Le nouveau Nutri-Score validé, une victoire contre les lobbies de l’agroalimentaire

C’est prouvé par la science : Plus l’assiette est colorée, plus l’alimentation est saine et équilibrée. Le Nutri-Score reprend lui aussi le principe de la couleur pour aiguiller les consommateurs sur les valeurs nutritionnelles des produits. Ce vendredi 14 mars, et après d’intenses débats au sein du gouvernement, le nouveau Nutri-Score vient d’être validé. « Compte tenu des enjeux impératifs de santé publique, les ministres ont décidé de signer l’arrêté modifiant les règles de calcul du Nutri-Score », ont annoncé dans un communiqué commun les ministres de l’Économie, de la Santé, de l’Agriculture et du Commerce. Les entreprises et autres marques engagées dans cette démarche, encore volontaire, ont « deux ans pour mettre à jour leurs emballages et apposer le nouveau Nutri-Score », indique le gouvernement. Pour Serge Hercberg, épidémiologiste et nutritionniste à l’origine du Nutri-Score, « c’est une victoire pour la science et la santé publique. Les consommateurs auront à disposition un outil plus rigoureux, leur permettant d’être mieux orientés vers des aliments aux bonnes valeurs nutritionnelles », s’est-il réjoui. Une victoire qui semblait pourtant encore loin la semaine dernière.

Un logo attaqué par les géants de la malbouffe

La ministre de l’Agriculture, Annie Genevard, refusait encore mercredi 12 mars de parapher l’arrêté. Selon elle, le nouvel algorithme pénaliserait les produits « remarquables » du terroir ou des « magnifiques salaisons françaises », comme le fromage et la charcuterie. Un discours qui se calque en réalité sur celui des lobbies de l’agroalimentaire. « Cela fait des années que le ministère de l’Agriculture mérite d’être rebaptisé le ministère des lobbies » accuse Audrey Morice, chargée de campagne chez Foodwatch. Depuis son arrivée en France en 2014, le logo nutritionnel se voit attaqué par les géants de la malbouffe tels que Lactalis, Coca Cola, Mondelez, Mars, Kraft, Unilever… Ils orchestrent d’importantes campagnes de désinformation, à contresens des recommandations scientifiques, et en vue d’un objectif clair : discréditer cet indice pour l’empêcher de devenir obligatoire dans l’Union européenne.

Pour le député FI de la Gironde Loïc Prud’homme, « ces groupes pensent qu’il suffit de cacher le thermomètre pour ne pas montrer qu’ils ont de la fièvre ». Une stratégie qui jouerait pourtant en leur défaveur, selon Audrey Morice : « Des études ont prouvé qu’un consommateur aura plus tendance à se tourner vers un produit classé E, plutôt que vers un produit qui n’affiche pas de Nutri-Score » fait-elle remarquer, avant d’ajouter que « le manque de transparence remet toujours en question la confiance ». Pour mieux manipuler l’opinion publique, les lobbies usent d’arguments « gastro-populistes » ou « gastro-nationalistes », pour reprendre les mots de Serge Hercberg. Mais en réalité, le Nutri-Score n’a rien à voir avec les savoir-faire traditionnels, ni même le patrimoine culinaire et gastronomique.

Les aliments gras et très salés mal notés

Une étude de l’UFC-Que Choisir réalisée en 2022 a prouvé que sur 588 aliments traditionnels, les deux tiers reçoivent des Nutri-Scores favorables. Ceux qui sont mal notés sont particulièrement gras (22 % de graisses saturées dans le Comté, soit deux fois plus que dans un saucisson), ou très salés. « Derrière l’image romantique des fromages et charcuteries traditionnels se trouvent les grands groupes agroalimentaires et l’intérêt de leurs autres produits », explique le nutritionniste. « Lactalis assure 70 % de la production de Rocquefort, » relève-t-il.

À l’opposé des lobbies laitiers, Angélique, exploitante laitière en Auvergne, estime que « le Nutri-Score n’aura pas d’impact significatif sur les petits producteurs ». Cette mère de famille l’utilise elle-même lors de ses courses, et fait confiance aux consommateurs qu’elle estime « déjà au courant et en mesure de se responsabiliser ». Sous sa casquette d’agricultrice, elle ajoute : « C’est aussi à nous les producteurs d’être transparents. » Bien que complètement favorable au Nutri-Score, Angélique peut comprendre que certains agriculteurs « aient la sensation d’être punis. Parallèlement au système de notation dans un cadre scolaire, un score E peut laisser penser que le travail n’est pas abouti ou a été mal fait », explique-t-elle avant d’avancer que certains de ses confrères sont hostiles à ce logo pour ces raisons-là.

Intérêts économiques versus santé publique

En reprenant ces arguments « gastro-populistes » – et l’exemple des 100 grammes de Bleu des Causses classés E – la ministre de l’Agriculture choisit consciemment de faire le jeu de l’industrie agroalimentaire. Qualifiée de « marionnette de la FNSEA » par Angélique, ou de « courroie de distribution » par le député Loïc Prud’homme, Annie Genevard s’inscrit dans la ligne de ses prédécesseurs, et privilégie les intérêts économiques au détriment de la santé publique. Car derrière cette malbouffe, il est question des maladies cardio-vasculaires, des cancers, de l’obésité ou encore du diabète. Comme le rappelle Serge Hercberg, « cet outil a été développé par la recherche publique française, puis mis à jour par un comité d’experts européen sans le moindre conflit d’intérêts. »

Une étude publiée en février 2024 par l’OCDE a calculé que « la seule apposition du Nutri-Score dans les 27 pays européens permettrait d’éviter près de 2 millions de cas de maladies non transmissibles entre 2023 et 2050 ». Elle permettrait également de réduire significativement les dépenses annuelles de santé et d’améliorer l’emploi et la productivité. « La malbouffe, c’est a minima 70 milliards d’euros sur nos dépenses de santé », insiste Loïc Prud’homme. « Ce qui nous paraît de bon sens pour protéger les citoyens et réaliser des économies n’est pas mis en place pour préserver un demi-pour-cent de marge des industriels », poursuit-il.

Ces logiques court-termistes – uniquement orientées vers le profit et encore aujourd’hui privilégiées par Annie Genevard et de nombreux élus de droite – ne tiennent pas en compte du coût de la prise en charge des maladies liées à une mauvaise alimentation. Pour le député de la Gironde, ces politiques « ne voient pas plus loin que le bout de leur nez, et agissent uniquement pour être bien vus des industriels afin d’être réélus ». Si la mise en application prochaine du nouveau Nutri-Score est une bonne nouvelle, la bataille se poursuit pour le rendre obligatoire à l’échelle européenne.