REPORTAGE. "Ici, tout le monde déteste Donald Trump, mais..." : à New York, l'espoir d'une présidence "probitcoin" a converti des passionnés de cryptomonnaies

Le bar est discret, niché au sous-sol d'un immeuble de Greenwich Village, au cœur de Manhattan. Le campus de l'université de New York est à deux pas, mais le PubKey n'est pas un repaire d'étudiants. Ici, professionnels et amateurs de l'investissement en bitcoin se croisent et se retrouvent dans le premier bar new-yorkais dédié à leur "communauté". Dès l'entrée, l'écran affichant en temps réel la valeur de la cryptomonnaie – autour de 100 000 dollars – attire le regard. Les clients peuvent même payer leur bière en bitcoin, assure Thomas Pacchia, fondateur de l'établissement, qui porte autour du cou le sigle de la plus célèbre des monnaies virtuelles. Un QR code et quelques clics, "même un président de 78 ans peut le faire !", s'amuse le quadra aux cheveux mi-longs, en référence à l'âge de Donald Trump.

Thomas Pacchia, fondateur du bar PubKey, derrière son comptoir, le 15 janvier 2025 à New York. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Son bar est connu dans tout le pays depuis qu'il est passé à la télévision, quand le candidat républicain et futur vainqueur de l'élection présidentielle s'y est rendu, le 18 septembre. Un déplacement de campagne qui a convaincu une large part de l'industrie et de la communauté crypto. Quelques "bitcoiners" rencontrés dans une salle animée du PubKey, mardi 14 janvier, à quelques jours de l'investiture du républicain, confient leur enthousiasme à l'égard de la nouvelle administration Trump, "le premier président probitcoin de l'histoire des Etats-Unis", souligne Thomas Pacchia.

"J'ai été convaincu quand Trump a parlé du bitcoin"

Le patron reste marqué par ces quarante minutes "surréelles et folles" passées aux côtés du milliardaire. "Il était extrêmement sympathique et drôle. (...) Il m'a dit : 'Ne soyez pas stressé, nous allons gagner beaucoup d'argent !'", raconte-t-il, convaincu que Donald Trump est "véritablement intéressé par notre industrie". Le républicain a payé des burgers en bitcoin, discutant avec les passionnés de cryptomonnaies présents pour l'occasion. "Cela dit beaucoup sur le fait qu'il veut en savoir plus", salue Thomas Pacchia. 

"Il y a de l’optimisme dans notre communauté, un optimisme prudent. Par défaut, les 'bitcoiners' ne font pas confiance aux hommes politiques. C’est la première fois que l’un d’entre eux montre un intérêt fort à notre égard. Cela peut monter à la tête de certains."

Thomas Pacchia, fondateur du bar PubKey

à franceinfo

En ce début de soirée, l'entrée du bar se remplit à grande vitesse. Une clientèle exclusivement masculine aux éclats de voix faciles, entre la vingtaine et la cinquantaine. La salle du fond est plus calme – un quiz est organisé sous des boules à facettes. Ici, les hommes sirotant leurs bières ne sont pas tous des trumpistes de la première heure. New York reste un bastion démocrate. "Le sentiment ici, c'est que tout le monde déteste Trump. Mais si vous travaillez dans l'industrie crypto... Trump est complètement ouvert au secteur", glisse Matthew Mezger, chef de produit d'une société travaillant sur l'intelligence artificielle et les cryptomonnaies.

Matthew Mezger, travailleur du secteur des cryptomonnaies, devant le comptoir du PubKey à New York, le 14 janvier 2025. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Le républicain a promis de faire des Etats-Unis la "capitale mondiale du bitcoin et des cryptomonnaies", et de favoriser le secteur du minage de bitcoin. "Il y a une atmosphère très positive au sein de l'industrie depuis l'élection. Les gens peuvent ne pas aimer Trump, mais ils voient clairement les bénéfices pour le secteur", contemple Matthew Metzger. Cet Australien élancé aux cheveux gris, le sourire impeccable, se dit lui-même "trop tiraillé" entre son "désaccord politique" à l'égard d'un populiste "pas très présidentiel", et le fait qu'"il va beaucoup m'aider, professionnellement parlant".

"Donald Trump va réduire les régulations, permettre à l’industrie d’innover et de grandir."

Matthew Mezger, chef de produit d'une entreprise du secteur des cryptomonnaies

à franceinfo

Lundi, le PubKey diffusera la cérémonie d'investiture de Donald Trump. Et l'enseigne a pour objectif l'ouverture d'un bar à Washington au printemps, "pour être là où les politiques sont menées", pointe Daniel Modell, chargé du marketing pour l'établissement. Le quinquagénaire à casquette s'est plongé dans l'univers bitcoin il y a dix ans, attiré par l'idée d'une monnaie "totalement démocratique et existant en dehors des banques", surtout après la crise financière de 2007 et 2008. Si les gérants du PubKey se disent apolitiques, Daniel Modell dit avoir été "convaincu quand Trump a parlé du bitcoin". "Il m'a parlé d'une manière que je n'ai pas retrouvée chez d'autres candidats", souligne le "bitcoiner".

Dans sa "communauté", le New-Yorkais a vu des Américains habitués à ne jamais voter se déplacer pour la première fois pour une élection, convaincus que Donald Trump "va faire quelque chose pour notre secteur". Sa campagne, poursuit Daniel Modell, "a réalisé que la communauté bitcoin avait du pouvoir économique, et qu'il y avait là des électeurs accessibles. Ils ont saisi cette opportunité et ils ont eu raison."

"La possibilité d'un nouveau départ"

A un mur du bar, des panneaux disent "Stop" à l'idée d'une monnaie numérique liée à une banque centrale, une piste qu'un décret de Joe Biden suggérait d'explorer en mars 2022. Le texte appelait aussi les organismes de régulation "à assurer une surveillance suffisante et à se prémunir contre tout risque financier systémique posé par les actifs numériques". L'administration Biden recommandait en outre "un cadre pour stimuler la compétitivité et le leadership des Etats-Unis" sur ces technologies. Autant de pistes qui suscitent les critiques des clients du PubKey.

Beaucoup dénoncent l'action de Gary Gensler, le patron du gendarme des marchés financiers aux Etats-Unis, la SEC, qui a jeté ses forces dans la bataille de la régulation du secteur crypto, et que Donald Trump a promis de "virer" au "jour un" de sa présidence, selon la chaîne américaine CNBC. Il y a deux ans, la faillite de la société FTX, une plateforme majeure d'échange de cryptomonnaies, a poussé l'administration Biden "à voir le bitcoin comme une menace", estime Daniel Modell. "Bien sûr qu'il y a eu des escroqueries, mais ça a attiré beaucoup d'attention négative sur le secteur". Avec Donald Trump, "il y a la possibilité d'un nouveau départ".

 

Un écran montrant en direct la valeur du bitcoin en dollars au PubKey, à New York, le 14 janvier 2025. (VALENTINE PASQUESOONE / FRANCEINFO)

Jeudi soir, le bar a reçu "bitcoiners" et curieux pour un débat autour de l'idée de constituer une réserve stratégique de bitcoin, mesure défendue par le nouveau locataire de la Maison Blanche. La proposition divise aux Etats-Unis, mais elle attire beaucoup au PubKey. "Le Salvador achète des bitcoins pour le pays. A terme, cela va aider des pays comme celui-ci à sortir de l'endettement", anticipe Daniel Modell. Et pour les Etats-Unis ? "Cela pourrait aider à solidifier notre avenir financier. Si la valeur du bitcoin augmente. (...) Nous n'aurions plus besoin de dépendre autant du système de la banque centrale." La cryptomonnaie reste néanmoins connue pour sa versatilité.

Il y a quatre ans, Donald Trump voyait d'ailleurs ces actifs numériques comme "une arnaque", "une catastrophe à venir". Un retournement de veste assumé, et qui ne dérange pas vraiment. "Moi aussi, j'ai dit que c'était une arnaque", souffle Eric, 33 ans, derrière de fines lunettes. Cet acheteur passionné de bitcoin, ancien soutien de Barack Obama devenu libertarien, vote pour Donald Trump depuis sa première élection, en 2016. "J'étais extatique quand il a gagné", raconte-t-il, bière à la main. Cet habitué du PubKey voit le réseau social X comme "le dernier bastion de la liberté d'expression aux Etats-Unis", et pose un regard "optimiste" sur l'entrée au gouvernement de son propriétaire, Elon Musk. Un homme d'affaires à succès qu'Eric rejoint sur bien des points, même s'il voit aussi en lui "un autre milliardaire avec de l'influence".