L'interdiction de l'Unrwa, une méthode d'Israël pour forcer à trouver une alternative ?
À une écrasante majorité (92 voix pour, 10 contre), la Knesset – le Parlement israélien – a adopté lundi 28 octobre un projet de loi visant à interdire sur le territoire israélien les activités de l’agence onusienne pour les réfugiés palestiniens (Unrwa). Une décision qui a immédiatement provoqué une vive inquiétude au sein de la communauté internationale – États-Unis et ONU en tête –, qui dénonce une décision "intolérable" qui aura des "conséquences dévastatrices".
"Ces projets de loi accroissent les souffrances des Palestiniens et ne constituent rien de moins qu’une punition collective", a réagi lundi le commissaire général de l'Unrwa, Philippe Lazzarini.
Créée par l'Assemblée générale des Nations unies en 1949, l'agence onusienne gère notamment des centres de santé et des écoles dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. Fournissant abris, nourriture et soins, elle est considérée comme la "colonne vertébrale" de l'aide à Gaza.
Si l'agence est depuis longtemps dans le viseur de l'État hébreu, Israël a encore accentué sa pression en février, accusant certains de ses employés d’avoir participé aux attaques du 7-Octobre sur son sol.
"Il existe un lien profond entre l'organisation terroriste (Hamas) et l'Unrwa, et Israël ne peut pas le tolérer", a insisté Yuli Edelstein, l'un des députés à l'origine des deux textes votés lundi par la Knesset, dont le second, adopté par 89 voix contre sept, interdit aux responsables israéliens de travailler avec l'agence onusienne et ses employés.
L’essentiel des votes s’opposant aux textes émane des quelques députés arabes israéliens ou de représentants ultraminoritaires de l’extrême gauche. Dans sa grande majorité, l’opposition est au diapason avec le pouvoir dans son rejet de l'Unrwa.
Selon Elizabeth Sheppard Sellam, maîtresse de conférences en relations internationales et politiques à l'université de Tours, les lois votées par la Knesset sont "une manière pour le gouvernement d'assurer aux Israéliens qu'il ne laissera pas le 7-Octobre se répéter". Pour elle, "c'est un discours simpliste d’un gouvernement populiste, et ce message fort survient parce que les Israéliens ont l’impression de ne pas être entendus de la communauté internationale".
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"Effacement politique" ?
Au sein du gouvernement israélien, mais aussi plus généralement de la population israélienne, "il y a un problème avec l'Unrwa qui est mal vécu", explique Elizabeth Sheppard Sellam. Aussi, ajoute cette spécialiste des politiques de sécurité et de défense, si la loi en elle-même est très débattue au sein de la société israélienne – car considérée comme n'étant pas la meilleure façon d'agir, notamment vis-à-vis de la communauté internationale –, il ne fait aucun doute que l'organisation de l’ONU visée pose souci à la majorité des Israéliens.
"Les Israéliens, y compris ceux qui sont contre le gouvernement de Netanyahu et qui pensent que cette loi est fâcheuse, pensent aussi que cette agence est fâcheuse", précise Elizabeth Sheppard-Sellam. "L'enjeu final est de trouver une alternative, quelque chose qui remplisse les mêmes fonctions que l'Unrwa mais pose moins problème aux Israéliens, tout en étant aussi accepté par la communauté internationale."
Sur place, d'autres agences existent, "mais pour faire ce que l'Unrwa fait, il faudrait quelque chose de plus étoffé. Or, pour cela, il faut un plan. Et le gouvernement actuel n'en a toujours pas", souligne l'experte.
"L’Unrwa est le principal moyen par lequel une assistance essentielle est fournie aux réfugiés palestiniens dans le territoire palestinien occupé", a rappelé pour sa part le patron de l'ONU, Antonio Guterres, en réaction au vote de la Knesset.
"Il n’y a pas d’alternative à l’Unrwa." - Antonio Guterres, secrétaire général des Nations unies, en réaction au vote du Parlement israélien.
Sans pour l'instant en avoir apporté la preuve, le gouvernement israélien affirme que 10 % environ des employés de l’agence (qui en compte 30 000 au total, dont 13 000 à Gaza) sont affiliés au Hamas ou au Jihad islamique palestinien. En août, une enquête de l’ONU révélait que "neuf personnes [de l’Unrwa] pourraient avoir été impliquées" dans les massacres du 7-Octobre en Israël.
En avril, un audit établissait que la dérive de quelques individus ne pouvait entraîner la chute d'une agence qui reste "irremplaçable et indispensable". C’est ainsi que l’Allemagne ou encore la France ont continué à financer l’Unrwa.
Côté palestinien, la dimension de cette loi dépasse la question humanitaire. "Le but de cette loi, c'est de passer de l'effacement humanitaire à l'effacement politique", a ainsi estimé sur France 24 Rami Abou Jamous, journaliste palestinien à Gaza. "Tout le monde sait que l'Unrwa représente le droit de retour des réfugiés, la reconnaissance par les Nations unies que ces Palestiniens ont subi l'injustice et ont été forcés de partir de chez eux", poursuit-il. "La présence de l'organisation, c'est la présence de ce droit de retour. Effacer l'Unrwa, c'est effacer l'appartenance [des Palestiniens] à cette terre."

"Forcer le dialogue"
Alors que la Jordanie a dénoncé une tentative d’"assassinat politique" de l’Unrwa, et que plusieurs pays tels que l’Irlande, la Norvège, la Slovénie ou encore l’Espagne – pays ayant reconnu l’État de Palestine – ont "condamné" le texte adopté lundi, le Premier ministre israélien, Benjamin Netanyahu, a quant à lui affirmé que l'État hébreu était "prêt" à "travailler avec [des] partenaires internationaux" pour continuer à "faciliter l’aide humanitaire à Gaza d’une façon qui ne menace pas [sa] sécurité".
Pour Elizabeth Sheppard-Sellam, l'adoption de la loi par la Knesset permet au gouvernement israélien de "forcer le dialogue en disant : 'Vous ne voulez pas nous écouter ? Maintenant, vous allez le faire.'"
En effet, explique la chercheuse, s'il y a une incompréhension de la communauté internationale vis-à-vis de cette loi, il y a aussi une incompréhension des motivations qui se cachent derrière, et des inquiétudes partagées par la population israélienne quant à la participation de certains employés aux attaques qui ont endeuillé Israël il y a un an.
L'adoption de cette loi représente "un doigt d'honneur à l'ONU qui est vue comme une organisation hostile", poursuit Elizabeth Sheppard-Sellam, qui ajoute qu'une partie de la population israélienne pense que le texte pourrait les protéger d'une institution dont ils se méfient. "Le peuple a le sentiment que l’ONU se fiche de lui, et le gouvernement actuel prend ça davantage comme une motivation pour dire à l'ONU 'Ça suffit !' Ce n'est pas la meilleure façon de dialoguer, mais c'est vécu comme un message fort à envoyer."
Reste qu'aujourd'hui, le dispositif humanitaire déjà très affaibli à Gaza se trouve encore plus menacé. Si d'autres organisations humanitaires sont sur place, ces solutions ne sont pas pérennes, estime Elizabeth Sheppard-Sellam, qui ajoute qu'une grande partie de la population israélienne, bien que méfiante à l'égard de l'Unrwa, ne souhaite pas pour autant l'arrêt de toute aide humanitaire.
Sans l'Unrwa, l’Unicef – le Fonds des Nations unies pour l'enfance – serait par exemple dans l’incapacité de distribuer des fournitures vitales dans l’enclave palestinienne, a affirmé lundi son porte-parole, James Elder.
Aussi, conclut Elizabeth Sheppard-Sellam, "il y a une obligation à long terme de trouver une solution. Une solution qui soit légitime à la fois pour les Palestiniens et pour les Israéliens."