobe des algorithmes prédictifs et génératifs. Les chatbots comme ChatGPT, capables de produire du langage, reposent sur l’IA générative et ont un impact réel : certains les considèrent comme des psys, des amis ou assistants ! Le langage reflète une vision du monde. Formées principalement sur des données en anglais, ces IA véhiculent donc une culture anglo-saxonne.

Pourtant, ChatGPT maîtrise le français avec une aisance qui surpasse celle de beaucoup d’entre nous, renforçant l’illusion d’intelligence. L’IA générative fonctionne grâce à des algorithmes d’apprentissage, créant du contenu à partir de milliards de textes, mais sans véritable compréhension ni idées propres, générant des erreurs qu’elle ne peut détecter, appelées hallucinations. Elle produit des résultats incertains, et cette incertitude la rend préoccupante....