Comment les scientifiques travaillent pour une détection précoce de la maladie d’Alzheimer
La maladie d’Alzheimer est une maladie neurodégénérative qui toucherait 850 000 personnes en France, selon l’assurance-maladie. Elle se caractérise par la modification de deux molécules : le peptide bêta-amyloïde et la protéine tau. Cette dernière forme un agrégat de filaments appelé NFTs. Ces NFTs sont donc considérés comme un marqueur avancé de la maladie.
Une nouvelle étude (I), développée à la faculté de médecine de l’université de Pittsburgh, montre que des formes solubles intermédiaires de tau (appelés Stas) jouent un rôle clé dans l’évolution de la maladie, bien avant la formation des NFTs. L’équipe de recherche a analysé des tissus cérébraux de patients atteints d’Alzheimer et a identifié des sites stratégiques pour cette protéine. « Nos résultats montrent que les agrégats précoces de tau sont hautement neurotoxiques et qu’ils constituent une cible idéale pour un diagnostic précoce et des interventions thérapeutiques », soulignent les auteurs.
Ralentir ou stopper la progression de la maladie avant qu’elle n’atteigne un stade irréversible
L’une des avancées majeures de cette étude est la mise au point d’un test basé sur le liquide céphalorachidien capable de détecter les Stas. Ces derniers sont 300 fois plus élevés chez les patients atteints de la maladie que chez les individus sains. Par ailleurs, le test différencie la maladie d’Alzheimer des autres maladies liées à la protéine tau et « la présence de Stas dans le liquide céphalorachidien reflète la progression de la maladie d’une manière plus fiable que les marqueurs classiques », expliquent les chercheurs.
Un autre aspect prometteur de l’étude est l’impact des STAs sur le fonctionnement des cellules du cerveau, les neurones. Des expériences chez l’animal montrent que l’injection des STAs altère l’excitabilité des neurones et la transmission des signaux nerveux bien plus fortement que les NFTs. Cette découverte suggère que cibler ces formes solubles de tau pourrait ralentir ou stopper la progression de la maladie avant qu’elle n’atteigne un stade irréversible. De nouveaux traitements pourraient donc être développés pour bloquer certains processus chimiques et ainsi empêcher l’agrégation pathologique. « En ciblant ces formes précoces de tau, nous pourrions offrir aux patients des traitements bien avant l’apparition des symptômes cliniques graves », avancent les auteurs.
Cette étude suggère donc que la neurodégénérescence commence bien en amont des cibles thérapeutiques actuelles, là où tau est encore sous forme soluble. Le développement du test diagnostique basé sur les Stas pourrait donc permettre une meilleure prise en charge de la maladie. Il permettrait une sélection des patients pour les essais cliniques, en identifiant ceux qui retireraient le plus de bénéfices des traitements anti-tau, et constituerait une nouvelle cible pour les thérapies.
Le point de vue de…
Jean-Charles Lambert, directeur de recherche à l’Inserm, responsable de l’équipe « déterminants moléculaires de la maladie d’Alzheimer et syndromes apparentés ».
Quelles sont les implications de ce travail de recherche sur la compréhension de la maladie d’Alzheimer ?
Il s’agit d’un très beau travail qui a tout d’abord des implications en recherche fondamentale. Il permet de mieux définir les mécanismes intramoléculaires conduisant au développement et à la neurotoxicité d’un des éléments majeurs du processus pathophysiologique de la maladie d’Alzheimer. Cette publication, en précisant certains mécanismes, va donc proposer le développement de nouvelles approches thérapeutiques. Ces dernières pourraient probablement ralentir le développement de la maladie et limiter, voire empêcher, certains dysfonctionnements neuronaux qui peuvent conduire à la mort.
En quoi les Stas pourraient-ils constituer de nouveaux biomarqueurs pour la maladie d’Alzheimer ?
Le travail publié dans « Nature Medicine » a commencé à évaluer l’intérêt des Stas comme biomarqueurs. C’est un domaine qui est en pleine révolution, avec la découverte récente de marqueurs sanguins permettant une aide au diagnostic dans les phases précoces de la maladie d’Alzheimer. Cependant, dans le cadre des Stas, la route va être encore longue avant de savoir s’ils pourront être rajoutés à l’arsenal déjà existant des biomarqueurs pour cette maladie. Le dosage proposé se fait dans le liquide cérébral, alors que les récents progrès ont été faits pour des analyses sanguines (moins invasives qu’une ponction lombaire pour recueillir le liquide cérébral – NDLR), ce qui pose des défis quant à leur adoption en tant que nouveaux outils diagnostiques.
Quels sont les défis à relever avant de pouvoir utiliser les Stas pour la prise en charge clinique de la maladie d’Alzheimer ?
Il va falloir établir que l’intérêt des Stas est au moins complémentaire, si ce n’est supérieur, à ce qui est obtenu avec des biomarqueurs sanguins. Par ailleurs, il n’est pas évalué dans l’article si les Stas pourront être utilisés comme marqueurs précoces de la maladie d’Alzheimer en population clinique. Il y a également un long processus d’évaluation technique pour vérifier la reproductibilité des résultats par les laboratoires d’analyse. Cependant, il est presque évident que les Stas seront des outils particulièrement utiles pour le suivi de l’efficacité des traitements dans le cadre d’essais thérapeutiques.
Phospho-tau serine-262 and serine-356 as biomarkers of pre-tangle soluble tau assemblies in Alzheimer’s disease. « Nature Medicine », février 2025
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