De plus en plus isolé diplomatiquement, Israël ne retient plus ses coups contre la France
L'initiative provoque les foudres d'Israël. Du 17 au 20 juin, la France coprésidera, aux côtés de l'Arabie saoudite, une conférence internationale à l'ONU pour remettre sur la table la solution à deux États – à laquelle le gouvernement israélien s'oppose fermement. Plus encore, Paris envisage, sous conditions, de reconnaître un État palestinien d'ici la fin de l'année.
Ces prises de position ont déclenché une vague de critiques émanant du gouvernement de Benjamin Netanyahu et de ses alliés. Dans une interview publiée samedi sur le site de Fox News, Mike Huckabee, ambassadeur américain en Israël, s'est montré cinglant : "Si la France est vraiment si déterminée à voir un État palestinien, j'ai une suggestion à lui faire : détacher un morceau de la côte d'Azur et créer un État palestinien", a-t-il déclaré.
Une outrance de plus. Face à une pression internationale croissante concernant la guerre dans la bande de Gaza – où un blocus de plus de deux mois, partiellement assoupli la semaine dernière, a entraîné de graves pénuries de nourriture et de médicaments –, le gouvernement israélien multiplie les attaques verbales contre Paris.
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Vendredi, le ministère israélien des Affaires étrangères a accusé Emmanuel Macron de mener une "croisade contre l'État juif", réagissant à ses propos qualifiant la reconnaissance d'un État palestinien d'"exigence politique". L'État hébreu réfute également les accusations de blocus humanitaire, les qualifiant de "mensonge flagrant", malgré les alertes de l'ONU sur le risque de famine à Gaza.
Des tensions enracinées dans l'histoire
Les relations franco-israéliennes ont toujours connu des hauts et des bas. Après des débuts marqués par une coopération étroite à la suite de la création d'Israël en 1948, notamment militaire et politique, les décennies suivantes ont alterné entre rapprochements diplomatiques et passes d'armes parfois très dures.
Chaque déclaration française sur la reconnaissance d'un État palestinien s'est heurtée à des accusations israéliennes d'antisémitisme, assorties de références à la collaboration du régime de Vichy avec les nazis.
"Les réactions [d'aujourd'hui] ne sont pas vraiment surprenantes. Elles sont assez conformes à la rhétorique belliciste qui émane du gouvernement israélien", explique Karim Émile Bitar, maître de conférences en études moyen-orientales à Sciences Po Paris. "Ce qui est nouveau aujourd'hui, c'est qu'elles soient montées d'un cran. C'est symptomatique d'une panique face à l'évolution de l'opinion publique occidentale."
Il ajoute : "Les relations de la France avec Israël ont toujours été difficiles. Depuis Charles de Gaulle, presque tous les présidents français, sauf peut-être Sarkozy, ont été qualifiés d'antisémites par le gouvernement israélien". L'expert note : "Mais aujourd'hui, les Israéliens deviennent presque insultants. On dirait parfois qu'il y a une volonté d'humilier la France."
Les tensions prennent parfois une tournure concrète, comme lors de la brève interpellation en novembre dernier de deux gendarmes français sur un site religieux géré par la France à Jérusalem. Le ministre français des Affaires étrangères Jean-Noël Barrot avait alors annulé sa visite, et Paris avait convoqué l'ambassadeur israélien.
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Ce n'est pas une première : en janvier 2020, la visite d'Emmanuel Macron avait été marquée par une bousculade devant la basilique Sainte-Anne, lorsque les forces de sécurité israéliennes ont fait irruption sur le site. Le président avait lancé en anglais à un policier israélien "I don't like what you did in front of me" ("Je n'aime pas ce que vous avez fait devant moi").
L'incident le plus connu reste celui de 1996, quand le président Jacques Chirac s'était aussi emporté contre des soldats israéliens qui l'encadraient de trop près en lançant "Do you want me to go back to my plane ?" ("Voulez-vous que je remonte à bord de mon avion ?"), avant d'exiger que les militaires sortent du domaine de Sainte-Anne.
Paris relance le débat au sein du G7
Face à l'impasse diplomatique, la France veut élargir le débat au sein du G7 sur la reconnaissance d'un État palestinien. Alors qu'une majorité des pays membres de l'ONU – 147 sur 193 – ont déjà franchi le pas, dont récemment l'Espagne, l'Irlande, la Norvège et la Slovénie, les grandes puissances occidentales, et en particulier les membres du G7, s'y sont jusqu'à présent opposées. Leur position : la reconnaissance d'un État palestinien doit résulter d'un accord négocié avec Israël.
Mais cette approche paraît de plus en plus déconnectée de la réalité, au regard du bilan humain à Gaza – plus de 54 000 morts, selon les autorités locales – et du blocage persistant au Conseil de sécurité de l'ONU, où Washington a mis son veto à la candidature palestinienne à un statut d'État membre. Dans ce contexte, la tentative française de faire évoluer la position du G7 suscite la colère d'Israël.
"Les Israéliens considèrent, à juste titre, qu'Emmanuel Macron mène le mouvement des tout derniers pays du G7 qui n'ont pas reconnu un État palestinien", analyse Michel Duclos, ancien ambassadeur français en Syrie et conseiller spécial de l'Institut Montaigne, basé à Paris.
Le Quai d'Orsay évoque désormais une "aspiration légitime" à un État palestinien, à condition qu'il s'inscrive dans une stratégie globale : désarmement du Hamas, libération des otages, réforme de l'Autorité palestinienne et plan de reconstruction pour Gaza.
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Côté israélien, cette initiative est dénoncée comme une "récompense pour le Hamas", relate Michel Duclos, qui y voit un contresens : "La façon de priver le Hamas de sa légitimité est de dire qu'il doit y avoir un État palestinien, bien sûr – pas entre les mains du Hamas ou des extrémistes –, mais entre les mains d'une Autorité palestinienne réformée".
Retour au gaullo-mitterrandisme ?
Depuis l'attaque meurtrière du Hamas le 7 octobre 2023, Emmanuel Macron a infléchi sa position sur la question palestinienne, face à la détérioration de la situation humanitaire à Gaza. Une évolution dictée à la fois par des considérations morales, géopolitiques et internes, dans un pays où cohabitent les plus importantes communautés juive et musulmane d'Europe.
"Emmanuel Macron a tenté d'appliquer sa traditionnelle approche du 'en même temps' en politique étrangère", commente le chercheur Karim Émile Bitar. "Au départ, il soutenait fortement Israël après les massacres du 7-Octobre. Mais progressivement, il a commencé à changer sa rhétorique, et il est devenu de plus en plus critique envers Israël."
Un changement de cap qui s'inscrit dans une tradition française, inaugurée par De Gaulle. En 1967, le premier président français de la Ve République rompt brutalement avec Israël : embargo sur les armes, fin de la coopération militaire. Il lance alors la fameuse "politique arabe" de la France, tournant Paris vers les revendications palestiniennes et celles du monde arabe.
Le président socialiste François Mitterrand perpétue cette ligne, donnant naissance au concept de "gaullo-mitterrandisme" : la France comme voix dissonante au sein de l'Occident, à l'opposé de l'alignement britannique systématique sur Washington. Jacques Chirac amplifie cette posture, notamment en 2003 lors de son opposition à l'invasion américaine de l'Irak, défiant ouvertement les États-Unis.
Puis tout bascule sous Nicolas Sarkozy. "En France, il était le premier président français ouvertement pro-israélien", explique Karim Émile Bitar. "Sous François Hollande, la France a commencé à être perçue comme un simple pays occidental parmi d'autres : elle ne renvoyait plus l'image d'une voix dissidente au sein de l'Occident", note-t-il. "La France a perdu son soft power dans le monde arabe à cause de cela."

De son côté, Emmanuel Macron "tente d'instaurer un certain équilibre, de maintenir des relations solides avec Israël, mais de le critiquer quand c'est nécessaire. Et ces derniers mois, il a haussé le ton", dit Karim Emile Bitar.
Face à l'hostilité affichée de Donald Trump envers l'Europe, Emmanuel Macron a intensifié ses échanges avec plusieurs alliés, parmi lesquels le Britannique Keir Starmer, l'Australien Anthony Albanese et le Canadien Mark Carney, en amont du sommet onusien sur la solution à deux États. Mais pour nombre d'experts, une reconnaissance occidentale de l'État palestinien ne devrait guère modifier la réalité sur le terrain à Gaza et en Cisjordanie, tant qu'Israël reste sous la protection de Washington.
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Même les récentes initiatives diplomatiques de Donald Trump, comme la réouverture des négociations nucléaires avec l'Iran, la levée de sanctions en Syrie ou des tractations directes avec le Hamas pour libérer un otage américain, laissent certains experts sceptiques. "On ne peut pas bâtir sa politique sur ce que Trump pense aujourd'hui quand on ne sait pas ce qu'il va penser demain", résume Michel Duclos.
En attendant, Paris subit une offensive virulente d'Israël. "La France reste perçue comme un acteur majeur au Moyen-Orient en raison de son passé colonial dans la région", rappelle Karim Émile Bitar. "Et sa diplomatie conserve un poids symbolique."
Cet article a été adapté de l'anglais par Barbara Gabel. L'original est à retrouver ici.