Frappes israéliennes en Iran : le prix de l'essence va augmenter d'"une dizaine de centimes d'euros" en "fin de semaine prochaine", estime un expert

Alors qu'un accord sur le nucléaire iranien était sur le point d'aboutir entre Téhéran et Washington, Israël a massivement frappé l'Iran dans la nuit de jeudi à vendredi 13 juin, provoquant aussitôt des mouvements dans les cours de Bourse.

Ces frappes israéliennes, qui ont principalement visé le nucléaire iranien, n'ont pas seulement pour conséquences un risque d'embrasement de la région, elles ont également entraîné une hausse immédiate des cours du pétrole de 10 à 12%. Mais cette hausse, qui intervient dans un contexte plutôt contenu dernièrement, n'atteindra pas les prix exorbitants qu'on a pu connaître, selon Philippe Chalmin, économiste spécialiste des matières premières, et expert des hydrocarbures.

franceinfo : Sur place, les Iraniens redoutent une pénurie d'essence. En France, faut-il s'attendre à des tensions dans les approvisionnements ?

Philippe Chalmin : Des tensions dans les approvisionnements, non. Une augmentation des prix, c'est assez probable. Grossièrement, le prix du baril est passé de 65 à 75 dollars. Et en général, on estime qu'un dollar sur le baril se traduit - en tenant compte de tous les facteurs de change et autres - aux alentours de 1 centimes le litre à la pompe. Donc ça veut dire que vers la fin de la semaine prochaine, nous devrions payer notre chez notre essence une dizaine de centimes de plus.

Mais si les frappes intenses telles que promises par Israël venaient à toucher les installations pétrolières iraniennes, la pénurie est une possibilité ? L'Iran est l'un des dix plus grands producteurs de pétrole au monde.

Oui, mais l'Iran ne pèse pas si lourd que cela sur le marché mondial. L'Iran, ce sont effectivement les quatrièmes réserves mondiales de pétrole, 10% à peu près des réserves mondiales de pétrole. Mais sur une production mondiale qui est de l'ordre de 102 ou 103 millions de barils par jour, l'Iran en produit 3,5 millions. Et comme les Iraniens en consomment beaucoup, leurs exportations, dernièrement, étaient de l'ordre de 1,4 à 1,7 million de barils jour. Donc ça n'est pas énorme. 

"L'essentiel de leurs exportations part sur la Chine - et c'est d'ailleurs la Chine qui est au fond pratiquement le principal bailleur de fonds du régime iranien à l'heure actuelle."

Philippe Chalmin, économiste expert des hydrocarbures

à franceinfo

La crise menace aussi une voie de passage hautement stratégique pour le pétrole venant des pays du Golfe : le détroit d'Ormuz. L'Iran peut-il éventuellement bloquer ce passage ?

C'est la raison principale pour laquelle les marchés ont autant réagi, ces trois derniers jours. Car en fait, la hausse avait commencé avant les attaques israéliennes. La raison principale est qu'il faut s'attendre à ce qu'il y ait des réactions iraniennes. Il y a peu de chances que l'Iran s'attaque aux installations pétrolières des pays du sud du Golfe. Mais par contre, effectivement, il peut sans trop de problèmes - ni de difficulté - bloquer ou du moins gêner de manière importante la circulation dans le détroit d'Ormuz. Or, par le détroit d'Ormuz passent 20 millions de barils jour de pétrole à peu près. C'est 20% de la production mondiale, mais en réalité presque un tiers des flux mondiaux, donc du pétrole exporté. Et puis, il faut tenir compte aussi des méthaniers qui passent par là. Toutes les exportations de gaz naturel liquéfié du Qatar passent par le détroit d'Ormuz. Mais avant de se livrer à ce qui serait un geste ultime - le blocage d'Ormuz - l'Iran demanderait l'avis à la Chine, qui est l'acheteur des trois quarts des exportations de pétrole iranien. Et ce sont les rentrées pétrolières qui assurent le budget et le financement des forces armées en Iran. Donc il me semble que la Chine ne verrait pas d'un très bon œil un blocage d'Ormuz, dont elle serait aussi indirectement victime, à la fois pour les exportations de pétrole, de gaz naturel, mais aussi pour le trafic des porte-conteneurs, etc. dans la région du Golfe.

Donc indirectement, la Chine protège ce détroit d'Ormuz. Mais si les prix ont grimpé en flèche, est-ce que ça risque encore de s'aggraver, à 15 jours des grands départs d'été ?

Nul ne sait très franchement ce qui va se passer dans les quatre, cinq jours à venir. Les frappes israéliennes se poursuivent.

"La réaction iranienne viendra. De quelle forme? On ne le sait. Et pour l'instant, dans cette incertitude, les cours du pétrole sont d'une extrême fébrilité."

Philippe Chalmin

à franceinfo

On a pris aux alentours de 12% de hausse, une dizaine de dollars le baril. C'est une hausse plus forte que celle que l'on avait connue au lendemain de l'invasion de l'Ukraine. Donc on se retrouve à des niveaux à 75 dollars le baril, qui ne sont pas historiquement les plus élevés. En juillet 2008, le baril de pétrole avait atteint son record à 147 dollars et qu'on est monté à 130 dollars à certains moments un peu plus tard.

Les prévisionnistes commencent d'ailleurs à envisager les 130 $.

Ça me paraît quand même totalement excessif, dans la mesure où nous étions juste avant les événements, plutôt sur un trend baissier. Le marché mondial était excédentaire et nous étions un certain nombre à penser que l'on terminerait l'année aux alentours de 60 dollars le baril. L'impact direct sur le marché mondial se limite grossièrement au 1,5 million de barils jour exporté par l'Iran et exporté pour l'essentiel sur la Chine. Les pays de l'OPEP, l'Arabie saoudite en particulier, ont 3 ou 4 millions de barils jour de capacité disponible qu'ils peuvent remettre sur le marché. Et leur intérêt n'est pas que le pétrole remonte au-delà de 100 dollars le baril.

Et pour le gaz naturel liquéfié, qui passe par le détroit d'Ormuz, il y a aussi des risques d'augmentation de prix ?

Oui, c'est le même problème que pour Ormuz. Le Qatar est le deuxième ou le troisième producteur mondial de gaz naturel liquéfié - avec les États-Unis et l'Australie. Autant pour le pétrole, on peut contourner Ormuz - il commence à y avoir des terminaux à l'extérieur du détroit - autant pour le gaz naturel liquéfié, il n'y a pas de solution. Là, ça pourrait, de manière assez considérable, tirer les prix vers le haut. Mais je le répète, le blocage d'Ormuz, c'est vraiment l'hypothèse catastrophe qui, avec toutes les précautions que l'on peut prendre, ne me semble pas totalement réaliste.