Traque de la victime, une plainte mal enregistrée par un policier condamné pour violences conjugales… Ce qu’il faut savoir avant le procès du féminicide de Chahinez Daoud brûlée vive par son ex-conjoint
Alors que 30 féminicides ont été décomptés depuis le début d’année 2025 par le collectif Nous toutes, Mounir Boutaa, l’ex-mari de Chahinez Daoud comparaît ainsi ce lundi 24 mars jusqu’au vendredi 28 pour assassinat devant la cour d’assises de la Gironde. Le procès se déroule quatre ans après cette affaire de féminicide dans laquelle des policiers avaient été sanctionnés. Parallèlement au dossier pénal, la famille de la défunte a lancé une procédure pour « faute lourde » contre l’État.
Le 4 mai 2021, l’ancien compagnon, et père du troisième enfant de cette femme de 31 ans, gare près du domicile familial, en banlieue bordelaise, un fourgon récemment acheté et aménagé pour observer discrètement l’extérieur. Il y passe la journée à scruter les allées et venues de sa femme, qui ne peut le repérer.
Il la poursuit dans la rue en plein jour devant son domicile de Mérignac près de Bordeaux, aux yeux de tous. Il lui tire dans les jambes afin de l’immobiliser, l’asperge d’un liquide inflammable avant de mettre le feu, filmant une partie des faits avec son téléphone. Un voisin ayant entendu hurler tente de s’interposer, en vain. Le corps de la victime est retrouvé presque entièrement carbonisé, la tête dans le caniveau. L’homme est arrêté peu après.
Une plainte mal enregistrée par un policier condamné pour violences conjugales
L’arrêt de la chambre d’instruction confirmant l’ordonnance de mise en accusation dessine « le portrait archétypal poussé à son paroxysme d’un auteur de féminicide », selon Me Julien Plouton l’avocat des parents de Chahinez, rapporte le quotidien Le Monde.
Dans cette affaire représentative de la faillite du système français dans la lutte contre les féminicides, de nombreux facteurs de risque étaient réunis. D’autant que Chahinez Daoud avait à plusieurs reprises alerté les forces de police et porté plainte.
En effet, l’homme de 48 ans était sorti de prison fin 2020 après une condamnation pour des faits de strangulation et de menace avec un couteau sur son épouse. L’ouvrier maçon, déjà condamné pour des violences sur une première conjointe, avait interdiction d’entrer en contact avec Chahinez Daoud, qu’il avait connue en Algérie en 2015, mais leur vie commune avait repris jusqu’en mars 2021.
Elle avait alors déposé une nouvelle plainte contre lui, mal enregistrée par un policier qui venait lui-même d’être condamné pour violences conjugales. La victime ne disposait pas de téléphone grave danger et son conjoint ne s’était pas vu attribuer de bracelet antirapprochement à sa remise en liberté.
« Une traque, un harcèlement, une surveillance quasi quotidienne »
Durant deux mois, « il y a eu une traque, un harcèlement, une surveillance quasi quotidienne », avant le « déchaînement de violences inhumain » du 4 mai 2021, a déclaré à des journalistes l’avocat des parties civiles, Maître Julien Plouton, avant le procès. Pour le conseil, Mounir Boutaa a eu « la volonté non seulement de tuer quelqu’un » mais aussi « de tuer une femme, de l’effacer, de l’annihiler, de la châtier ».
En garde à vue, l’accusé a affirmé d’emblée vouloir « la cramer », « pour tout le mal qu’elle et la justice (lui) ont fait » en le faisant condamner, à tort selon lui. Il a ajouté avoir voulu « la punir », « lui laisser des traces » en la brûlant « un peu », « lui faire la peur de sa vie » mais a nié avoir voulu la tuer. « Pour lui, il n’y a pas de préméditation », ont affirmé ses avocates, Maître Anaïs Divot et Maître Elena Badescu, soulignant que « les trois experts psychiatres » intervenus dans l’enquête ont conclu à « une altération de son discernement au moment des faits ».
« En Algérie, il était doux mais une fois revenu ici c’est devenu un monstre », a raconté la mère de Chahinez Daoud, Djohar Daoud, pointant avec son mari, l’isolement de leur fille en France, dépourvue de protection familiale. Elle « aimait les gens. Jamais elle ne se mettait en colère. Contre personne. Son bonheur, c’était ses enfants », a-t-elle ajouté. Après sa mort, les deux grands-parents sont venus en Gironde s’occuper de leurs trois petits-enfants, âgés aujourd’hui de 16, 11 et 8 ans. La famille a lancé une procédure pour « faute lourde » contre l’État.
Cinq fonctionnaires ont été sanctionnés
« La mort de Chahinez nous a conduits à nous interroger collectivement sur la façon d’améliorer encore davantage un système à la fois policier, judiciaire et d’investigations, pour permettre d’éviter ce type de drame » a déclaré l’ancienne procureure de la République de Bordeaux, Frédérique Porterie au micro de « Ici Gironde » en 2022, un an après l’assassinat de Chahinez Daoud.
Et pour cause. Une inspection diligentée par le gouvernement de l’époque sur les conditions de remise en liberté et le suivi de l’ex-mari a relevé une série de « défaillances », tandis qu’une enquête de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) pointait fautes et erreurs d’appréciation.
Cinq fonctionnaires ont été sanctionnés, dont le directeur de la police en Gironde et le commissaire de Mérignac alors en poste, pour avoir omis d’informer leur hiérarchie et la mission d’inspection que le policier ayant mal enregistré la plainte du 15 mars 2021 venait lui-même d’être condamné pour violences conjugales – il a été radié depuis.
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