La Fondation humanitaire de Gaza menacée de poursuites pour complicité de crimes de guerre
Elles dénoncent un système "déshumanisant et meurtrier". Quinze organisations internationales de défense des droits humains ont appelé, lundi 23 juin, la Fondation humanitaire de Gaza (GHF) ainsi que d’autres groupes privés opérant dans l'enclave assiégée, à cesser leurs activités sous peine de poursuites judiciaires.
"Ce nouveau modèle de distribution d'aide privatisée, militarisée, représente un changement radical et dangereux par rapport aux opérations humanitaires internationales établies", écrivent ces défenseurs des droits dans une lettre adressée à la GHF ainsi qu'à ses filiales Safe Reach Solutions et UG Solutions.
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Selon les signataires, parmi lesquels figurent la Fédération internationale pour les droits humains (FIDH), le Centre américain pour les droits constitutionnels ou encore la Commission internationale des juristes, ces sous-traitants sont susceptibles d'"aider, encourager ou de se rendre complices de crimes relevant du droit international, notamment de crimes de guerre, de crimes contre l’humanité ou de génocide". Ils estiment également que ces acteurs pourraient être tenus légalement responsables aux États-Unis et dans d’autres juridictions.
"Les civils gazaouis sont contraints de parcourir plusieurs kilomètres pour atteindre l’un des quatre centres de distribution de l’aide, au péril de leur vie. Par ailleurs, l’accès à l’aide est conditionné à des contrôles d’identité stricts, incluant la reconnaissance biométrique et faciale. Cela soulève de sérieuses préoccupations en matière de respect des droits fondamentaux et de la dignité humaine", précise Mouna Dachri, porte-parole de la FIDH.
Un nouveau système "humilie et dégrade les personnes désespérées"
Israël a imposé début mars au territoire un blocus humanitaire qui a entraîné de très graves pénuries de nourriture, médicaments et autres biens de première nécessité. Le blocus n'a été que partiellement assoupli fin mai.
Alors que plus de deux millions d’habitants de l'enclave sont au bord de la famine, ces organisations demandent le retour aux manettes de l'agence des Nations unies pour les réfugiés palestiniens (Unrwa) évincée par Israël qui accuse l'agence d'entretenir des liens avec le Hamas.
Le patron de l'Unrwa, Philippe Lazzarini, a estimé mardi que le système actuel était "une abomination" qui "humilie et dégrade les personnes désespérées". De son côté, le bureau des droits humains de l'ONU a appelé à la levée des "restrictions illégales sur le travail de l'ONU et des autres acteurs humanitaires", seuls à disposer de "l'expertise" nécessaire à la distribution de l'aide à Gaza.
Ce nouveau coup de semonce contre la GHF intervient alors que depuis le mois de mai les opérations humanitaires dans l'enclave se transforme presque systématiquement en bain de sang. Mardi 24 juin, la Défense civile de Gaza a de nouveau déploré la mort de 46 personnes rassemblées à proximité d'un centre de distribution d'aide au cours de deux incidents distincts dans le centre de l'enclave et à proximité de Rafah dans le Sud.
Sollicité par l'AFP, l'armée israélienne n'a fait aucun commentaire dans l'immédiat sur ce nouvel incident.
Une fondation opaque
Selon les autorités sanitaires locales, 450 Palestiniens ont péri, et près de 3 500 ont été blessés, ces dernières semaines en tentant d'obtenir de l'huile ou un sac de farine à proximité de l'un des quatre centres gérés par la GHF. Dans un éditorial, le quotidien israélien de gauche Haaretz évoque une aide humanitaire devenue "un piège mortel" et un nouveau "Hunger Games", récit de science-fiction dans lequel des adolescents sont contraints de s'entretuer au cours d'un programme télévisé.
"La distribution d’aide organisée par la GHF ne peut pas fonctionner à Gaza car elle ne répond ni aux impératifs humanitaires, ni aux réalités du terrain. Ce dispositif sert surtout de propagande, visant à contrer les accusations de famine", estime Mouna Dachri. "Le 8 juin, l’armée israélienne annonçait fièrement avoir distribué un million de repas. En réalité, cela représente à peine un demi repas par personne, pour les 2,2 millions d’habitants de Gaza, ce qui est dérisoire face aux besoins. À l’inverse, l’Unrwa disposait de 400 centres de distribution avant le conflit, avec une connaissance fine du terrain et une capacité logistique éprouvée".
Décriée dès l'annonce de sa création, la GHF est pointée du doigt pour son modèle militarisée mais aussi l'opacité de son fonctionnement. Sur le papier, la structure a tout d'une coquille vide, selon la communauté humanitaire.
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Enregistrée à Genève, la fondation fait actuellement l'objet d'une enquête de la part des autorités suisses. Contrairement aux exigences de la loi helvétique en matière de transparence du financement des fondations, la GHF n’a ainsi publié ni budget, ni rapport financier, ni liste de donateurs, rapporte le quotidien Le Monde.
À ses irrégularités juridiques, s'ajoutent des liaisons dangereuses avec le monde militaire et celui de la sécurité privée américaine : Safe Reach Solutions, l'une des filiales de la GHF, est dirigée par Philip Reilly, ancien chef paramilitaire de l’Agence centrale de renseignement (CIA), tandis que UG Solutions est pilotée par un ancien membre des forces spéciales américaines.
"Les liens de la GHF avec des paramilitaires américains ne font qu’aggraver le problème", souligne Mouna Dachri. "De telles associations minent la confiance dans l’intention humanitaire de l'aide et renforcent la perception d’une instrumentalisation politique et militaire de la crise humanitaire".
Des mesures européennes à l'étude
Face à la situation désastreuse des civils dans la bande de Gaza, une réunion a eu lieu, lundi 23 juin à Bruxelles, pour examiner une possible révision de l'accord d'association entre l'UE et Israël en raison de la violation présumée de son article 2 relatif au respect des droits humains.
"L'objectif n'est pas de punir Israël, mais d'apporter des améliorations concrètes à la population et à la vie des habitants de Gaza. C'est donc ce que nous essayons de faire maintenant", a assuré la cheffe de la diplomatie européenne Kaja Kallas, à l'issue de ce rendez-vous.
"Si la situation ne s'améliore pas, nous pourrons discuter d'autres mesures et nous reviendrons sur ce point en juillet", a ajouté la diplomate, qui avait fait part de sa frustration la semaine dernière devant les eurodéputés, tant les pays européens peinent à accorder leurs positions.
Plusieurs États européens demandent de revoir certains échanges commerciaux avec Israël pour des biens et services provenant de territoires palestiniens occupés par des colons israéliens.
"C'est l'une des mesures qui pourraient être prises", a affirmé Kaja Kallas.
Alors qu'un cessez-le-feu fragile avec l'Iran est entré en vigueur mardi, certains dirigeants, à l'image d'Emmanuel Macron, assurent que le temps est venu de faire taire les armes à Gaza.
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"Au-delà ce qui se passe sur l'Iran, je redis ici la nécessité d'obtenir un cessez-le-feu à Gaza et de reprendre l'aide humanitaire à Gaza", a dit le président français à la presse en marge d'une visite officielle à Oslo. "C'est absolument prioritaire" pour restaurer la stabilité dans la région, a-t-il souligné.
De son côté, le chef de l'opposition israélienne, Yaïr Lapid, a également estimé plus tôt qu'il était "temps d'en finir là-bas aussi. Ramener les otages, mettre fin à la guerre" dans l'enclave palestinienne.
Avec AFP