Investiture de Donald Trump : pourquoi le nouveau président des Etats-Unis s'expose à de nombreux conflits d'intérêts

Rarement un chef d'Etat américain a été impliqué dans autant d'entreprises. A l'heure de son investiture comme 47e président des Etats-Unis lundi 20 janvier, Donald Trump possède toujours des parts dans de nombreux projets immobiliers et financiers. Or toutes ces propriétés posent un risque : comme sa première présidence de 2016 à 2020, son second mandat s'annonce miné par les potentiels conflits d'intérêts.

Le président des Etats-Unis pourrait se servir de son poste pour promouvoir ses entreprises, sa fortune personnelle et ses propres intérêts en prenant des décisions qui leur bénéficient. Mais il pourrait également être la cible de tentatives d'influences, si des lobbyistes privilégient les entreprises de Donald Trump pour essayer de s'attirer ses faveurs. Quelles sont les nombreuses activités économiques de Donald Trump qui posent des risques de conflits d'intérêts ?

Il détient toujours un vaste parc immobilier

Un des principaux secteurs à risque pour Donald Trump est celui qui a fait sa fortune : l'immobilier. Le 47e président des Etats-Unis détient toujours, en partie ou en totalité, plusieurs dizaines d'immeubles, golfs et centres de vacances de luxe à travers le monde, et permet à d'autres d'utiliser son nom en échange d'argent, détaille le New York Times.

Lors de son premier mandat, l'administration Trump a dépensé plusieurs millions de dollars en location de chambres dans ses hôtels, octroyant aux entreprises du milliardaire une petite fortune d'argent public – les services secrets protégeant la famille Trump ont à eux seuls dû dépenser plus de 1,4 million de dollars, selon une commission parlementaire. Des représentants d'intérêts, américains comme étrangers, ont également multiplié les dépenses somptuaires dans les hôtels Trump, révélait le New York Times en 2020. Un choix qui peut être vu comme une tentative de s'attirer les faveurs du président.

Donald Trump est également impliqué dans plusieurs projets immobiliers en cours à travers le monde, notamment au Moyen-Orient (Arabie saoudite, Emirats arabes unis, Oman), en Inde et au Vietnam, détaille le quotidien américain. Celui à Oman est par ailleurs construit sur un terrain appartenant au gouvernement du pays, et celui-ci ainsi que trois autres impliquent une filiale d'une entreprise immobilière saoudienne qui a des liens étroits avec le gouvernement saoudien.

Ces projets sont donc un vecteur d'influence à double tranchant. Donald Trump pourrait choisir une politique étrangère plus conciliante avec ces pays pour garantir la bonne conduite de ces projets, et ainsi favoriser sa fortune personnelle, et les pays concernés pourraient accorder des conditions préférentielles au projet de Donald Trump pour s'attirer ses faveurs.

Il devrait favoriser les cryptomonnaies, alors qu'il en possède

Donald Trump a également plongé dans un secteur déjà coutumier des arnaques et autres fraudes, à savoir les cryptomonnaies. Le président a promis de prendre des décisions qui feront très certainement décoller la valeur de ces actifs spéculatifs (qu'il avait pourtant qualifiés d'"arnaques" pendant son premier mandat). Il devrait lever de nombreuses règles qui freinent les échanges de cryptomonnaies, affaiblir l'une des autorités de régulation du secteur (la Securities and Exchange Commission) et a nommé dans son entourage plusieurs personnalités très favorables à la libéralisation de ces actifs spéculatifs (comme David Sacks, son "tsar" de l'IA et des crypto, ou bien sûr Elon Musk).

Ces annonces ont déjà fait grimper la valeur des actifs du secteur… et donc la fortune personnelle de Donald Trump. Car selon sa déclaration de patrimoine 2024, le président des Etats-Unis possédait lui-même entre 1 et 5 millions de dollars d'une autre cryptomonnaie, l'ethereum, dont la valeur a décollé depuis l'annonce de la victoire de Donald Trump à la présidentielle.

Donald Trump s'est récemment lancé dans plusieurs entreprises de cryptomonnaies. La famille Trump est par exemple rémunérée pour faire la promotion de World Liberty Financial, une plateforme qui se présente sur Telegram comme championne de "la finance du peuple" contre des élites corrompues, et devrait proposer des emprunts adossés à des cryptomonnaies. Plus les cryptomonnaies gagneront en valeur, plus l'entreprise devrait attirer d'investissements et de trafic, et donc rémunérer les Trump – qui pourraient gagner 75% des revenus générés par la plateforme, selon un document détaillant le fonctionnement de l'entreprise.

Pour capitaliser un maximum sur son investiture, Donald Trump a également lancé le 18 janvier un "meme coin" – une cryptomonnaie qui n'est basée sur aucun projet concret, et a donc une visée purement spéculative. Ce jeton, "OFFICIAL TRUMP" (un type de cryptoactif également surnommé "shitcoin"), s'est rapidement envolé à mesure que de nouveaux spéculateurs en achetaient en pariant sur une hausse future des cours. L'entreprise qui émet ces jetons, CIC Digital, est une filiale de la Trump Organization. Elle et d'autres partenaires détiennent 80% des jetons et vont les revendre progressivement sur trois ans.

Même dans les rangs des investisseurs favorables aux cryptomonnaies, certains ont dénoncé ce projet. "Le fait que Trump possède 80% [du stock de jetons] et le lance quelques heures avant son investiture est un comportement prédateur, et beaucoup vont probablement y laisser des plumes", avertit Nick Tomaino, un ancien responsable de la plateforme de trading Coinbase, sur le réseau social X

Il pourrait utiliser sa notoriété pour son réseau social

Donald Trump détient 53% du "Trump Media & Technology Group" pour une valeur de 4,6 milliards de dollars, selon Reuters. L'entreprise, qui est entrée en Bourse au printemps 2024, est la maison mère du réseau Truth Social, lancé en 2022 et qui accumule les pertes. En novembre, l'entreprise n'a attiré 4,25 millions d'utilisateurs uniques, selon des données relayées par le site The Righting, un chiffre en hausse mais derrière des nouveaux venus comme Bluesky (5,35 millions) et loin derrière les géants du secteur comme X (plus de 130 millions).

Des entités qui voudraient influencer Donald Trump pourraient s'attirer ses faveurs en achetant des parts dans l'entreprise, afin de faire grimper la valeur de celles détenues par le clan Trump, ou en payant des espaces publicitaires sur Truth Social. En tant que président des Etats-Unis, Donald Trump pourra également utiliser sa popularité pour apporter du trafic à son réseau, favorisant ainsi son entreprise au détriment des autres.

Il vend de nombreux produits dérivés à son effigie

Le retour de Donald Trump à la présidence pourrait également lui permettre de gagner une petite fortune en produits dérivés à son effigie. Le président vend son nom à des parfums, des guitares (qui coûtent entre 1 250 et 11 500 dollars), des bibles dédicacées (1 000 dollars) et même des montres (entre 500 et à 100 000 dollars). Il a également vendu des NFT, un autre cryptoactif spéculatif, qui lui ont rapporté plus de 7 millions de dollars, selon ses déclarations financières.

Il a pris des "engagements" mais cela n'apaise pas les inquiétudes

Le 10 janvier, la Trump Organization a publié un engagement éthique comme l'impose la loi américaine, qui contient des mesures très semblables à celles prises en 2016. Les actifs de Donald Trump seront ainsi conservés dans un "trust", mais celui-ci sera géré par ses enfants. Son accès aux informations financières détaillées de ses entreprises sera limité et un avocat externe sera désigné pour analyser les transactions d'une valeur de plus de 10 millions de dollars avec les entreprises familiales.

Mais contrairement à 2016, la famille Trump ne s'interdit pas de conclure de nouveaux accords immobiliers, bannissant uniquement les "nouvelles transactions avec des gouvernements étrangers". Comme en 2016, l'accord affirme que la famille fera don au budget américain de "tous les profits tirés de la fréquentation de ses hôtels et entreprises par des gouvernements étrangers que [les entreprises de Donald Trump] sont capables d'identifier". Le président américain est légalement exempté des lois fédérales sur les conflits d'intérêts, mais selon des juristes, il est concerné par la "clause d'émoluments" de la Constitution, qui interdit aux agents fédéraux d'accepter des dons d'un gouvernement étranger.

L'engagement éthique publié par la famille Trump ne contient aucune mention des activités du milliardaire dans le domaine des cryptomonnaies ou de son entreprise Truth Social. Et placer ses propriétés dans un "trust" ne résout pas tout, car une fois que Donald Trump aura quitté la présidence, il bénéficiera des retombées économiques de ses choix politiques. Les inquiétudes sur les conflits d'intérêts sont donc loin d'être écartées.