Quand Israël utilise son arsenal législatif pour en finir avec l'Unrwa
La "destruction de l'Unrwa" est un "but de guerre" pour Israël. Voilà ce qu'a affirmé, le 9 octobre, le chef de l’agence pour les Palestiniens, Philippe Lazzarini, devant le Conseil de sécurité des Nations Unies. Des propos très forts qui ont conduit ce Conseil de sécurité de l'ONU, y compris les États-Unis, à mettre en garde Israël contre le vote d'une loi qui empêcherait l'Unrwa de mener à bien ses activités.
Le chef des Nations unies Antonio Guterres, lui-même persona non grata dans l’Etat hébreu, avait, lui, alerté sur les conséquences "catastrophiques" d’une telle mesure.
La commission des Affaires étrangères et de la Défense de la Knesset, le Parlement israélien, a en effet approuvé le 6 octobre deux textes de loi qui ont pour but de mettre fin à l'activité et au statut de l'Unrwa en Cisjordanie et à Gaza, occupés par Israël.
Créée par l'Assemblée générale en 1949, l'Unrwa (United Nations Relief and Works Agency for Palestine Refugees in the Near East - Office de secours et de travaux des Nations unies pour les réfugiés de Palestine dans le Proche-Orient) gère des centres de santé et des écoles pour les près de 6 millions de réfugiés palestiniens enregistrés, à Gaza, en Cisjordanie occupée, mais aussi au Liban, en Syrie et en Jordanie. Considérée comme la "colonne vertébrale de la réponse humanitaire à Gaza" par Antonio Guterres, à la fois "indispensable" et "irremplaçable", l’agence est la cible d’attaques d’Israël depuis déjà plusieurs années.
"Une déclaration de guerre"
Les deux textes de loi sont "effectivement une sorte d'attaque en règle, de déclaration de guerre" d’Israël à l’Unrwa, estime Denis Charbit, professeur de sciences politiques à l’université ouverte d'Israël, qui inscrit ces actions dans un contexte plus large d’attaques israéliennes contre l'Onu dans son ensemble. Le ministre israélien des Affaires étrangères Israël Katz avait ainsi, en avril 2024, accusé ouvertement l'Onu d'antisémitisme.
Pour le chercheur, "l'Unrwa est aujourd’hui la cible principale" du gouvernement israélien, mais "le torchon brûlait depuis quelques années". Selon lui, l'État hébreu a "depuis cinq ans" deux grandes critiques à adresser à l’organisation onusienne : "D'abord, pourquoi les Palestiniens ont-ils droit à une institution particulière alors que les autres réfugiés du monde entier sont sous la protection du HCR (Haut-commissariat aux Réfugiés) ? Ensuite, depuis quand la condition de réfugié se transmet-elle de génération en génération ?"
Juliette Touma, directrice de la communication de l’Unrwa, réfute ces arguments et explique que la transmission du statut de réfugié se produit également avec ceux enregistrés auprès du HCR, citant le cas des réfugiés syriens, afghans, ou somaliens. Pour l’Onu, "les situations prolongées de réfugiés prolongés résultent de l’impuissance à trouver des solutions aux crises politiques qui les ont provoquées". Les réfugiés palestiniens aspirent toujours au droit au retour, qui leur est garanti par la résolution 194, qui reste non appliquée jusqu’à ce jour.
"L'Unrwa n’a pas de mandat sur le droit de retour, précise Juliette Touma, en référence à la revendication des descendants des Palestiniens expulsés en 1948 d’obtenir le droit de retourner sur leurs terres. Elle est mandatée pour fournir des services de santé et d’éducation aux réfugiés palestiniens. Les deux choses sont donc très différentes. C'est pourquoi le commissaire général a déclaré à plusieurs reprises que même si l'Unwra était démantelée, les droits des réfugiés resteraient, car nous parlons de deux résolutions très différentes de l'Assemblée générale".
Philippe Lazzarini a ainsi affirmé en février 2024 que les attaques israéliennes contre l'organisation visent à mettre fin à la question du "droit au retour". "C'est un objectif politique à long terme car on pense que si l'agence humanitaire est abolie, le statut des réfugiés palestiniens sera résolu une fois pour toutes – et avec lui, le droit au retour", a-t-il déclaré. "Il y a derrière cela un objectif politique bien plus vaste."

Des campagnes de désinformation
"On voyait bien que l'Unrwa était dans la ligne de mire du gouvernement, dans sa propagande officielle", explique de son côté Denis Charbit, avant de préciser que les attaques "ont pris un tour particulièrement coriace et impitoyable" depuis un an. Les mauvaises relations entre Israël et l'Onu se sont gravement détériorées à la suite des attaques du Hamas et ses alliés du 7-Octobre, l’Etat hébreu accusant l’Unrwa d'employer des "terroristes" à Gaza. Neuf personnes "pourraient avoir été impliquées" dans les attaques du 7-Octobre, selon une enquête de l'ONU rendue publique en août, alors que 13 000 travaillent dans la bande côtière palestinienne.
"L'agence a été sérieusement attaquée presque depuis le début de la guerre", précise Juliette Touma, en poste au quartier général de l'Unrwa à Amman. Cela s'est manifesté de différentes manières". Et la cheffe de communication de l'agence de citer ses 228 collègues tués au cours de l’année écoulée, et les deux tiers de leurs installations à Gaza inutilisables parce que touchées pendant la guerre, certaines plusieurs fois.
"Nous subissons de sérieuses restrictions sur nos mouvements dans la bande de Gaza pour fournir de l'aide humanitaire. Plusieurs de nos convois ont été visés", dit également Juliette Touma. "Nous avons donc été attaqués sur le terrain, physiquement, mais nous avons aussi été soumis à de très lourdes campagnes de désinformation qui continuent de diffuser des informations inexactes sur l'agence, sur des violations de la neutralité et l'affiliation de l’agence, de nos programmes et de notre personnel avec une certaine partie de Gaza" regrette-t-elle.
Israël "ignore ce qu'est la diplomatie"
Les accusations israéliennes ont amené plusieurs pays, dont la France à réduire, dans un premier temps, leurs financements à l’organisation, voire à les suspendre. Or, l'ancienne ministre française des affaires étrangères Catherine Colonna, chargée par l’Onu d’évaluer la neutralité de l'Unrwa après les accusations d’Israël, explique dans son rapport que l’État hébreu n’a fourni aucune preuve pour étayer ses allégations, et que l'agence onusienne a régulièrement fourni à Tel-Aviv la liste de ses employés à des fins de vérification.
Pour Denis Chablit, "puisqu'on ne peut pas avoir la peau en quelque sorte de l'Unrwa, en s'appuyant sur un soutien international, on va lui mettre des bâtons dans les roues" et l’interdire en votant une loi à la Knesset, "à des fins de politique intérieure". Pour le chercheur, c'est le fait "d'un gouvernement qui ignore ce qu'est la diplomatie, qui n'a aucun sens de la réserve." Il estime que le texte sera voté à une majorité écrasante, avec une opposition qui, dans le meilleur des cas, ne votera pas contre mais s'abstiendra."
"C’est un petit peu l'hubris israélienne actuelle de dire 'Nous, on sait tout, on sait comment faire et s'ils ne sont pas contents, on leur montre qu'on est les plus forts'", analyse encore le chercheur. Au risque qu'"Israël, qui est déjà dans une mauvaise situation internationale, ne se rende de plus en plus illisible et incompréhensible auprès de ses alliés".